Marseille: Pinchas Steinberg & Andreï Korobeinikov

Opéra Municipal, Marseille, saison 2014 /2015
Orchestre philharmonique de Marseille
Direction musicale Pinchas Steinberg
Piano  Andreï Korobeinikov
Alexandre Borodine:Les Danses Polovtsiennes
Serguei Rachmaninov: Concerto pour piano No 2 en do mineur
Béla Bartok: Concerto pour orchestre
Marseille, le 15 janvier 2015
Après la magnifique soirée du 10 janvier, qui réunissait quatre chefs d’exception – clin d’oeil certain au concert des trois ténors – pour fêter les 50 ans de l’Orchestre Philharmonique de Marseille, Pinchas Steinberg reprenait la baguette en solo cette fois, pour diriger un concert dont le souffle musical venait de l’Est. En effet, Alexandre Borodine, Sergueï Rachmaninov, et Béla Bartok étaient au programme, avec en soliste le jeune pianiste russe Andreï Korobeinikov, dont on parle beaucoup en ce moment. On ne présente plus Pinchas Steinberg à Marseille, tant chacune de ses prestations soulève l’enthousiasme, aussi bien à la baguette pour un concert, que pour diriger un opéra. Et, c’est avec son engagement et sa détermination habituelle, qu’il prenait l’orchestre à bras le corps dès les premières mesures des Danses Polovtsiennes. Cette oeuvre brillante et colorée nous fait survoler des contrées désertiques où souffle un vent glacé, ou participer à de grandes chevauchées avec quelques intrusions dans des villages pour des danses folkloriques endiablées. Les thèmes éminemment slaves, mettent en valeur les instruments solistes de la petite harmonie, faisant ressortir la vélocité de la clarinette. Pinchas Steinberg dirige avec précision et cohérence ces thèmes variés où, comme dans toute musique russe, la nostalgie flirte avec la joie. Il donne le souffle au hautbois ou au cor anglais et le rythme marqué aux violons, et c’est avec une grande maîtrise qu’il fait résonner timbales, cymbales et cuivres. Une interprétation magistrale de ces ” Danses ” qui mettent le public dans une ambiance festive aux rythmes enlevés pour finir dans un immense éclat sonore. Russe encore, cette interprétation du concerto pour piano et orchestre No 2 qu’Andreï Korobeinikov allait nous donner à entendre. Sergueï Rachmaninov écrit ce concerto, peut-être le plus connu du répertoire pour piano, après une longue période de dépression, il dédiera d’ailleurs cette oeuvre au docteur Dahi qui l’avait soigné, en signe de remerciement. Ses douleurs, ses doutes et sa renaissance sont inscrits dans cette partition où le romantisme perce sous chaque note, bien que le compositeur soit plutôt considéré comme un post romantique. Après quelques accords crescendo au piano, l’orchestre prend la parole pour une exposition de thème en envolée lyrique, prélude à un dialogue musical entre le soliste et l’orchestre. Ce concerto puissant aux sonorités chaudes, laisse ressortir une tendresse toujours à fleur de peau. Toutes ces ambiances sont très bien traduites par de belles phrases musicales ou des échanges entre le pianiste et les instruments solistes de la petite harmonie. Andreï Korobeinikov, dont les interprétations ne font pas l’unanimité de la critique, semble être passé ici à côté de l’essence même de l’oeuvre, et cela malgré une technique irréprochable. Il fait une lecture brillante du concerto, mais jouant souvent en force, son toucher perd en onctuosité et devient sec ; il retrouve toutefois un certain velouté dans les piani et le mouvement lent où il s’autorise quelques respirations bien venues, détendant alors son jeu pour laisser place à l’expression. Ce mouvement reste un beau moment de musique  où soliste et orchestre s’unissent dans un même langage. Brillance du troisième mouvement avec un pianiste aux doigts sûrs mais dont le son devient dur dans les forte qui manquent de legato. Une interprétation brillante, qui laisse pourtant transparaître la fébrilité contenue dans certains passages. Andreî Korobeinikov  gagnerait sans doute en sensibilité en détendant son jeu. Soutenu par un orchestre réactif toujours à l’écoute du soliste et dirigé par un chef qui sait ménager les sonorités, ce jeune pianiste nous a donné une version fougueuse de ce concerto. La réaction du public est immédiate,  c’est un succès, et pour le remercier, deux bis seront joués, le très brillant prélude en sol mineur de Rachmaninov, où Andreï Korobeinikov fait montre d’une technique éblouissante et une mélodie de Tchaikovsky interprétée avec beaucoup de sensibilité et de musicalité. Béla Bartok et son concerto pour orchestre, terminait ce concert. Ecrite à la demande de Serge Koussevitsky, cette oeuvre sera créée par l’orchestre de Boston en 1944. Cinq mouvements seront nécessaires au compositeur pour mettre en valeur les instruments de l’orchestre, les faisant dialoguer souvent par deux instruments d’une même famille jouant à des intervalles différents, donnant ainsi l’impression de tonalités différentes. Commencé d’une façon un peu austère, ce concerto évolue en crescendo au fil des mouvements pour faire l’apologie de la vie au finale. Et en ces temps très controversés des caricatures, il est intéressant de noter que Béla Bartok, qui détestait la symphonie No 7 de Chostakovitch qu’il trouvait vulgaire, s’était plu à la caricaturer dans son intermezzo, avec quelques accents de clarinette et glissando de trombone. Une introduction classique et mystérieuse où les sons créent les atmosphères, étrangeté des trompettes, violons  aux sons incisifs, lumières du hautbois aux rythmes légèrement balancés, nostalgie de la clarinette. L’austérité fait place à l’humour grâce aux intervalles souvent inversés. Sraccato, pizzicato, trompettes bouchées, caisse claire avec en alternance un court choral de cuivres, tout est réuni ici pour créer un climat de joie et de fête dans un savant dosage d’instruments jouant en duo pour revenir à un calme inquiétant. C’est une oeuvre écrite avec une grande recherche, mais aussi avec une grande connaissance de chaque instrument permettant de faire ressortir chaque sonorité et chaque intention avec cohérence et intérêt. Béla Bartok fait entendre de façon moderne les accents de la musique hongroise en ne gardant que l’essentiel. Cette intelligence du thème qui revient avec le balancement des mesures 5/4, 5/8, joue avec souplesse ; introduction au ricanement de la clarinette et au glissando sarcastique des trombones, qui annonce la fête finale où le folklore finira dans un éclat de sonorités et de rythmes pour une course endiablée. C’est un chef d’oeuvre d’écriture où tout est pensé avec justesse et avec une connaissance du résultat sans recherche d’effet spectaculaire mais avec un résultat spectaculaire dans chaque expression, dirigé par un chef d’orchestre dont le talent est mis au service du compositeur. Pinchas Steinberg est un sculpteur de sons, un magicien de la lumière, qui sait, avec une connaissance approfondie de l’oeuvre et de l’instrumentation, faire ressortir chaque inflexion et chaque intention voulues par le compositeur, aussi bien dans la sensibilité, que dans l’humour ou l’éclat. Il sait doser les sons, les nuances, et maîtriser l’orchestre en laissant la possibilité à chaque instrumentiste de s’exprimer.Une oeuvre aux thématiques imbriquées et aux articulations différentes qui donne une grande diversité aux dialogues, interprétée par un orchestre précis qui joue avec intelligence et musicalité. Un public enthousiaste qui sait aussi apprécier les musiques moins jouées a fait une ovation à l’orchestre et à son chef.