Opéra de Marseille:”La Traviata”

Marseille, Opéra Municipal, saison 2013/2014  
“LA TRAVIATA”
Opéra en trois actes. Livret de Francesco Maria Piave.
Musique de Giuseppe Verdi
Violetta  SUZANA MARKOVÀ
Flora  SOPHIE PONDJICLIS
Annina CHRISTINE TOCCI
Alfredo Germont  TEODOR ILINCAI
Giorgio Germont  JEAN-FRANÇOIS LAPOINTE
Le Baron Douphol JEAN-MARIE DELPAS
Le Marquis d’Obigny  CHRISTOPHE GAY
Le Docteur  ALAIN HERRIAU
Gaston de Letorières CARL GHAZAROSSIAN
Giuseppe  CAMILLE TRESMONTANT
Orchestre et choeur de l’Opéra de Marseille
Direction Musicale Eun Sun Kim
Chef du Choeur Pierre Iodice
Mise en scène Renée Auphan 
Décors  Christine Marest
Costumes  Katia Dufflot
Lumières  Roberto Venturini
Production de l’Opéra de Marseille
Marseille, le 17 juin 2014
Pour le dernier ouvrage de la saison, l’Opéra de Marseille avait choisi de nous offrir  La Traviata  de Giuseppe Verdi. Créé le 6 mars 1853 à La Fenice de Venise, cet opéra ne séduit pas d’emblée. Trop intimiste diront certains. Mais le succès vient très rapidement, et La Traviata deviendra, au XXème siècle, l’un des opéras les plus joués de par le monde. Il faut dire que le livret de Francesco Maria Piave, juste, concis, très éloigné des textes vieillots de certains autres opéras, fait la part belle aux chanteurs ainsi qu’aux nombreux ” Airs ” d’une grande beauté musicale et remarquablement écrits pour les voix.
Pour cette création marseillaise, la mise en scène était confiée à Renée Auphan.
Artiste lyrique devenue directrice de théâtres d’opéras, Lausanne, Genève, Renée Auphan dirigera aussi l’Opéra de Marseille de 2002 à 2008. Femme de théâtre, elle signe des mises en scène toujours d’une grande beauté et d’une rare élégance, mettant un point d’honneur à respecter l’oeuvre et le compositeur, plus par amour de la musique que par choix ; elle nous avait déjà donné à voir de beaux spectacles : L’Héritière, de Jean-Michel Damase, Manon, de Jules Massenet, Sampiero Corso, de Henri Tomasi, et plus récemment La Chartreuse de Parme, de Henri Sauguet. C’est d’ailleurs dans les décors imaginés par Christine Marest, pour l’opéra L’Héritière, que Madame Auphan a décidé de représenter cette nouvelle production de La Traviata. Ces décors seront bien sûr un peu réaménagés mais la belle structure restera la même, avec ses boiseries en bois de loupe qui seront présentes dans chaque
acte. L’élégant salon avec cheminée du premier acte nous montre une grande table de buffet surmontée par une glace monumentale dans laquelle les acteurs se reflètent, donnant ainsi à voir de belles images. De très hauts rideaux, d’imposants vases remplis de fleurs, des canapés de cuir, tout concourt à nous transporter dans un salon cossu et raffiné. Le mobilier du deuxième acte qui se passe à la campagne est plus léger, d’un style Louis XVI aux teintes claires. La chambre du dernier acte est sobre, sombre, faisant preuve du dénuement dans lequel se trouve Violetta, mais les lumières indirectes font tout de même ressortir le raffinement qui est en harmonie avec le personnage. Le lit est en fond de scène, éclairé, mais à demi caché par un long rideau blanc. C’est strict, intime et de bon goût. La direction des acteurs est bien faite, les mouvements sont joués avec retenue et, mises à part les Zingarelle, ou la scène avec les Matadors qui font sentir un léger débridement, tout dans cette mise en scène est calculé au plus juste pour rester dans une certaine tenue, ce qui ne veut pas dire que l’on ne ressentira pas les passions ou les angoisses des personnages.
La traviata, est un Verdi élégant, loin de certains déferlements sonores, et tout le visuel restera dans cette optique. A part dans le deuxième acte où les lumières de la campagne sont un peu plus crues, les autres actes sont assez peu éclairés, représentant des salons de réceptions ou une chambre où la mort est au rendez-vous, mais ces teintes voilée réussissent à créer des atmosphères et des contrastes avec les costumes. la dernière scène où Violetta meurt dans les bras d’Alfredo est un joli tableau final, éclairé à la manière des peintures hollandaises, qui laissaient les seconds plans dans l’ombre.
A l’instar de la création qui avait présenté La Traviata dans des costumes du XVIIIème siècle, cette production ne respecte pas obligatoirement l’époque pour ses costumes. Ils sont tout simplement élégants ; des robes du soir, vaporeuses, qui donnent une impression de légèreté qui correspond au genre de vie que l’on menait dans ces salons, et lorsque l’on sait que ces costumes sont signés Katia Duflot, on est assuré de leur beauté, de la richesse des tissus et d’un chatoiement capté par la lumière. Les robes de Violetta sont particulièrement somptueuses, des dentelles qui laissent voir le tissu en transparence, des jupes fluides qui jouent avec les mouvements et des coupes qui font ressortir la féminité. La robe en organza blanc qu’elle porte au deuxième acte est tout à fait en rapport avec la fraîcheur du lieu et la douceur d’un amour naissant. Les hommes portent des costumes sobres ou des smokings.
La jeune soprano Suzana Markova est une Violetta qui soulève l’enthousiasme et les applaudissements du public. Physiquement elle est telle qu’on l’imagine, fine, belle et jolie à la fois, avec des qualités de coeur qui se lisent instantanément. Elle est telle que la voulait Renée Auphan, distinguée, laissant poindre ses sentiments mais sachant les mesurer. Elle aborde le rôle avec la noblesse de celles qui savent que l’on ne va pas contre son destin, mais qui ne peuvent pas s’empêcher d’espérer. Vocalement, elle possède tout ce dont on a besoin pour ce rôle plein de subtilités, une rondeur de timbre, un legato d’une grande souplesse et un joli vibrato dont elle se sert pour moduler sa voix. Ses demi-teintes sont chantées dans le souffle, obligeant les spectateurs à une grande écoute. Les crescendi sont faits avec musicalité pour atteindre une grande puissance sans forcer ni jamais saturer les sons. On ne peut dissocier le chant de son jeu, tant ils sont liés. Elle chante et joue avec naturel, c’est ce qui fait tout le charme de cette Violetta qui arrive a séduire Giorgio Germont aussi bien par sa noblesse que par sa fragilité. Fragilité toute relative tant ses aigus peuvent être puissants. Mais elle reste délicate dans sa façon de prendre ses notes et elle nous donne à écouter un superbe duo avec la clarinette qui arrive à prendre le velouté de sa voix. Elle sait être émouvante et se sert avec intelligence des inflexions de la voix. Elle a l’âge du rôle, et pour une première interprétation c’est une réussite. On comprend tout à fait qu’Alfredo Germont puisse tomber amoureux.
C’est le ténor roumain Teodor Ilincai, qui va d’emblée être séduit. Sans doute est-il un peu trop jeune pour ce rôle déjà très important et qui demande une plénitude de voix. Un peu emprunté dans ses mouvements, on le sent mal à l’aise au début dans sa façon de jouer, cela contraste avec le jeu fluide de Violetta. Mais il prend de l’assurance et finit par évoluer avec plus d’aisance au dernier acte. Vocalement, il a une voix qui sait être puissante mais qui demanderait à être utilisée avec plus de souplesse et de subtilité. Il chante souvent un peu fort ce qui durcit parfois le timbre de sa voix qui a pourtant de jolies couleurs. Il va sûrement trouver le legato qui convient à ce rôle, afin d’atteindre les aigus qu’il possède avec plus de liberté sans forcer. C’est tout de même une belle prestation et nous espérons l’entendre à nouveau bientôt. Le baryton canadien Jean-François lapointe, remporte un vif succès dans le rôle de Giorgio Germont. Bien connu et toujours apprécié du public marseillais, c’est dans Le Comte Ory où il incarnait un Rimbaud truculent, que nous l’avions le plus aimé.
Ici, le personnage est beaucoup plus sérieux ; Jean-François Lapointe en a la stature, la présence et la voix, mais on le sent un peu extérieur et, à aucun moment on ne ressent ce père manipulateur qui n’hésite pas, par des paroles habiles, à anéantir Violetta pour arriver à ses fins. Il chante sans regarder vraiment celui ou celle à qui il s’adresse, et cette façon de jouer enlève un peu de l’émotion que l’on doit ressentir; mais il chante superbement, avec une ligne de chant et un phrasé au-dessus de tout reproche. C’est beau, avec une rondeur de son et un timbre homogène qui n’appartiennent qu’à lui. Ses aigus sont assurés et il attaque sans aucun problème le fameux sol, à la fin de son Air, terreur de bien des Giorgio Germont. Même si ses graves sont moins larges que ses aigus, c’est vocalement très beau et le grand succès qu’il obtient est plus que mérité. Sophie Pondjiclis, que nous avions appréciée dans a Chartreuse de Parme, est une Flora que l’on remarque. La voix est assurée et bien placée, mais son interprétation un peu trop marquée demanderait à être un peu plus affinée. Christine Tocci, est une parfaite Annina, chaque intervention est juste, chantée ou presque parlée sans ostentation, alerte et souple dans ses mouvements elle se glisse dans cette mise en scène mesurée, avec efficacité.
Jean-Marie Delpas est un Baron qui s’impose malgré un rôle court, par sa voix et sa stature. Il projette les sons et donne ainsi une certaine dimension à son personnage. Chritophe Gay, Alain Herriau, Carl Ghazarossian et Camille Tresmontant, respectivement Le Marquis, Le Docteur, Gaston de Letorières et Giuseppe, sont tout à fait bien dans leurs personnages et donnent du relief à leurs interventions.
Le Choeur, bien dirigé évolue avec souplesse et investissement, faisant preuve de précision et d’un bel engagement vocal.
La direction musicale était confiée à la jeune coréenne Eun Sun Kim. On aurait aimé écouter cette Traviata dirigée par Lawrence Foster, comme cela était prévu, ou par un chef d’orchestre italien. Bien entendu, il faut bien commencer à diriger des opéras italiens un jour, mais il faut une certaine maturité, ou une longue expérience pour faire ressortir les subtilités d’une telle partition. Alors, bien sûr, on peut relever certains décalages, un manque de souplesse à l’orchestre malgré la rondeur de son obtenue depuis un certain temps déjà. Les violons font preuve d’une grande justesse et d’une recherche dans les  sonorités, et les interludes sont joués avec délicatesse, mais il manque encore quelques envolées dans cette direction un peu verticale. Toutefois, on sent un orchestre heureux de jouer et investi d’une mission, soutenir les chanteurs et donner le maximum de soi, pour la musique et le public. Une belle soirée d’émotion pour cette Traviata. Photo Christian Dresse