Bayreuther Festspiele 2018:”Die Walküre”

Bayreuth Festspielhaus, 2018
“DIE WALKÜRE”
Première journée du Cycle dramatique en un prologue et trois journées de Richard Wagner, livret du compositeur.
Musique de Richard Wagner
Siegmund STEPHEN GOULD
Hunding THOBIAS KEHRER
Wotan JOHN LUNDGREN
Sieglinde ANJA KAMPE
Brünnhilde CATHERINE FOSTER
Fricka, Schwertleite MARINA PRUDENSKAYA
Gerhilde CAROLINE WENBORNE
Ortlinde CHRISTIANE KOHL
Waltraute SIMONE SCHRÖDER
Helmwige REGINE HANGLER
Siegrune MAREIKE MORR
Grimgerde MIKA KANEKO
Rossweisse ALEXANDRA PETERSAMER
Orchestre du Bayreuther Festspiele
Direction musicale Placido Domingo
Régie Frank Castorf
Décors Aleksandar Denic
Costumes Adriana Braga Peretzki
Lumières Rainer Casper
Video Andreas Deinert, Jens Crull
Bayreuth, le 18 août 2018
Pour la première fois le Festival de Bayreuth nous offre la possibilité de voir Die Walküre sortie du contexte du cycle du Ring. Ces représentations sont données dans la production de Frank Castorf 2013 / 2017, avec quelques uns des chanteurs des débuts de la production. En effet, la direction du Bayreuther Festspiele veut en finir avec le mythe selon lequel Richard Wagner ne souhaitait en aucun cas que ses quatre oeuvres : Das Reingold, Die Walküre, Siegfried et Götterdämmerung soient jouées séparément, objectant que le cycle du Ring des Nibelungen est une oeuvre totale. Die Walküre est le double drame où s’affrontent dieux et mortels, laissant déjà entrevoir Die Götterdämmerung et la destruction de la société corrompue des dieux. Dans sa construction musicale, Richard Wagner introduit les leitmotive symboliques, faisant ressortir ainsi des évènements évoqués ou d’anticipation. Die Walküre, partie la plus appréciée du Ring par le public (ce qui chagrinait Richard Wagner), est certainement à elle seule une oeuvre à part entière, avec le sacrifice en référence au théâtre grec. Wotan, tel Agamemnon avec Iphigénie, ne sacrifie-t-il pas sa fille préférée Brünnhilde après avoir aussi sacrifié son fils Siegmund ? Die Walküre est donc “la première journée” du Ring, Das Rheingold étant considéré comme le prologue. Nous ne reviendrons pas sur le Ring dans son entier, fortement hué à la fin de Die Götterdämmerung lors de la première, alors que Frank Castorf était venu saluer. Le metteur en scène très étonné avait d’ailleurs fort mal pris la chose. Modernisant ce Ring, il met l’accent sur l’or bien sûr, mais l’or noir du pétrole. C’est donc dans les années 1890 (début de l’ère du pétrole) que Frank Castorf situe cet opus du cycle du Ring. Les personnages sont là, mais dans un contexte tout à fait étranger au récit. Pour bien nous faire comprendre l’argument, le programme de salle consacre quelques pages à la genèse, à cette révolution même, que constitue l’arrivée du pétrole pour la civilisation, la culture mais aussi l’ordre du monde. Nous sommes à Bakou et, à l’aide d’inscriptions en écriture cyrillique et de vidéos en noir et blanc, on nous explique ce qui aurait pu nous échapper à la lecture du programme, d’ailleurs très intéressant d’un point de vue historique. De l’oeuvre et du concept de Frank Castorf, pas grand chose. Les décors d‘Aleksandar Denic nous emmènent sur un puits de pétrole. Des charpentes en bois sur un plateau tournant nous font entrer dans une ferme avec dindons en cage et bottes de foin où vivent Hunding et Sieglinde puis, sur une tour de forage ou une sorte de mirador surmonté d’une étoile rouge lumineuse. Très chargé, très fouillis, l’on peut tout imaginer dans ce luxe de détails dont nous n’avons que faire. Les Walkyries sont sur une plateforme où l’on boit. De chevauchée ? point ! Qu’a voulu nous expliquer Monsieur Castorf que nous ne sachions déjà quant au pouvoir et au pouvoir de l’argent ? Et la révolution russe de 1917 vient-elle ici à propos ? Les costumes d’Adriana Braga Peretzki sont un mélange de traditionnel et d’extravagant. Sieglinde, robe de nuit au décolleté plongeant retrouve un Siegmund en long manteau. Wotan, même s’il lit la Pravda, ressemble à un sage juif, long manteau noir et longue barbe grise. Fricka par contre est vêtue telle une déesse antique, long manteau sombre taillé dans un riche tissu broché, tête ceinte par un diadème doré. Hunding, mi-bourgeois mi-homme d’affaires porte un chapeau haut-de-forme huit-reflets et une redingote. Ce sont les Walkyries, gardiennent des traditions, qui arrivent dans des costumes déjantés, très près de déguisements anarchiques et anachroniques. Mais pas de quoi crier au scandale dans ce méli-mélo visuel. les lumières de Rainer Casper créent des effets de brouillard, d’éclairages sombres en clair-obscur ou de lumières plus franches pour l’arrivée des Walkyries. Les vidéos de Jens Crull et Andreas Deinert sortes de vieux documents, sont tout à fait inutiles dans cet opéra et même dans ce concept. Nous nous concentreront alors sur les voix tout en remarquant que si le contexte scénique est déplaisant, la direction des acteurs, par contre, est très efficace, donnant aux chanteurs rythme et mouvements appropriés. Stephen Gould, déjà très applaudi dans le rôle de Tristan il y a quelques jours, très en forme vocalement nous paraît peut-être encore plus à l’aise dans ce rôle. Sans doute est-ce dû à l’écriture musicale. Il est un Siegmund à la voix généreuse et au jeu scénique parfait, ni trop ni pas assez. C’est un Siegmund plus que crédible par ses attitudes mais avant tout par sa voix. Une voix colorée et homogène qui laisse la sensibilité l’envahir dans un “Winsterstrüme wichen dem wonnemond”, chant du printemps, poétique ou un duo avec Sieglinde très équilibré. Voix émouvante par la rondeur du son dans le bas médium et dans des envolées romantiques qui laissent vibrer les harmoniques. Superbe interprétation aux accents douloureux empreints de tendresse d’un Stephen Gould dont la technique lui permet d’enchaîner deux rôles tels Tristan et Siegmund sans la moindre faiblesse. Un immense bravo ! Wotan est le baryton dramatique suédois John Lundgren, qui pose ici sa voix et son autorité. Il chante aussi actuellement sur cette même scène le Hollandais dans le Vaisseau fantôme. Si Wotan est le dieu incontesté, il a aussi ses doutes. Une voix forte qu’il utilise avec le calme qu’autorise le pouvoir. A l’aise vocalement dans son récit, sa voix s’élargit dans la colère, et c’est avec une grande maîtrise de la voix que John Lundgren laisse percer ses sentiments de père face à Brünnhilde. Dans cette  voix sûre et affirmée, il est un Wotan qui sait que la fin du règne est proche. Une autre voix grave est celle de Tobias Kehrer qui interprète Hunding et que nous avions déjà applaudi dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg (Nachtwächter). C’est un mari jaloux et cela s’entend et se voit. Voix grave de basse qui résonne dans un bas médium projeté. Tobias Kehrer a une voix solide et sombre qui affronte celle de Stephen Gould dans un échange où filtre une violence difficilement contenue. Ces trois voix d’hommes bien que différentes font preuve d’homogénéité dans le style et le timbre. Face à ces trois caractères masculins, trois femmes aux voix et aux caractères bien trempés. La Sieglinde d’Anja Kampe, n’a rien d’une femme soumise. Elle sait ce qu’elle veut et cela s’entend dès les premières notes. Aucune faiblesse dans sa voix, aucune baisse de tension non plus même lorsque sa voix se fait plus sensible ou charmeuse. La soprano italo-allemande garde la puissance d’un timbre coloré aux aigus somptueux. Seule ou en duo, la qualité du phrasé et la conduite de son chant font d’elle une superbe Sieglinde à la hauteur de la voix et du charisme de Siegmund ; mais ne sont-ils pas jumeaux ? Autre voix très remarquée et applaudie, celle de Catherine Foster, la Brünnhilde des débuts de la production. Sa voix s’est arrondie tout en gardant son caractère de fille rebelle et de Walkyrie. Une voix qui passe des aigus aux graves avec souplesse, une voix expressive, sensible aussi, aux belles inflexions. Elle se déplace avec aisance, changeant rapidement d’expression et vocale et scénique. Ses aigus sont projetés avec vigueur dans des Hojotoho éclatants. La soprano anglaise fait preuve d’une belle présence mais aussi d’une grande connaissance vocale du rôle qui demande beauté de la voix, puissance et sensibilité. Autre voix féminine de caractère est celle de Marina Prudenskaya qui campe une Fricka autoritaire à la voix sombre et énergique. Dans son costume élégant, elle évolue avec aisance. Hautaine dans son maintien elle affronte Wotan d’une voix puissante aux aigus amples et projetés. De belles prises de notes assurent sa voix dans des attaques sans brutalité. Marina Prudenskaya qui avait commencé par chanter dans cette production, le rôle de Waltraute (Götterdämmerung) est une Fricka au timbre chaud qui marquera ce rôle. Caroline Wenborne, Christiane Kohl, Simone Schröder, Regine Hangler, Mareike Morr, Mika Kaneko et Alexandra Petersamer sont des Walkyries que l’on apprécie et qui se font remarquer pour la précision et la pertinence de leurs interventions. Nous étions impatients d’écouter la version musicale d’un Placido Domingo à la baguette dans cet opéra qui demande une grande connaissance de l’oeuvre, mais aussi de la fosse dans cette configuration unique et particulière du Festspielhaus et, nous pensons toujours, que, malgré le talent on ne s’improvise pas chef d’orchestre et diriger pour la première fois La Walkyrie à Bayreuth est plus qu’une gageure. Mais sans doute, Placido Domingo voulait-il inscrire l’Orchestre du Bayreuther Festspiele à son palmarès. C’est chose faite. Etait-ce bien judicieux ? La question reste posée. A vouloir se faire plaisir à tout prix… On a certainement connu mieux comme direction mais cela ne méritait pas d’être sifflé ; on peut tout simplement sourire devant l’ego de Monsieur Domingo. Evidemment, devant la cherté des places le spectateur est sans doute en droit d’attendre le top en toutes choses. Que reprochait-on au chef d’orchestre ? Trop lent dira-t-on. Mais par rapport à qui ? Si l’on se réfère à la version de Marek Janowski l’année dernière, Placido Domingo a perdu 20 minutes, mais l’opéra n’est pas un marathon et à l’époque où les chefs d’orchestre allemands dirigeaient plus lentement on pouvait certainement trouver des versions plus lentes. Alors, cet orchestre qui pourrait presque jouer tout seul a encore été excellent hier soir avec de très belles sonorités. Il y a eu de beaux moments dans la précision et les intensions musicales, avec les splendides sonorités du quatuor et de l’harmonie, mais aussi certains équilibres ratés avec des timbales trop puissantes ou des temps trop marqués. Mais c’est surtout la Chevauchées des Walkyries, pas assez rythmée et pas assez énergique qui est un peu passée à la trappe. Insipide et poussive cette chevauchée – cheval de bataille, si l’on peut dire, et thème le plus connu de tout le Ring. Nous ne resterons pas sur cette note négative car l’ensemble, chanteurs et orchestre ont fait un travail remarquable dans la qualité et la musicalité. Et Richard Wagner qui ne voulait pas que l’on aperçoive le chef d’orchestre, voulant rester le seul maître des lieux, doit être content. Seule la musique est souveraine ici ; avec le concours des artistes bien entendu. Photo Enrico Nawrath