Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2019 : Augustin Dumay & Jean-Philippe Collard

Auditorium Campra, Conservatoire Darius Milhaud Aix-en-Provence, Saison 2019
Violon Augustin Dumay
Piano Jean-Philippe Collard
Robert Schumann: Drei Romanzen, Op. 94
Johannes Brahms: Sonate F-A-E, Scherzo en do mineur
Sonate No3 en ré mineur, Op. 108
César Franck: Sonate en la majeur, FWV 8
Aix-en-Provence, le 24 avril 2019
Un autre concert, une autre perle pourrait-on dire nous était offerte en cette soirée du 24 avril dans l’Auditorium Campra du Conservatoire Darius Milhaud par le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence. Un duo de charme et de délicatesse proposé par Augustin Dumay et Jean-Philippe Collard, deux artistes qui se connaissent bien, s’apprécient et jouent ensemble depuis longtemps pour un programme d’une littérature musicale très classique écrite pour ces deux instruments. Augustin Dumay, qui a récemment subi une intervention chirurgicale, a tenu à honorer ses engagements. Arrivant avec des béquilles, légèrement appuyé su une haute chaise, le musicien s’installe, et rien ne transparait dès qu’il pose l’archet sur son violon Guarnerius. Les deux solistes abordent les Trois Romances op.94 de Robert Schumann avec un grand calme. Les sons posés du piano, dans un joli toucher, laissent porter au loin les notes du violon jouées dans un grand déploiement d’archet. C’est sans doute la musicalité que l’on retient du deuxième mouvement joué avec délicatesse dans un tempo plus allant bien qu’affirmé, ou interprété avec une force qui reste raisonnable. Notes tenues, soutenues par un violoniste qui sait garder une homogénéité de son sur chaque corde, répondant avec chaleur à l’exposé du piano. La beauté de la mélodie de ce troisième mouvement ressort jusque dans le léger portamento qui anime la phrase musicale. La musique de Robert Schumann est ici interprétée avec beaucoup de délicatesse. Si la quatrième corde résonne avec chaleur, le vibrato jamais excessif laisse percevoir des sentiments très nuancés. Deux artistes habités qui interprètent une musique délicate dans une même esthétique musicale. Le Scherzo en do mineur de la Sonate F-A-E pour violon et piano de Johannes Brahms est lui plus fougueux. De cette sonate écrite par les trois compositeurs que sont Brahms, Schumann et Albert Dietrich ne reste que ce Scherzo, souvent joué en concert. Originale sonate composée pour le violoniste Joseph Joachim : F-A-E en référence aux notes fa, la, mi. Le piano puissant s’oppose au staccato sonore du violon et la phrase romantique exprimée par le pianiste laisse le violoniste jouer en contre-chant ; pour un instant seulement, la passion revenant avec force. La Sonate no3 de Johannes Brahms, en quatre mouvements, dédiée au chef d’orchestre Hans von Büllow, est créée en décembre 1888. On y retrouve l’écriture passionnée du compositeur, avec des envolées qui retombent pour laisser place à d’autres phrases jouées mezza voce. Un véritable duo de charme qui s’exprime dans un total respect de l’autre et, malgré des moments de grande force, jamais le son du violon n’est couvert par l’éclat du piano. Si la tension retombe, le feu couve et jamais ne s’éteint avec l’extraordinaire sonorités des cordes graves qui portent au loin sur de longues tenues. L’osmose entre les deux artistes est palpable ; une grande intelligence d’interprétation qui sait maîtriser les sentiments tout en laissant libre cours à le sensibilité. Un poco presto expose un propos à deux voix. Superbe prise de note à la pointe de l’archet et belles nuances d’un piano pour un dialogue à deux voix. Aucune dureté, jamais, dans ce vivace joué forte, mains qui parcourent le clavier avec agilité, main gauche précise du violoniste, explosion des deux voix dans une même expression. Puissance et beauté du son qui porte et s’en va au loin. Splendide ! Musique française avec César Franck. Le vibrato se fait plus intense et le legato se fait entendre au piano. Musique moins passionnée, mais avec l’élégance du phrasé. Le toucher du pianiste fait ressortir un son expressif, un dialogue se noue et les sentiments plus exacerbés s’expriment sur un petit détaché plus agité. Les deux artistes jouent avec simplicité dans une musicalité toute naturelle. Phrases sentimentales jouées comme une évidence ou avec plus d’énergie, mais rien n’arrête la fluidité du jeu, ni les atmosphères changeantes, ni non plus la puissance des sentiments. Le vibrato est plus soutenu, les notes du piano deviennent plus appuyées mais l’équilibre des deux voix reste patent. L’élégance d’un archet déployé avec aisance, une justesse parfaite, une technique qui donne une apparence de facilité conjuguées au toucher délicat du pianiste et à sa grande musicalité ont fait de ce duo un duo de charme, et de ce moment musical, un moment de rêve. Deux bis joués simplement pour faire plaisir et terminer cette soirée sur des instants de délicatesse et d’élégance sentimentale : Salut d’amour d’Edward Elgar et Sicilienne de Maria Theresia von Paradis. Un concert qui laissera le souvenir d’un moment de grâce et d’élégance, mot qui revient souvent ici et qui manque tellement dans la société actuelle. Elegance du jeu, élégance de la forme, élégance des sentiments… Photo Caroline Doutre