Une magnifique Elektra sur qui repose tout l’ouvrage.

En cette soirée du 22 juillet, le public a réservé un triomphe au spectacle le plus attendu du Festival d’Aix-en-Provence.Des chanteurs de premier ordre, un chef d’orchestre considéré comme un des meilleurs de sa génération et un metteur en scène qui a fait école. Richard Strauss, trois ans après avoir composé sa sulfureuse ” Salomé ” s’attaque à ” Elektra ” autre mythe de l’antiquité. Ce personnage tout de fureur a déjà inspiré Eschyle, Sophocle et Euripide, mais c’est sur un livret écrit par Hugo Hofmannsthal d’après la pièce de Sophocle, que Richard Strauss bâtit son opéra dont la première a lieu à Dresde en 1909.
A la charnière entre le XIXe et le XXe siècle, il compose une musique qui va marquer les esprits narrative, dramatique, aux couleurs puissantes, elle impose le style du compositeur.
Richard Strauss qui a l’habitude de la direction se sert avec génie de tous les instruments pour créer cette tension qui règne dans tout l’ouvrage. Pour lutter contre un orchestre initialement composé de 110 musiciens, (98 ici) cet ouvrage nécessite de grandes voix et le rôle d’Elektra écrit dans une tessiture très tendue est si physique qu’il est dangereux de le chanter trop souvent et trop longtemps.
Cette écriture post wagnerienne reprend quelques ” idées ” propres à Richard Wagner leitmotivs, thème lié à un personnage tels les trois accords scandant le nom d’Agamemnon.
Patrice Chéreau signe une mise en scène qui impose sa propre interprétation des personnages. Clytemnestre est une femme que ses doutes rendent plus humaine, presque trop. Extérieure à son personnage, elle joue avec détachement loin de la femme hantée par ses cauchemars, essayant de comprendre et sa fille et ses propres sentiments. Dans une robe noire sobre et chic elle n’est que distinction  et rend incompréhensible la fureur qui habite Elektra. Chrisothemis a des réactions trop proches de celles de sa soeur, elle ne cadre plus avec la jeune fille aux désirs simples décrite par Hofmannsthal. Oreste aussi est sans aucune passion donnant l’impression d’être extérieur à son personnage.
La pièce est traitée ici comme on pouvait peut-être la jouer dans un théâtre antique avec des acteurs un peu statiques aux mouvements lents. Le décor fait de hauts murs gris crée un lieu qui pourrait aussi bien être une demeure, un palais ou une prison avec des podiums qui en s’avançant mettent en relief certaines situations. Les costumes sont intemporels dans des teintes passées et les lumières douces deviennent plus crues selon l’intensité de l’action.
Le choc vient d’Elektra présence, énergie, compréhension du personnage sans elle, l’Elektra de Patrice Chéreau n’aurait certainement pas soulevé autant d’enthousiasme de la part du public. Déterrant la hache de la vengeance dès le début, elle domine ce rôle terrible, l’habite et nous fait vivre avec elle cette tragédie jusqu’à la dernière note.
Ce n’est pas la mise en scène de Patrice Chéreau qui est déroutante mais plutôt sa vision des personnages qui change totalement l’impact de l’oeuvre sur les spectateurs. La tension créée au début par une bonne direction des servantes diminue dès l’entrée de Clytemnestre pour ne revenir à son paroxysme que pendant la danse finale d’Elektra. Peut-on faire la comparaison avec l’Elektra donnée il y a quelques mois à l’opéra de Marseille où tout était traité dans un ” huis clos ” d’une tension extrême?
Evelyn Herlitzus en plus de son charisme possède une voix magnifique qu’elle projette avec générosité. Chaque aigu d’une justesse parfaite est rond, sonore, puissant, jamais crié, son vibrato stable donne une chaleur particulière à ses notes. On pourrait craindre que la beauté de sa voix affaiblisse le personnage, il n’en est rien. Puissante, sauvage, vengeresse, elle le restera jusqu’à la fin avec une voix sans faille et une grande homogénéité dans chaque registre, se permettant des nuances tout en gardant cette belle rondeur de son. c’est une Elektra que l’on n’oubliera pas de sitôt.
Il est dommage de diminuer cette tension dramatique avec la vision d’une Clytemnestre un peu détachée, sans agressivité, presque sans force de caractère, l’annonce de la mort d’Oreste la laisse même d’une froideur étonnante. Waltraud Meier possède sans conteste une très belle voix bien placée avec des aigus puissants et ronds au timbre chaud.Elle chante très en place, avec une diction parfaite, c’est une voix que l’on écoute avec beaucoup de plaisir dont les attaques sûres sont projetées sans dureté et l’on se souvient de chacune de ses interprétations wagnériennes au Festspielhaus de Bayreuth tout en regrettant qu’elle ne puisse pas ici donner plus de force à son personnage. Le frisson n’est pas au rendez-vous et l’affrontement entre mère et fille devient un duo où perce la tendresse.
Adrianne Pieczonka met sa belle voix au service d’une Chrysothemis un peu trop volontaire. Son timbre chaleureux fait ressortir l’homogénéité des voix de ce trio féminin d’exception.Une belle diction, une bonne projection, une voix large avec de beaux aigus et un vibrato agréable font qu’elle est une Crhysothemis très appréciée malgré un manque de fraîcheur dans le personnage.
Les servantes participent au succès avec des voix homogènes et puissantes. Elles jouent avec détermination laissant comprendre le texte avec une grande justesse et une belle mise en place. Une mention spéciale pour Bonita Hyman dont la voix large et profonde de mezzo-soprano laisse vibrer chaque note et Roberta Alexander dont les aigus et la ligne musicale nous font apprécier cette voix de soprano aux teintes chaudes et au vibrato chaleureux.
Mikhail Petrenko qui chante Oreste a une voix qui, comme son personnage, manque d’ampleur et son récit de la mort d’Oreste n’a pas l’impact que l’on attendrait. Manquant de projection sa voix est couverte par un orchestre déchaîné et sonore qui n’est plus en rapport avec l’action au ralenti que l’on voit sur la scène.
C’est Egysthe qui étonnement montre ici le plus de virilité chanté par un Tom Randle en grande forme dont la voix bien placée passe au-dessus de l’orchestre grâce a une bonne projection. Sir Donald Mcintyre baryton-basse, et Franz Mazura basse, ont tous deux des voix profondes; représentant des hommes d’un certain âge, le manque de volume sonore ne choque pas. Malgré un rôle très court, on remarque Florian Hoffmann pour sa présence, sa voix timbrée et ses phrases bien rythmées.
Esa-Pekka Salonen dirige un orchestre de Paris au mieux de sa forme, faisant entendre des sonorités superbes larges et pleines aux attaques nettes sans dureté mais le décalage entre la musique et le jeu des chanteurs déstabilise un peu cette musique à fleur de peau à la limite parfois de l’hystérie.Dirigeant avec autorité et maestria, Esa-Pekka Salonen plus dans une recherche de sonorités passe à côté de la fébrilité qui agite toute l’oeuvre. C’est sans conteste une représentation de haut niveau qui aura marqué ce Festival d’Aix-en-Provence.