Marseille, Opéra Municipal: “I Due Foscari”

Marseille, Opéra Municipal saison 2015 / 2016
“I DUE FOSCARI”
Opéra en 3 actes, livret de Francesco Maria Piave, d’après la pièce de Lord Byron.
Musique de Giuseppe Verdi
Francesco Foscari   LEO NUCCI
Jacopo Foscari  
GIUSEPPE GIPALI
Lucrezia Contarini
   SOFIA SOLOVIY
Jacopo Loredato   WOJTEK SMILEK
Pisana   SANDRINE EYGLIER
Barbarigo / Fante / Servo  MARC LARCHER
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale  Paolo Arrivabeni
Chef de Choeur  Emmanuel Trenque
Version concertante
Marseille, le 15 novembre 2015
En ce dimanche après-midi, nous écoutions I due Foscari pour sa première représentation à l’Opéra de Marseille. Après avoir été refusé par le Théâtre de La Fenice à Venise, en raison de la descendance encore en vie de certaines familles représentées, l’opéra de Giuseppe Verdi  I due Foscari fut finalement créé le 3 novembre 1844 au teatro Argentina de Rome. Après le succès de Nabucco et d’Ernani deux ans plus tard, qui apporteront la notoriété au compositeur âgé tout juste de 30 ans, c’est la composition de I due Foscari que Giuseppe Verdi terminera en cet été de 1844 à Brusseto. Si cet opéra, moins joué que certains autres, n’est pas considéré comme une oeuvre majeure parmi la trentaine composés par Verdi, il n’en reste pas moins l’un des plus profonds et des plus intimistes, surtout lorsqu’il est ainsi représenté dans une version concert, obligeant les chanteurs à donner plus d’intensité et de force aux personnages afin de toucher au coeur un public jamais distrait par la mise en scène. Et touché, le public l’a été jusqu’aux larmes, dans le dernier air et la mort de Francesco Foscari. I due Foscari est une oeuvre prenante dont l’orchestration fournie fait appel à la sensibilité de chaque musicien et de chaque interprète. Après Semiramide présenté en octobre dernier, l’Opéra de Marseille nous donnait donc à entendre un autre opéra dans sa version concertante. Une représentation d’exception avec une standing ovation et les bravi d’un public au comble de l’émotion et de l’enthousiasme, qui ont duré après que la salle ait été éclairée. Un grand merci à la direction de l’Opéra de Marseille pour cette distribution au top niveau qui nous a donné le plaisir d’écouter une fois encore dans un opéra Leo Nucci, le baryton chéri des marseillais. Nous avions pu constater lors du concert qu’il avait donné il y a tout juste deux ans, que le temps n’avait aucune emprise sur cet artiste d’exception ; mais, une succession d’airs, toute parfaite qu’elle soit, ne peut contenir la montée en intensité contenue dans un opéra complet. Que dire de Leo Nucci qui n’ait déjà été dit ? Que ce chanteur hors norme détient les trois clés qui ouvrent les portes au succès et à la durée : une technique sans faille, l’intelligence au service de la voix, et des dons de comédiens indéniables qui laissent transparaître les émotions. Mais, en plus de ces qualités, la musicalité, le phrasé, la connaissance approfondie du texte et de la partition font de ce chanteur un artiste exceptionnel. Cet ouvrage, d’une grande intensité dramatique, semble avoir été spécialement écrit pour un leo Nucci en pleine possession de ses moyens où force, vitalité et longueur de souffle forcent l’admiration. sa voix, tout en rondeur, dont la profondeur donne le frisson, résonne dans chaque note, et chaque syllabe projetée. Ses aigus assurés, soutenus par un souffle qui paraît inépuisable, suscitent les bravi. Mais au delà de la bravoure ou des doutes et de l’émotion contenues dans son interprétation, c’est la musicalité et l’intelligence du chant qui ressortent jusque dans sa façon très appréciée d’aborder duos et trios. Après avoir interprété son dernier air, (annonçant déjà cortigiani vil razza danata de Rigoletto), qui le mène à la mort et  tire les larmes, au milieu des bravi frénétiques, quelques Bis lancés timidement comme pour s’excuser de leur audace. Le da capo de l’air nous laisse …sans voix ; est-ce possible ? Et la même force, la même intensité dramatique déclenchent un déluge de bravi pour ce Bis plein de vigueur. Face à cet artiste d’exception, le ténor se devait d’être lui aussi un artiste habité. Giuseppe Gipali, que nous apprécions dans chacune de ses prestations était dans une forme éblouissante. Sa voix paraît même s’être étoffée, rendant ses airs et son Lamento sensibles et douloureux, accompagnés par une clarinette qui sait entrer dans les sonorités de la voix. Et la voix de Giuseppe Gipali est particulièrement émouvante, avec des aigus sûrs, puissants et timbrés sur toute la longueur du souffle. Ce ténor vaillant possède toutes les qualités requises pour cet ouvrages où l’intensité dramatique est présente de bout en bout. La bonne projection des sons et sa diction parfaite font que malgré la puissance, sa voix, qui ne sature jamais, garde une homogénéité colorée aussi bien dans le médium que dans les aigus d’une justesse et d’une sûreté absolues. Mais cette puissance n’empêche pas les pianissimi sensibles empreints de musicalité où respirations et rallentando sont faits avec le naturel d’un grand artiste qui chante à l’aise airs et duos, sans jamais forcer la voix, tout en faisant preuve d’un grand investissement. Virginia Tola, initialement prévue dans le rôle de Lucrezia Contarini, ayant annulé, c’est la soprano ukrainienne Sofia Soloviy qui reprenait ce rôle déjà interprété au Théâtre de Liège, aux côtés des mêmes interprètes et sous la baguette du Maestro Paolo Arrivabeni. C’est dire si ces artistes se connaissent bien et ont une vision commune de cet ouvrage. Si les deux rôles masculins requièrent force et puissance, il en est de même pour celui de Lucrezia ; souvent écrit dans une tessiture haut perchée, il demande vaillance et agilité dans les vocalises. Sofia soloviy investit ce rôle avec vitalité, projetant sa voix avec assurance et vigueur. Elle possède un instrument vocal d’une grande puissance naturelle, au vibrato agréable, qui lui permet de passer sans forcer. Sans doute pourrions-nous lui reprocher de ne pas assez contrôler cette puissance qui l’empêche de moduler sa voix dans les duos. Plus de souplesse enlèverait sans doute cette légère raideur que l’on sent dans ses aigus quelques fois un peu bas, car c’est dans les passages chantés piano qu’on apprécie le plus sa musicalité. Sofia Soloviy est une soprano qui participe toutefois à part entière au triomphe de cette représentation en tous points remarquable. Wojtek Smilek Prête sa voix grave et bien placée à Jacopo Loredano. Si l’on peut regretter un vibrato un peu large, sa voix puissante, ample et sonore donne de la profondeur au personnage. Marc Larcher interprète avec vaillance les rôles très courts dédiés à des ténors, et c’est Sandrine Eyglier qui chantera le rôle de Pisana. Le Choeur, toujours bien préparé par Emmanuel Trenque est à la hauteur de ce plateau de haut niveau. Avec des attaques précises, il fait preuve de musicalité tout en faisant ressortir les nuances tantôt forte, tantôt misterioso. Choeur féminin, choeur masculin, les voix homogènes se fondent dans un chant musical. Mais un triomphe pourrait-il exister sans un chef d’orchestre talentueux, qui donne rythmes, couleurs et esthétique musicale ? Paolo Arrivabeni sait mieux que quiconque faire ressortir les couleurs contenues dans la partition, donnant du temps à la clarinette et laissant s’exprimer librement violoncelle et alto solo pour un dialogue musical. Les cuivres aussi peuvent sonner librement sans être trop forts mais laissant éclater la puissance d’un pouvoir implacable. I due Foscari est la seule composition de Verdi où, comme chez Richard Wagner, un thème musical annonce le personnage. D’une baguette expressive, le chef tient orchestre et plateau dans un kaléidoscope de couleurs qui gardent l’intensité de cette tension palpable contenue dans l’ouvrage. Une prestation remarquable où qualité et émotion étaient présentes dans chaque note et chaque phrase musicale. Deux représentations simplement, on en demanderait davantage. Des bravi interminables clôturaient cette représentation. Photo Christian Dresse