Entretien avec le baryton Jean-François Lapointe

A Marseille, entre deux répétitions de La Favorite de Gaetano Donizetti, le baryton québécois Jean-François Lapointe ouvre les portes de sa loge au magazine GBopera pour quelques confidences musicales.
Si le public marseillais connaît bien le baryton, il connaît peut-être moins le parcours de Jean-François Lapointe. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
C’est un parcours studieux, commencé vers l’âge de six ans, par l’étude du piano (14 ans), et du violon (7ans). De mes parents, seul mon père était musicien. Chanteur, amateur certes, mais doté d’une belle voix, il chantait à l’église et m’a légué ce côté artiste qu’apporte la fréquentation de la musique. De ma mère, j’ai hérité la rigueur qui fait avancer et forge le caractère. Tout m’intéressait et je travaillais beaucoup, j’ai même pris des cours de contrebasse pendant quelque temps, mais je faisais tout avec le plus grand sérieux. J’aimais chanter, l’église, les mariages, sans doute avais-je trouvé…ma voie. Si j’ai appris le piano et le violon au conservatoire, c’est dans le cadre universitaire que j’ai étudié le chant, avec ce que cela comporte comme études parallèles, la musicologie…etc. Après six années d’étude j’ai obtenu une maîtrise de chant à l’université de Laval au Québec. Quelques professeurs, bien sûr, mais ma rencontre la plus marquante s’est produite aux Etats-Unis avec le baryton Martial Singher qui avait été un magnifique Pélléas en son temps. J’étais jeune, il était déjà âgé, mais il m’a ouvert à une dimension internationale du chant et il a surtout confirmé ce que je sentais au fond de moi : la possibilité d’aller plus loin. J’ai donc chanté. Les choses se sont enchaînées. Mon premier concert ? Pour Noêl, Le Messie de Haendel, suite à une bravade de jeune homme qui avait étonné un professeur. Ce n’était pas exactement pour moi, mais c’était un début. Puis La Grande Duchesse de Gérolstein où j’ai remplacé un ténor qui était parti. Oui, oui, un ténor ! Avec quelques aménagements pour ma voix bien sûr. Coup de foudre immédiat. Non pour la Grande Duchesse, mais pour la scène et les opérettes. 1989, Dijon, premier engagement véritable. Puis ma rencontre avec Pélléas avec qui je suis parti en tournée en 1992. La route s’ouvrait, je l’ai suivie. Evidemment tout n’a pas été aussi facile qu’il n’y paraît, car derrière tout cela il y a beaucoup de travail, mais un travail passionnant.
Le piano, le violon avant le chant, que vous ont apporté ces études musicales dans l’interprétation du chant ?
Enormément. C’est ce qui a fait la différence, je pense, avec d’autres jeunes chanteurs. Une grande facilité de lecture, une approche rapide des styles et du phrasé ; le violon c’est le chant, la mélodie.
La tessiture de baryton s’est-elle imposée d’emblée à vous ?
Oui, tout à fait, et cela dès ma première audition auprès d’un professeur. D’ailleurs, si ma voix s’est élargie, j’ai gardé les aigus sans descendre vers d’autres graves et je ne pense pas aller un jour vers le registre de basse.
Vous venez du Québec où la joie de vivre paraît être une institution ; est-ce lié à cette joie de chanter qui transparaît dans chacune de vos interprétations ?
Peut-être. On nous dit très joyeux, sans doute est-ce vrai. Mais c’est surtout pour moi le plaisir de chanter. Je vis cela comme une chance, un privilège. Une voix c’est un don, on n’a pas le droit, me semble-t-il, de le gâcher, le galvauder. Et chaque fois que je monte sur scène je le vis comme si cela était la première fois..ou la dernière. Vous comprenez ? C’est sans doute cette conscience qui me rend heureux sur scène. Car en fait chanter est un bonheur, même s’il y a cette responsabilité vis à vis de l’oeuvre et du public.

Qu’est-ce qui vous motive pour le choix d’un rôle, la musique, le compositeur et son écriture vocale ou le caractère du personnage ?
Tout cela à la fois. Sans fermer la porte aux autres oeuvres, aux autres compositeurs, j’ai fait le choix depuis toujours du chant français sous bien des formes, de l’opérette à l’opéra en passant par la mélodie. J’ai déjà chanté 70 rôles français, plus 10 autres étrangers à ce répertoire. C’est beaucoup. Sans être boulimique et vouloir tout chanter, j’aime aborder de nouvelles partitions, la curiosité, le plaisir de la découverte ou l’envie de faire connaissance avec d’autres personnages, les faire évoluer. Je vais d’ailleurs chanter Hérode (Hérodiade) ici même en début d’année prochaine. Et puis, après avoir interprété Rodrigo (Don Carlo) sur cette scène  il y a peu de temps, je voudrais explorer un peu plus Verdi qui a si bien écrit pour les voix de barytons.
Vous excellez dans les rôles comiques, la critique vous a longtemps encensé pour votre interprétation de Pélléas et plus récemment pour celle d’Hamlet, rôles plus complexes. Avez-vous des préférences ?
Des préférences, non, j’ai beaucoup aimé le rôle de Raimbaud dans le Comte Ory de Rossini, surtout dans la production qui a été donnée à Marseille en 2012. Je m’y suis amusé, l’équipe que nous formions était superbe, le rôle de Jonh ford (Falstaff), dans la mise en scène de Jean-Louis Grinda était aussi très amusant. J’étais emplumé, déguisé en pintade, un drôle d’oiseau en quelque sorte, un jaloux. Mais les rôles comiques sont plus rares, il y a peu de comédies à l’opéra. Hamlet est certes plus complexe et l’on peut y trouver matière à réflexion. En 1999 j’ai interprété ce rôle à Copenhague, le lieu rêvé pour ce prince de Danemark. Et puis il y a le drame, à l’opéra on n’est jamais dans la routine et les metteurs en scène qui ont quelquefois des idées surprenantes y sont pour quelque chose.
Qu’est-ce qui est le plus difficile à vos yeux dans une carrière de chanteur ?
Sans hésitation, c’est gérer l’absence, les proches, la famille, on se sent un peu coupés de leur quotidien. Être toujours à l’extérieur, avec des voyages continuels. Certes, on s’habitue  et l’on finit par prendre ses marques plus rapidement, mais même moi qui suis un solitaire, je ressens ce manque et il finit par peser. Professionnellement, il y a aussi une grande pression avec cette obligation de toujours rester au plus haut niveau. Tous comptes faits, si les joies sont immenses, les sacrifices le sont aussi.
Êtes-vous plus sensible au choix d’un chef d’orchestre ou d’un metteur en scène pour vous sentir pleinement à l’aise dans votre interprétation ?
Je dirais que c’est un travail d’équipe. Si un chef peut tout faire pour vous mettre à l’aise – et c’est souvent le cas – il peut vous déstabiliser aussi ; et, si travailler avec un bon metteur en scène peut-être un grand plaisir, ils s’en trouve quelquefois qui vous donnent l’envie….de fuir. Une équipe soudée est un véritable moment de partage.
Y a-t-il des différences notables entres les divers théâtres, les différents pays où vous vous produisez ?
Chaque artiste a ses lieux, ses atmosphères de préférence. Certains théâtres sont plus ou moins anonymes. Moi, par exemple, j’adore Marseille et son opéra. Chaque passage est comme un retour à la maison, c’est très confortable comme sensation. Cela tient au mode de fonctionnement du théâtre, aux gens qui y travaillent. Une atmosphère ! Je me souviens encore de mon premier passage à Marseille, c’était pour Marouf savetier du Caire de Henri Rabaud ; il y a quelques années déjà.
Comment voyez-vous l’avenir de l’opéra ?
Il faut rester positif et penser que malgré l’évolution inéluctable, l’envie de musique restera. Les problèmes de budgets seront certainement des problèmes déterminants. Même avec des salles pleines, les théâtres, quels qu’ils soient ne font jamais recette. Peut-être les théâtres de provinces devront-ils fermer ou changer leur mode de fonctionnement avec une plus grande centralisation dans les villes importantes ? La diffusion dans les salles de cinéma des spectacles donnés sur les plus grandes scènes internationales est-elle une bonne chose ? je n’en sais trop rien. Il faut donner aux spectateurs le meilleur de soi même ainsi que les meilleurs des spectacles pour que le public ait toujours envie de partager ces moments avec les artistes. Un artiste a des devoirs envers le public, il n’est pas là uniquement pour se faire applaudir, il doit être là par passion. Mais, soyons optimistes, restons un peu léger…

Le public est versatile aussi quelques fois, comment le fidéliser ?
En étant sincère. Le public sait reconnaître cela ; il sait si un artiste est là pour lui. N’oublions jamais que nous sommes en scène pour lui donner du plaisir.
Des projets dont vous voudriez nous parler ?
Quelques projets bien sûr. Une découverte tout d’abord, un opéra de Camille Saint- Saëns Ascanio, dont il n’existe aucun enregistrement, en concert à Genève, puis Hérodiade à Marseille, Faust, encore à Genève, Guillame Tell à Melbourne, puis Pélléas à Paris. Encore quelques voyages à préparer.
Un grand merci Monsieur Lapointe pour ce moment partagé avec nous.