Chorégies d’Orange 2014: “Otello”

Chorégies d’Orange 2014
” OTELLO ”
Opéra en quatre actes, livret  d’Arrigo Boito, d’après Othello ou le Maure de Venise de William Shakespeare
Musique de Giuseppe Verdi
Otello   ROBERTO ALAGNA
Desdemona  
INVA MULA
Iago    SENG-HYOUN KO
Emilia   SOPHIE PONDJICLIS
Cassio   FLORIAN LACONI
Lodovico   ENRICO LORI
Roderigo  JULIEN DRAN
Montano   JEAN-MARIE DELPAS
Un Araldo  YANN TOUSSAINT
Choeur de l’Opéra Grand Avignon,   Choeur de l’Opéra de Marseille,   Choeur de l’Opéra de Nice, Maîtrise des Bouches-du-Rhône.
Ensemble vocal et instrumental des Chorégies d’Orange
Orchestre Philharmonique de Radio France
Direction musicale   Myung Whun Chung
Mise en scène  Nadine Duffaut
Scénographie  Emmanuelle Favre
Costumes   Katia Duflot
Eclairages   Philippe Grosperrin
Vidéo   Arthur Colignon
Maître d’armes  Véronique Bouisson
Chorégies d’Orange,  3 août 2014
Les Festivals d’été ont été cette année un peu malmenés ; Hier, les grèves des intermittents, et aujourd’hui une météo peu clémente à Orange. Après les perturbations dues aux orages pendant les répétitions de Nabucco, on pouvait craindre que la première de cet Otello tant attendu n’ait pas lieu. En effet, une pluie diluvienne s’est abattue sur Orange le soir de la première, et une averse est venue inquiéter le public et les organisateurs quelques minutes avant le début du report le lendemain. Mais les puissances célestes qui veillent sur les spectacles ont décidé d’épargner celui-ci et de ne pas décevoir les presque 8 000 fidèles qui étaient revenus assister à Otello.
Après un premier Verdi (Nabucco) le mois dernier, Giuseppe Verdi était de retour avec Otello. Cet opéra, écrit par un compositeur vieillissant après 16 ans de silence, est le fruit d’une triple rencontre entre William Shakespeare, le compositeur poète Arrigo Boito (livret ), et Giuseppe Verdi. Le compositeur aborde pour la première fois une écriture particulière ; le goût de l’époque a changé et il veut rompre avec le schéma Airs, Duos, Récitatifs, pour rester dans un discours unique, fidèle au texte de Shakespeare. Rendant l’opéra moins théâtral et plus proche des sentiments ressentis, musique, drame et scénographie donneront naissance à l’opéra romantique.
Cette production, en fait une coproduction – Festival de Savonlinna ( Finlande ), Opéra de Marseille, Chorégies d’Orange -, est
orchestrée par Nadine Duffaut qui revisite légèrement sa mise en scène appréciée à Marseille en avril 2013, pour l’adapter à cette immense scène du Théâtre antique d’Orange. Il n’est pas facile d’investir avec intelligence et clarté un si grand espace ; les acteurs ne peuvent rester statiques sans risquer de créer l’ennui, et ils doivent pouvoir se déplacer sans donner l’impression de courir alors… pari réussi ici.
Une mise en scène juste, empreinte d’une certaine solennité, réussit à faire ressortir les moments plus intimes. Peu de décors, hormis les colonnes du cadre naturel, un immense miroir brisé surmonté du lion de Venise, imaginé par Emmanuelle Favre, où une vidéo vient projeter certains moments de vie et les angoisses de Desdemona ou d’Otello, et un sol déstructuré faisant référence aux vies brisées des personnages. Ce drame intime de la jalousie et de la perfidie ne demande pas nécessairement des décors démesurés ; les doutes et les combats intérieurs d’un Otello tourmenté ou les divers Duos peuvent se jouer avec peu de moyens scéniques. Les déplacements de foule bien faits et un bon placement des chanteurs dans le “fuoco di gioia “ par exemple,  apportent une certaine animation. les mouvement appropriés font ressortir l’action autour d’un immense brasero allumé. les combats à l’épée sont aussi bien menés dans une mise en scène traditionnelle de bon goût mais en rapport avec le drame et la musique. Les costumes sont sensiblement les mêmes que ceux présentés à l’Opéra de Marseille, créés avec soin par Katia Duflot, ils sont le reflet de l’époque renaissance, très seyants, ils sont coupés dans des tissus chatoyants aux teintes pastel. Les éclairages de Philippe Grosperrin nous donnent à voir de jolies lumières aux teintes quelquefois dorées ou rougeoyantes qui font ressortir les reliefs, ou les couleurs blafardes du jour. C’est une scénographie où tout est en accord, sans fausse note.
Un plateau homogène aussi, où Otello était très attendu. En effet, pour Roberto Alagna, c’était une prise de rôle, et si notre ténor national a ses fans, il a aussi ses détracteurs qui l’attendent au tournant. – Ce n’est pas un  rôle pour lui – pouvions-nous entendre dans les couloirs ; jugé avant d’être entendu ! Même si ses choix sont parfois particuliers, qu’il me soit ici permis de conseiller à ces personnes qui ont la critique facile de se mettre à la place des artistes et de réaliser combien est difficile la vie d’un chanteur, et combien il est facile de les mettre à terre. Mais pour revenir à l’Otello de Roberto Alagna, nous avons apprécié son grand investissement ; prenant le rôle à bras le corps, il nous livre ici sa vision personnelle du personnage plus berbère que noir africain. Il est un Otello fougueux, violent ou brisé. Peut-être n’est-il pas imposant par sa stature et sans doute le costumes rouge très près du corps lui donne-t-il une allure un peu trop juvénile, mais son jeu est assez convaincant, donnant à sa voix les accents qui conviennent à ce caractère emporté en proie aux doutes. Vocalement, il a gagné en ampleur, avec des graves sonores jusqu’à la fin de ses tenues. Il s’impose dès son ” esultate “ du début, chanté en hauteur en fond de scène. Sa voix est bien placée avec des aigus vaillants. Le timbre est rond, chaleureux, c’est le sien, et l’ on ne peut lui reprocher de chanter à la manière ….d’Alagna. Avec une belle diction et une projection sans faille, les aigus sont percutants et colorés. Il forme avec Desdemona un duo de charme dans les moments de tendresse avec des voix à l’unisson. Il est un Otello crédible qui arrive à dominer Iago dans les instants de colère, et si sa voix paraît un peu fatiguée dans la dernière scène, ses ” Un altro bacio “ restent un beau moment de musicalité où l’on retrouve le velouté du timbre de sa voix. Un rôle écrasant dans un théâtre monumental pour une prise de rôle, c’est une gageure, et si Roberto Alagna semble forcer sa voix par moments, nous ne doutons pas qu’il sera beaucoup plus à l’aise lorsqu’il aura investi complètement ce rôle. Face à Otello, le perfide Iago est comme à Marseille, interprété par le baryton coréen Seng-Hyoun Ko. Si sur la scène marseillaise fermée, la voix de Seng-Hyoun Ko paraissait trop volumineuse par moments, dans cette vastitude, elle paraît appropriée. Il a lui aussi une bonne diction et une projection qui permettent à sa voix de passer avec facilité au-dessus de l’orchestre. S’il a de beaux graves, il a du mal à trouver le côté sombre qui caractérise le personnage ; ses aigus sont assurés et sonores mais perdent un peu de leur couleur dans le registre piano. Vocalement il est un Iago performant bien qu’un peu rigide pour un personnage si retors et son interprétation sautillante enlève sans doute du poids à ce rôle. Nous entendons de beaux Duos Otello-Iago, avec deux voix qui s’accordent dans le timbre et la puissance, pour finir dans des aigus sonores. Florian Laconi est un Cassio à la mesure de ses partenaires ; avec une voix bien placée aux aigus percutants il se fait entendre sans problème, qu’il chante seul ou dans les ensembles. Très apprécié dans le rôle de Mylio du Roi d’Ys qu’il a chanté à Marseille en fin de saison, il est ici un Cassio qui sait se faire remarquer. Avec une belle prestance et une voix sonore qui passe bien, la basse Enrico Lori fait ici une bonne prestation. Peut-être son vibrato est-il un peu large, mais ce léger défaut est rattrapé par des graves bien projetés. Tout à fait bien dans leurs rôles, on remarque Roderigo (Julien Dran ), Montano ( Jean-Marie Delpas ), et Un Araldo ( Yann Toussaint ).
Inva Mula, est Desdemona, rôle qu’elle interprétait aussi à l’Opéra de Marseille. C’est une Desdemona faite de douceur et de fragilté, mais aucune fragilité ne se remarque dans sa voix. Avec un timbre clair, elle module sa voix, lui donnant des accents plus tragiques Si son vibrato paraît un peu large au début, elle prend vite la mesure de la scène pour ajuster sa voix et donner la couleur qui convient à ce rôle qu’elle interprète avec la naïveté d’une Desdemona amoureuse ; Sa voix est homogène dans chaque tessiture, et chaque note est un ravissement de sensibilité et de musicalité. La délicatesse de sa voix n’exclue pas la puissance et les longues tenues de sons. Elle joue avec charme et grâce, grâce qu’elle met dans chaque note. C’est une Desdemona particulière, aux inflexions tendues ou angoissées qui ressortent dans son interprétation de la chanson du saule accompagnée par le solo du cor anglais, ainsi que dan la prière à la vierge, où seule, à genoux sur un prie-Dieu, devant ces immenses gradins elle investit la nuit.. C’est une magnifique prestation où le Duo otello- desdemona fonctionne, aussi bien dans l’interprétation que dans la musicalité.
C’est Sophie Pondjiclis qui lui donne ici la réplique dans le rôle d’Emilia qu’elle interprète avec présence et vivacité. Sa voix est sonore bien que ses aigus manquent un peu de rondeur. Les choeurs de l’opéra Grand Avignon, de l’Opéra de Marseille et de l’Opéra de Nice font une prestation remarquable, avec un grand investissement scénique qui contribue au succès du spectacle en tous points homogène. Remarquable aussi la prestation du choeur d’enfants de la Maîtrise des Bouches-du Rhône pour sa justesse et sa précision.  Myung Whun Chung qui dirige sans partition, possède sans aucun doute cet ouvrage. A la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, qu’il a façonné depuis quelques années, il nous donne une version de cette partition qui fait ressortir chaque pupitre sans jamais couvrir les chanteurs, tout en insufflant son rythme et son interprétation. Ses gestes sont précis et amples, montrant une autorité qui laisse ressortir le lyrisme de certains passages tout en soutenant les artistes. Bien que reconnu comme un orchestre symphonique, l’Orchestre Philharmonique de Radio France montre ici, qu’il peut accompagner les chanteurs dans un opéra avec autant de talent et de musicalité. Rien ne peut distraire Myung Whun Chung de sa partition, pas même les incidents de lumière dans la fosse d’orchestre. Photo Gromelles & Abadie