Opèra de Toulon: “Il Trovatore”

Toulon, Opéra,  saison 2015 / 2016
IL TROVATORE
Opéra en quatre actes, livret de Salvatore Cammarano, d’après Antonio Garcia Gutiérrez
Coproduction Teatro Giuseppe Verdi – Trieste –  Opéra Royal de Wallonie – liège –
Musique  Giuseppe Verdi
Leonora  YOLANDA AUYANET
Azucena  ENKELEJDA SHKOSA
Ines   MARIE KARRAL
Manrico  MARCELO PUENTE
le Comte de Luna  GIOVANNI MEONI
Ferrando   ADAM PALKA
Ruiz  JEREMY DUFFAU
Un vieux gitan   ANTOINE ABELLO
un messager  DIDIER SICCARDI
Orchestre et choeur de l’Opéra de Toulon
Direction musicale   Giuliano Carella
Mise en scène  Stefano Vizioli
Décors & costumes  Alessandro Ciammarughi
Lumières  Franco Marri
Coproduction Teatro Giuseppe Verdi – Trieste –  Opéra Royal de Wallonie Liège –
Toulon, le 11 octobre 2015
Pour débuter la saison 2015/1016, l’Opéra de Toulon a choisi de présenter Il Trovatore. Cet opéra de Giuseppe Verdi, pilier du répertoire lyrique créé à Rome le 19 janvier 1853, obtiendra un succès jamais démenti tant la puissance dramatique et la vaillance vocale contenues dans cette oeuvre sont grandes. Présenté à Paris en italien en décembre1854, cet opéra sera traduit en français par Emilien Pacini, et deviendra Le Trouvère lorsqu’il sera chanté en français à Paris en 1857. La mode étant depuis quelques décennies, et c’est tant mieux, de chanter les opéras dans leur lange originale, c’est donc en italien que nous écouterons Il Trovatore. Si la distribution est internationale, la régie, elle, est tout à fait italienne. Stefano Vizioli signe ici la mise en scène de cet opéra où, de son point de vue, tout le monde est perdant. De ce fait, tout sera conçu dans des teintes sombres ne laissant à aucun moment transparaître l’espoir. Les décors d’Alessandro Ciammarughi sont souvent ponctués par des panneaux mobiles transparents qui laissent apparaître une structure métallique rouillée cachant un escalier à double volée. Le camp des gitans est bien imaginé, avec une ossature de bois qui monte jusqu’aux cintres ; l’évolution bien orchestrée des chanteurs donne une impression de vie où les coups portés sur l’enclume laissent à penser qu’ici l’on forge des armes pour une bataille imminente. Dans la scène du couvent, seule une grande croix lumineuse donnera un peu de relief au décor très sombre avec toutefois quelques lueurs de cierges allumés bien imaginées. Les soldats du Comte se préparant à l’assaut sont présentés en une sorte de de ballet lent qui fait danser les armes. Avec le décor, Alessandro Ciammarughi signe aussi les costumes. Sans être trop voyants et de façon générale assez sombres, ils sont toutefois de bon goût laissant ainsi le drame prendre le pas sur toutes choses. Les lumières imaginées par Franco Marri  sont là pour donner du relief au propos sans rien enlever à cette atmosphère lourde que l’on sent peser tout au long de l’ouvrage. Cette mise en scène, remarquable par sa sobriété mais aussi par la justesse du jeu des acteurs, nous plonge dans une ambiance dramatique dès le lever du rideau. Yolanda Auyanet met sa musicalité au service de Leonora. Cette soprano espagnole qui chante aussi bien du Mozart que du Verdi est ici tout à fait à sa place. Aussi à l’aise scéniquement que vocalement,  elle s’impose aussi physiquement dès son entrée. Dotée d’une voix claire au timbre rond et mélodieux, elle chante avec beaucoup de délicatesse tout en prêtant une grande attention aux nuances. Ses aigus, qu’ils soient puissants ou chantés sur le souffle, sont justes et gardent longtemps les harmoniques contenues dans la voix. Yolanda Auyanet nous fait ici entendre un chant d’une grande esthétique musicale où phrasé et legato sont en harmonie avec le personnage dont la grâce n’exclut en rien la force de caractère. Enkelejda Shkosa est une Azucena de tout premier ordre. Cette mezzo-soprano albanaise possède la couleur de voix qui sied au personnage. Le tissu sombre de son médium laisse éclater des aigus puissants tout en conservant l’homogénéité de sa voix. Nous l’avions entendue la saison dernière, à l’Opéra de Marseille, dans le Moïse et pharaon de Rossini chantant en alternance avec Sonia Ganassi, mais c’est dans ce rôle que la voix d’Enkelejda Shkosa prend toute sa dimension. Aussi à l’aise dans le Stride la vampa que dans les duos plus nuancés avec Manrico, son jeu investi nous émeut tout en nous subjuguant par son éblouissante présence. Cette interprétation d’Azucena restera longtemps dans les mémoires. Marie Karall, déjà appréciée dans le rôle de Clotilde de Norma sur cette même scène en 2013 est une Ines tout à fait à sa place. Cette mezzo-soprano française forme avec les deux autres voix féminines un trio des plus homogènes. Le timbre de sa voix sombre et sonore se marie très bien avec celui de Leonora pour des dialogues chantés harmonieux. Cette distribution aux chanteurs de nationalités très diverses nous faisait découvrir Marcelo Puente en Manrico, ce jeune ténor argentin doté d’un physique avantageux qui donne, par sa vaillance et son investissement, une grande crédibilité au personnage. Dès sa première intervention de coulisses on le trouve bien adapté au rôle avec sa voix claire aux aigus sûrs, dont le volume s’adapte au baryton du Comte de Luna, formant ainsi au début de l’ouvrage un trio très homogène et équilibré avec Leonora. Si ses piani donnent à sa voix des inflexions sensibles, il a par moments un vibrato serré qui fait que ses aigus n’ont pas toujours la même qualité.  Malgré une solide technique, ses quelques problèmes de justesse nous font penser que Marcelo Puente a du mal à contrôler sa voix, mais la rondeur de son médium, l’intelligence avec laquelle il aborde les duos et ses aigus faciles nous prêtent à croire qu’avec plus de maturité ces défauts s’estomperont au profit de ses qualités qui sont nombreuses. Il reste un Manrico très applaudit dont le Di quelle pira au contre-ut sonore a déclenché l’enthousiasme du public. Le Comte de Luna est ici chanté par Giovanni Meoni. Ce baryton italien que nous avions déjà entendu dans le rôle titre de Macbeth à Toulon en 2014 manque peut-être un peu de vigueur dans son interprétation du Comte. Sa voix a toutefois conservé son timbre agréable et rond aux graves posés et puissants, et une belle longueur de souffle. Parfois inégal, on apprécie les duos équilibrés avec Leonora qu’il nous fait entendre, sa musicalité, ainsi que son legato dans les piani . Giovanni Meoni est un baryton solide qui sait faire ressortir les rythmes  grâce à une voix bien projetée. Adam Palka qui chante Ferrando est lui, une basse polonaise. Il donne de la profondeur et du relief à son récit en monologue par des rythmes projetés avec netteté. Sa voix bien placée aux graves sonores participe à l’équilibre de ce trio masculin. Investi et en place, sa voix grave se laisse distinguer dans les ensembles et fait montre d’un bel équilibre dans son échange avec le Comte de Luna. Le rôle de Ruiz nous permet d’écouter le ténor français Jérémy Duffau qui, malgré une intervention assez courte se fera apprécier par sa mise en place et sa voix qui passe sans forcer. Le choeur de l’Opéra de Toulon, préparé par Christophe Bernollin fait preuve d’un bel investissement avec des attaques puissantes et précises d’un grand impact sonore. Les voix homogènes utilisées avec musicalité donnent aux interventions un relief et une intensité dramatique très appréciés. Mais celui qui crée les atmosphères, apporte la dynamique et donne l’impulsion à l’ouvrage est le chef d’orchestre. L’orchestre de l’Opéra de Toulon retrouvait Giuliano Carella dont la baguette énergique et précise allait, encore une fois, le conduire au succès. Directeur musical de l’orchestre depuis plusieurs années déjà, il sait comme personne faire ressortir les sonorités et les couleurs de cette phalange qu’il a su façonner. De bout en bout de l’ouvrage, il tient plateau et orchestre dans un tempo rapide évitant l’écueil des décalages dans les rythmes, tout en faisant ressortir le son moelleux des corde et des instruments solistes. les changements de tempi sont faits avec assurance ; une assurance que l’on retrouve dans les contretemps ou dans la façon d’aborder les nuances. Tout en soutenant le plateau, Giuliano Carella laisse jouer l’orchestre avec mesure et intelligence sans jamais couvrir les chanteurs. Une ouverture de saison réussie et très applaudie par un public enthousiaste heureux de retrouver un Verdi de qualité où l’émotion se trouvait aussi bien sur le plateau que dans les phrases musicales jouées à l’orchestre.