Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2019: Renaud Capuçon, Lahav Shani & Wiener Symphoniker

Grand Théâtre d’Aix-en-Provence, Aix-en-Provence saison 2019
Wiener Symphoniker
Direction musicale Lahav Shani
Violon Renaud Capuçon
Paul Dukas:Fanfare pour précéder La Péri ; “L’apprenti sorcier”
Maurice Ravel: “Tzigane”, rhapsodie de concert pour violon et orchestre en ré majeur, M. 76; “Daphnis et Chloé”, suite pour orchestre No2, M. 57b – I. lever du jour – II. Pantomime – III. Danse générale;”La Valse”, poème chorégraphique pour orchestre. M. 72
Ernest Chausson: Poème pour violon et orchestre, op. 25
Aix-en-Provence, le 15 avril 2019

Proposition de choix faite par le Festival d’Aix-en-Provence pour ce concert du 15 avril : le Wiener Symphoniker dirigé par le chef d’orchestre Lahav Shani dans une programmation toute française. Promesse d’une soirée musicale exceptionnelle avec en soliste le violoniste Renaud Capuçon. Après une soirée, la veille, passée dans le domaine des morts, l’annonce de la cathédrale Notre-Dame de Paris en flammes laissait le public consterné sans bien comprendre ce qu’il avait pu se passer. Et, commencer ce concert par l’Apprenti sorcierL’arrivée des musiciens, les hommes en habits, les femmes en robes longues, nous assurait sans doute un concert joué de façon traditionnelle. Cette phalange prestigieuse n’a cessé, depuis sa création en 1900, d’être dirigée par des chefs prestigieux aussi : Bruno Walter, Wilhelm Furtwängler, Herbert von Karajan, Wolfgang Sawallisch…et Georges Prêtre, chef français titulaire de 1986 à 1991. Sans doute ce dernier a-t-il su insuffler aux musiciens ce souffle, ces respirations qui sont l’essence même de ces musiques à l’honneur ce soir. Nous entrons sur la pointe des pieds, avec le son détimbré de la clarinette, dans l’atelier d’un sorcier. Lentement nous entrouvrons la porte et tout de suite – pouvons-nous occulter le Mickey de Walt Disney se battant avec ses balais ? – nous apercevons le jeune apprenti en sorcellerie. Musique jubilatoire au début, si bien imagée par Paul Dukas, cordes grinçantes, trompettes glorieuses, cuivres héroïques entraînés par un chef aux gestes précis et élégants. Mais le temps se gâte, notre apprenti est vite dépassé, il appelle à l’aide au son de trois notes répétées avec force par les trompettes. Frénésie à l’orchestre dans un ensemble parfait. Chacun joue sa partition, déchaîné, sans plus faire attention au pauvre apprenti. Basson, contrebasson, cuivres…mais le calme revient aux sons langoureux de la clarinette et de l’alto solo, les objets se sont calmés et les notes égrainées par le glockenspiel laissent l’apprenti anéanti et penaud. Admirable orchestration, admirablement exécutée par un orchestre précis qui rend chaque image, chaque atmosphère avec justesse. Les sonorités sont contrôlées mais ressortent avec intensité suivant l’action et les sentiments ; ensemble des cordes aux archets millimétrés, cuivres d’une homogénéité féroce, mais aussi sensibilité des pianissimi. Nous changeons de registre avec Tzigane, de Maurice Ravel, écrit en 1924, et que le compositeur qualifiait de “Morceau de virtuosité dans le goût d’une rhapsodie hongroise”. Renaud Capuçon fait, d’entrée, sonner son Guarneri del Gesù Panette” sur la quatrième corde, seul devant l’orchestre, comme une improvisation. Léger Portamento avec chic, du tempérament mais sans appuyer, laissant à la musique de Ravel tout son charme et toute sa finesse. La technique sans failles du violoniste est là, bien sûr, mais mise au service de la musique. Belles attaques, respirations qui laissent résonner les harmoniques, doubles cordes d’une justesse absolue, chaleur du timbre, agilité de main gauche jusque dans ses pizzicati sur un tempo endiablé ; tout est là pour donner la virtuosité voulue par Maurice Ravel, mais avec le charme et la justesse de style qui caractérisent le jeu de Renaud Capuçon. Ravel toujours avec Daphnis et Chloé composé entre 1908 et 1912 ; cette musique de ballet illustre le roman grec éponyme de Longus. Nous écoutons ici la suite pour orchestre. On y retrouve le style et toutes les couleurs chères au compositeur, très bien rendues par l’orchestre dirigé de façon magistrale par Lahav Shani qui laisse ressortir les sonorités de certains instruments que l’on retrouve très souvent dans l’écriture de Maurice Ravel : flûte en sol au son grave et moelleux, clarinette en mi bémol au son aigrelet, contrebasson au son venu des profondeurs, castagnettes, célesta…ambiance pastorale où évolue le berger Daphnis. Son venu de loin, éthéré, pour le lever du jour, gestes large du chef d’orchestre qui fait briller le soleil, joli phrasé, notes posées de la petite harmonie. Une Pantomime rapide fait ressortir la précision de l’orchestre dans les moindres nuances avec un long solo de flûte en sol aux sons graves ou un tendre solo de violon. Larges sonorités pour une Danse générale qui anime les altos et laisse le quatuor déferler en vagues somptueuses. Superbe interprétation où percent déjà les accents de la prochaine Valse dans un immense crescendo. Le Poème d’Ernest Chausson – que le compositeur avait initialement intitulé “Le chant de l’amour triomphant”, offre au violoniste Renaud Capuçon une palette de couleurs et de sonorités vibrantes qui vont des sentiments intériorisés à des phrases passionnées exprimées par l’intensité du vibrato. Archet affirmé qui court sur les cordes avec fluidité ou plus maîtrisé. Impressionnant le calme du violoniste qui contrôle les sentiments et la justesse d’expression jusqu’au bout du souffle. Un immense bravo !  Mystère de La Valse de Maurice Ravel qui débute avec les bassons, élégance des envolées, des notes suspendues, ensemble des archets et contrastes des nuances qui caractérisent la musique du compositeur avec ces accélérations et ces arrêts en suspension. Glissando de la harpe pour se remettre dans le tempo qui accélère avec frénésie. Timbales, cymbales marquées, quatuor endiablé, déferlement de sonorités. Superbe interprétation aux sonorités généreuses. Le jeune chef d’orchestre, qui vient d’être nommé directeur musical de l’Orchestre philharmonique d’Israël, musicien jusqu’au bout des doigts – c’est un pianiste talentueux – et de sa baguette, a pris à bras le corps cet orchestre, un des meilleurs du monde, pour nous offrir cette soirée de musique absolue. L’orchestre revient à ses racines avec deux bis de Johann Strauss fils : Frühlingsstimen (Les voix du printemps) et Furioso Polka, enlevées, jouées avec humour et précision dans un style purement viennois cette fois. Un régal ! Photo Caroline Doutre