Bayreuther Festspiele 2018: “Tristan und Isolde”

Bayreuth Festspielhaus, 2018
“TRISTAN UND ISOLDE”
Drame musical en trois actes, livret de Richard Wagner.
Musique de Richard Wagner
Tristan STEPHEN GOULD
Isolde PETRA LANG
Marke GEORG ZEPPENFELD
Kurwenal IAIN PATERSON
Melot RAIMUND NOLTE
Brangäne CHRISTA MAYER
Ein Hirte, Junger Seemann TANSEL AKZEYBEK
Ein Steuermann KAY STIEFERMANN
Orchestre et Choeur du Festspielhaus
Direction musicale Christian Thielemann
Chef du Choeur Eberhard Friedrich
Mise en scène Katharina Wagner
Dramaturgie Daniel Weber
Décors Frank Philipp Schlössmann, Matthias Lippert
Costumes Thomas Kaiser
Lumières Reinhard Traub
Bayreuth, le 13 août 2018
La production du Tristan und Isolde que nous écoutions ce soir est la même que celle vue en 2015 et, seul changement dans le cast, Petra lang remplace Evelin Herlitzius dans le rôle d’Isolde pour le  plus romantique des opéras de Richard Wagner et peut-être de toute la littérature lyrique. Composé entre les années 1857 et 1859, ce drame exalte les sentiments amoureux. Si le compositeur est un adepte de la philosophie de Schopenhauer qui voit la rédemption dans l’ascétisme et le rejet des pulsions sexuelles, Richard Wagner s’éloigne du philosophe et écrit dans une lettre à Mathilde Wesendock, inspiratrice de ce drame lyrique : “La joie et l’enchantement merveilleux et enthousiaste, dans les moments les plus élevés de la connaissance ingénieuse…” La rédemption par la mort ne passe donc pas uniquement par la mort, mais aussi par l’accomplissement. Et l’on est en plein romantisme ; la souffrance bien sûr, mais sans oublier la lumière apportée par la jouissance. Le but ultime étant de ne faire qu’un. Une union des âmes, certes, mais sans occulter les corps. Cet amour romantique a inspiré ses plus belles pages à Richard Wagner et, peut-on écouter le prélude du premier acte sans ressentir cet envoûtement qui pousse les deux amants à vouloir mourir ensemble afin de jouir de cette union ultime ? Dans la production de Katharina Wagner rien de très romantique dans le visuel qui puisse exalter les sentiments de l’auditeur. Nous en avions déjà écrit les détails dans le compte rendu du 18 août 2015. Les décors de Frank Philipp Schlössmann et Matthias Lippert nous proposent, à l’acte I, une superposition de coursives, dans le bateau qui emmène Isolde d’Irlande vers les Cornouailles, où les deux héros, déjà amoureux, se cherchent, se trouvent et, ni Kurwenal, ni Brangäne, sentant le drame proche, n’arriveront à les séparer. Nul philtre, nul poison, Isolde veut aimer Tristan. De mariage point pour elle, elle déchire avec force le voile de mariée et étreint Tristan. L’acte II est un véritable enfermement dans un climat malsain. Une pièce sans issue qui contient des barres de fer, sorte de cage, éclairée par des projecteurs tenus par le Roi Marke et Melot qui observent les amants de plus haut. Pour un peu plus d’intimité, une couverture leur servira de tente. Atmosphère lourde, les deux amants songent à mourir, ils s’entaillent les poignets, essaient de se pendre, l’arrivée d’un Roi Marke accusateur mettra fin à ces atermoiements en emmenant Isolde avec force, alors que Melot blesse grièvement Tristan. Fin d’un acte que l’on écoute sans grande émotion. L’acte III s’ouvre sur un joli tableau ; Kurwenal et ses amis veillent Tristan blessé, qui se réveille peu à peu en attendant Isolde qu’il voit en rêve. Elle apparaît dans des triangles lumineux et c’est peut-être l’idée la plus originale ; mais rien de spectaculaire dans la mort de Tristan. Il est placé sur un lit à roulettes alors qu’arrive Isolde. Elle devra chanter son Liebestod assise sur le lit le tenant dans ses bras ; et ce n’est pas facile pour donner de l’expression. Rien de magnanime dans l’attitude du Roi Marke qui, loin de pardonner et de pleurer une Isolde décédée, la prend par la main et la ramène en Cornouailles avec autorité. Ces décors pour le moins étranges, sont loin d’apporter une note romantique à ce drame inspiré du poème médiéval de Gottfried von Strassburg, bien au contraire, l’on rencontre ici une certaine violence dans la manifestation des sentiments et l’on a bien du mal à y trouver une quelconque sublimation. Les lumières de Reinhard Traub ont du mal à créer certaines atmosphères dans les coursives du bateau qui restent dans des teintes bleutées. A l’acte II, les projecteurs éclairent les chanteurs de leurs rais indirects, créant des ambiances lourdes, atténuées par les loupiotes qui entourent la tente. Voulant faire ressortir les côtés dramatiques de l’acte III, les effets de lumière restent sombres, n’éclairant les chanteurs que parcimonieusement. Etranges costumes que ceux imaginés par Thomas Kaiser. Si la robe longue d’Isolde et le long manteau de Tristan bleus tous les deux n’ont rien de spécial, que dire du Roi Marke habillé en jaune de la tête aux pieds, y a-t-il un message à saisir ? Grand feutre jaune, long manteau à revers de fourrure jaune, pantalons et bottes jaunes pour un homme froid et énigmatique. Etrange effet que l’apparition du Roi Marke et de ses acolytes tous de jaune vêtus. Assez décevante, cette conception de Katharina Wagner. Heureusement, et comme toujours, il y a la musique et les voix d’exception. Stephen Gould est, depuis les débuts de cette production, un immense Tristan. Voix puissante à la hauteur de sa stature et de sa prestance. Dans une belle diction projetée, il laisse vibrer les harmoniques contenues dans sa voix pour des aigus éclatants. Il chante avec détermination mais aussi avec beaucoup de tendresse dans ses duos avec Isolde. Souffle, franchise d’émission, intelligence du phrasé, Stephen Gould est un ténor wagnérien solide, dont le style et les respirations lui permettent d’aller jusqu’au bout de l’acte III sans fatigue apparente. Expressif aussi scéniquement, il nous fait ressentir ses doutes, sa peine ou son ultime joie. Superbe ! Alors que nous avions déjà fortement apprécié Petra Lang dans le rôle d’Ortrud ici même dans le Lohengrin de Hans Nuenfels, et dernièrement à l’Opéra de Marseille, production de Louis Désiré, nous la retrouvons avec plaisir dans le rôle d’Isolde. Elle nous avouait d’ailleurs en interview préférer maintenant interpréter ce rôle. On peut tout à fait comprendre qu’il soit, au bout de quelques années de fréquentation d’Ortrud, très agréable de se glisser dans le rôle d’une amoureuse, surtout avec un Stephen Gould comme Tristan. D’autant plus que dans cette production, Isolde est tout à fait déterminée et peut laisser éclater son tempérament, mais toujours dans une grande musicalité. Grande musicienne, elle chante avec intelligence sachant jusqu’où elle peut mener sa voix dans l’éclat de ses aigus colorés ou la tendresse d’un duo de charme avec Tristan. Cette esthétique musicale, les deux chanteurs la partagent avec les sonorités de l’orchestre, sachant même se fondre avec le son du cor. Somptueuse dans la révolte, sensuelle dans la séduction, sa voix aux inflexions nuancées suit ses intentions musicales. C’est sans doute l’homogénéité de cette voix dans chaque registre qui nous séduit le plus, avec des aigus sonores, timbrés, jamais criés. Madame Lang nous démontre encore qu’elle est une grande wagnérienne qui sait conduire son chant, mais qui est aussi douée d’une belle expressivité scénique. Sans doute, cette mise en scène où Isolde dans la Liebestod soutient dans ses bras un Tristan  déjà passé dans l’au delà, nous prive d’un peu d’émotion, obligeant la chanteuse à puiser dans ses réserves. Après avoir été une magnifique Ortrud, Petra Lang nous propose ce soir une somptueuse et vibrante Isolde. Christa Mayer, Brangäne depuis les débuts de la production a gardé, et peut-être même développé, les qualités qui nous avaient séduits alors : la puissance et la chaleur de son mezzo-soprano, sa musicalité et l’homogénéité de sa voix. A l’aise scéniquement, est l’est aussi dans la conduite de sa voix, sachant s’adapter à celle d’Isolde pour un échange harmonieux. C’est avec une voix forte aux graves dramatiques que Christa Mayer passe au dessus de l’orchestre sans forcer. Georg Zeppenfeld, superbe Roi Henri dans Lohengrin il y a quelques jours, est ici un Roi Marke dont la voix de basse fait merveille pour ce roi énigmatique et tout à fait antipathique. Grand, avec une belle allure, il reste scéniquement sur sa réserve et fait montre d’autorité et de peu de mansuétude. Sa voix large nous offre un monologue musical aux respirations appropriées. Dans une diction projetée, Georg Zepprnfeld campe un roi très présent dont la voix forte impressionne et marque les esprits. Très engagé dans le rôle de Kurwenal, Iain Paterson l’est aussi vocalement dans une voix de baryton sûre et bien placée. Il chante avec style et musicalité sachant adapter sa voix aux besoins de la mise en scène. Dans de belles inflexions il mélange tension et expressivité. Excellent Melot de Raimund Nolte, déjà applaudi dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg (Hermann Ortel), qui fait ressortir la duplicité du personnage dans une voix sûre et projetée. Rondeur des sons et projection sont à remarquer. La voix du ténor Tansel Akzeybek, lui aussi apprécié dans Les Maîtres chanteurs (Kunz  Vogelgesang) claire et percutante passe avec fermeté et musicalité dans les rôles du Pâtre et du Jeune marin. Kay Stiefermann est lui aussi un Timonier convaincant. Le Choeur des marins, bien que chanté en coulisses et bien préparé par Eberhard Friedrich se fait entendre avec précision dans une belle homogénéité des voix. Christian Thielemann est à la tête de l’Orchestre du Festival de Bayreuth. Comme à son habitude, il prend l’orchestre à bras le corps et dirige avec aisance et autorité , connaissant les moindres inflexions de cet opéra. Il sait aussi comme personne faire ressortir les sonorités de chaque pupitre ou laisser aux solistes la possibilité de s’exprimer plus librement tout en soutenant les chanteurs, que ce soit dans les sonorités du cor ou du hautbois. L’orchestre suit le maestro avec précision et l’on savoure le moelleux des cordes et la rondeur des cuivres qui ne saturent jamais les sons. Nous avions déjà apprécié la direction de Christian Thielemann dans une précédente interprétation du Ring, mais comme dans le Lohengrin écouté il y a quelques jours, il nous semble que le maestro dirige avec moins de romantisme, marquant un peu trop les temps, le Prélude nous paraissant un peu tendu, précipité et, malgré le superbe son des violons, violoncelles et de la petite harmonie, la magie n’opère pas. Le manque de respirations, l’autorité du chef ? Mais la musicalité de cet orchestre, les qualités de chaque instrumentiste et la grande connaissance de la fosse et des partitions de Richard Wagner, font que ce Tristan und Isolde nous fait entendre de sublimes moments de musique, nous entraînant dans le romantisme, éloignés de la mise en scène. Une ovation accueille chanteurs et chef d’orchestre pour une interprétation magistrale de ce Tristan und Isolde. Photo Enrico Nawrath