Marseille, Opéra Municipal: “Le portrait de Manon”

Marseille, Opéra municipal, saison 2015 / 2016
“LE PORTRAIT DE MANON”
Opéra-comique en I acte, livret de Georges Boyer.
Première représentation à l’Opéra de Marseille
Musique de Jules Massenet
Aurore   JENNIFER MICHEL
Jean   ANTOINETTE DENNEFELD
Le Chevalier des Grieux   MARC SCOFFONI
Tiberge  RODOLPHE BRIAND
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale  Victorien Vanoosten
Mise en espace  Yves Coudray
En ouverture du portrait de Manon :
Prélude à l’après-midi d’un faune”
Musique de Claude Debussy
Avec la participation de la Compagnie Julien Lestel
Flûte solo  Virgile Aragau
Extraits de Thaïs : Ballet et méditation
Musique de Jules Massenet
Violon solo  Da-Min Kim
Marseille, le 3 octobre 2015
Yves COUDRAYMaurice Xiberras, Directeur Général de l’Opéra de Marseille, a eu l’idée de proposer en contrepoint de MANON, l’opéra de Jules Massenet, une oeuvre plus courte que le compositeur avait écrite pour l’Opéra-Comique : LE PORTRAIT DE MANON. C’est une suite imaginée pour l’opéra précédent ; on y retrouve le Chevalier des Grieux, sans doute devenu vicomte, vingt ans après la mort de Manon qu’il n’a pu oublier. Et l’histoire se reproduit avec un jeune homme, vicomte lui aussi, dont il est le tuteur. C’est une pièce en un acte pleine de fraîcheur et de sensibilité qui pourrait, si elle n’était chantée, prendre place dans le théâtre de Marivaux peut-être. Pour étoffer ce propos assez court et pour que la soirée soit complète, deux autres oeuvres nous seront proposées en parallèle avec ce qui se jouait au même moment à Paris. Le poème musical de Claude Debussy, Prélude à l’après-midi d’un faune, créé le 22 décembre 1894, tout d’abord, chorégraphié et interprété ici par deux danseurs de la Compagnie Julien Lester, compagnie que nous avions déjà appréciée dans le court ballet qui prenait place auMarc SCOFFONI_JohnZOUGAS cours-la-Reine dans l’opéra Manon. Nous nous retrouvons donc en 1894, partageant les sensibilités du public de cette époque et ceci, certes, peut-être émouvant. C’est une chorégraphie idéale pour cet argument qui met en valeur la technique, la plastique et l’élégance des danseurs éclairés par des teintes dorées qui sculptent les pauses et font ressortir leurs arabesques d’une grande esthétique gestuelle. Un moment délicieux dessiné aux crayons couleur sanguine, porté par la musique sensuelle de Claude Debussy interprétée avec intelligence et musicalité par un orchestre qui fait montre de souplesse tout en accompagnant le soliste Virgile Aragau dans son superbe solo de flûte. Puis, en intermède musical, le ballet de Thaïs l’Opéra de Jules Massenet créé à l’Opéra de Paris en mars 1894. Cette musique rythmée et colorée, jouée sans illustration chorégraphique, sera suivie par la célèbre méditation de Thaïs. C’est le super soliste de l’Opéra de Marseille Da-Min Kim qui fera résonner avec sensibilité les notes éthérées écrites par Jules Massenet pour cette introspection dans l’âme de cette courtisane. Archet à la corde, vibrato intense et phrasé délicat feront de ce moment de musicalité pure un lien évident pour le Portrait de Manon. Massenet a-t-il écrit après ” Manon ” une oeuvre inutile, et tout était-il déjà dit ? Nous ne le pensons pas. Jennifer MICHELPourquoi ne pas rester pour quelques temps encore dans cette époque où le drame même garde une nostalgie plus légère des bonheurs anciens ? Le décor du deuxième acte de ” Manon ” est ici utilisé pour être le bureau de des Grieux. Même fenêtre à petits carreaux, même porte en bois, mêmes lumières tamisées, seule la petite table a été remplacée par un bureau. La mise en espace signée Yves Coudray est toujours aussi juste, aussi bien pensée, ni trop ni trop peu, avec cette finesse qui souligne le trait. Les costumes de Katia Duflot sont on ne peut plus adaptés. Riches pas les tissus, mais élégants sans ostentation par leur coupe et leurs teintes automnales ; seyants en tous points. Peu de personnages, quatre en tout et pour tout. Un petit acte d’orfèvrerie que l’on est heureux de découvrir et qui prolonge le plaisir apporté par ” Manon ” d’autant plus que la musique qui reprend les thèmes de cet opéra nous y replonge. Des Grieux a vieilli bien sûr, il est ici un homme mûr, de ténor il est devenu baryton, et c’est Marc Scofoni qui lui prêtera sa voix puissante au timbre agréable, même si elle manque quelques fois de relief. Sa diction estVictorien Vanoosten parfaite et rend ainsi le texte très compréhensible. Si les graves résonnent avec naturel, son vibrato un peu serré enlève une certaine ampleur à ses aigus, et c’est dans les nuances piano que la voix s’exprimera avec le plus de sensibilité. Il est un des Grieux fort crédible dans l’évolution de ses émotions qui passent de la colère à un sentiment de tendresse palpable à l’évocation de Manon. Rodolphe Briand avait interprété Guillot de Morfontaine dans ” Manon ” Il sera un Tiberge sans faille, aussi bien scéniquement que vocalement. Sa voix de ténor, bien placée, lui permet une élocution naturelle et un chant tout à fait homogène qui laisse transparaître une sensibilité qui touche le public. Cet artiste sincère joue avec un naturel qui donne une justesse parfaite à chaque rôle interprété. Jean, le jeune vicomte de Morcerf est chanté par la mezzo-soprano Antoinette Dennefeld. Elle est si parfaite dans son interprétation, que l’on a véritablement l’impression d’être face à un jeune garçon. Vocalement en place, sa voix fraîche et juste fait merveille. Un joli phrasé, une grande homogénéité et une belle longueur de souffle font de ses interventions de beaux moments de charme où joie et désespoir ne sont jamais très éloignés. Elle avait été une Javotte très appréciée dans la production de ” Manon” . Jennifer Michel est cette Aurore qui nous apparaît telle Manon, et qui saura attendrir un des Grieux devenu insensible. Vive, sensible et délicate, elle projette sa voix au timbre lumineux avec justesse Rodolphe BRIANDdans une diction parfaite au phrasé musical. Déjà remarquée alors qu’elle interprétait le rôle de Poussette dans ” Manon ” elle chante avec Jean le duo Il faut mourir avec esprit et beaucoup de grâce, évoquant la fraîcheur, la jeunesse et la naïveté des personnages. Victorien Vanoosten, qui est actuellement l’assistant de Maître Lawrence Foster, était ce soir à la tête de l’Opéra de Marseille, C’est avec musicalité qu’il fait sonner les cordes et les instruments solistes dans une direction précise. Si le geste est quelquefois un peu raide, il est néanmoins généreusement compensé par les sonorités chaudes et la souplesse du phrasé. Ce jeune chef d’orchestre a su faire ressortir la délicatesse de la musique de Massenet, sachant trouver les accents de cette musique française, aussi bien dans le ballet que dans ” Le Portrait de Manon ” laissant la possibilité aux chanteurs de s’exprimer sans contrainte, avec des respirations tout à fait adaptées au style et à l’écriture. Il est aussi à noté la prestation juste et musicale du Choeur de l’Opéra de Marseille pour son intervention bouche fermée dans La Méditation de Thaïs. Une soirée agréable, au programme inattendu mais faisant idéalement suite à l’opéra Manon vu il y a quelques jours.