Entretien avec le mezzo-soprano Petra Lang

Entre deux représentations du Lohengrin donné à Marseille en ce mois de mai 2018, Petra Lang, qui interprète ici le rôle de Ortrud qu’elle chantait au Festspielhaus de Bayreuth dans la dernière production de Hans Neuenfels, répond avec gentillesse à nos questions pour les lecteurs du magazine GBopera. Charmante, joyeuse, elle nous offre un peu de son temps avec une grande générosité.
Madame Lang, parlez-nous du chemin qui vous a conduite à faire de la musique votre profession.
Si ma mère qui avait une très jolie voix faisait partie d’une chorale, rien ne laissait prévoir pour moi une carrière musicale. Mais toute jeune déjà j’aimais le chant, la comédie, et les disques que l’on trouvait chez moi servaient de support à mes travestissements. Mon père m’a laissée apprendre le violon, l’alto aussi, à l’école de musique avec un excellent professeur. Ces deux instruments, et l’alto plus encore, sont proches de la voix. Mais à cette époque, je ne pensais pas à chanter, et le remarquable enseignement que j’ai reçu m’a énormément servi pour la transmission à mes élèves, plus tard. Jouer dans un orchestre, en musique de chambre et enseigner à de jeunes violonistes m’ont ouvert les portes de la musique sous différentes formes. Une erreur d’orthographe dans l’écriture de mon nom m’a fait entrer dans une classe de chant où le professeur m’a assuré que sans nul doute…là était ma voie.
Pensez-vous que l’étude d’un instrument, et particulièrement celle du violon, soit importante dans la conduite de la voix mais aussi du phrasé ?
Certainement. Commencer par l’étude d’un instrument c’est entrer directement dans la musique et, de ce fait, dans la musicalité, le phrasé et le souffle. La technique instrumentale apprend la rigueur, cette rigueur qui plus tard donnera la liberté de l’interprétation. L’archet du violon est la ligne de chant, le souffle des chanteurs.
Vous avez débuté avec des compositeurs aussi différents que Monteverdi (L’Incoronazione di Poppea), Rossini (Il barbiere di Siviglia), Verdi (la Traviata, Don Carlo), tout en passant par Richard Strauss (Ariane à Naxos), Béla Bartok (Le Château de Barbe-Bleue) où Alban Berg  (Wozzeck). Sont-ce les compositeurs qui vous ont amenée à Richard Wagner ou la couleur de votre voix, ou tout simplement votre culture allemande ?
Il est vrai que la fréquentation de divers compositeurs est une ouverture vers les  différents styles et les phrasés autres, qui vont avec la langue dans laquelle ils ont écrit. J’ai beaucoup aimé chanter Rosina, Rossini demande de la légèreté et changer de compositeur exige une grande flexibilité. Mais Richard Wagner est pour moi comme un retour à la maison. C’est évidemment ma culture et ma langue, et le texte a beaucoup d’importance pour moi ; il faut dire ce texte, s’en servir pour projeter sa voix. Richard Wagner les a écrits lui-même, aussi le choix des mots est en rapport avec la musique et les respirations ; je m’y sens très bien, c’est très confortable et laisse une grande liberté à l’expression. Mais il faut revenir à d’autres compositeurs, les travailler pour soi, Mozart particulièrement, c’est comme jouer du Bach pour les pianistes. C’est un retour aux bases fondamentales pour garder une bonne santé vocale.
On vous considère maintenant comme une grande spécialiste de la Musique de Richard Wagner, y trouvez-vous votre épanouissement profond ?
Je chante encore “Le Château de Barbe-Bleue” de Béla Bartok, et j’ai beaucoup aimé interpréter la musique d’Hector Berlioz, le rôle de Cassandre (Les Troyens) me convenait très bien avec la déclamation, la tragédie qui se rapprochent du théâtre classique; il m’a fait obtenir différents prix (prix du disque et Grammy Awards). Marguerite de La Damnation de Faust fut aussi un plaisir. J’aurais peut-être aimé aborder le rôle d’Herodias (Salomé de Richard Strauss), mais je vois maintenant que cela n’aurait pas été bénéfique pour moi. J’ai côtoyé Gustav Mahler avec délectation pendant 19 années, ses symphonies, ses lieder, mais maintenant la page est tournée et, sans aucun regret, je laisse à d’autres ces admirables pages de musique. La musique de Richard Wagner me comble vocalement, musicalement aussi bien que scéniquement. Mon premier rôle Wagnérien a été Waltraute (le crépuscule des dieux) et cela a été pour moi une libération vocale.

Après avoir chanté des rôles de mezzo-soprano, vous avez abordé, dès 2012, le registre soprano. Qu’est-ce qui a guidé ce choix ?
J’ai eu d’excellents professeurs de chant, Ingrid Bjöner et Astrid Varnay qui m’avaient donné des bases solides et fait travailler les aigus. Et, voyez-vous, la frontière entre le mezzo-soprano et le soprano est très mince chez Richard Wagner. Peut-être juste une question de couleur. J’ai eu envie d’aborder le rôle de Brünnhild et je dois dire que je m’y suis sentie très à l’aise. La voix ne me posait aucun problème mais j’ai dû reprendre totalement ma technique pour une meilleure projection, pour assurer les aigus. Brünnhild, Isolde, sont des rôle dont je ne saurais me passer.
Le rôle d’Ortrud est un rôle assez maléfique ; est-il plus facile de se glisser dans la personnalité d’une méchante ?
Le rire franc de Petra lang nous éclaire sur sa façon d’aborder ses rôles, avec professionnalisme, mais aussi avec un certain recul. Non, dit-elle, ce personnage est tellement éloigné de ma personnalité. Mais difficile ne veut pas dire inintéressant. Le caractère d’Ortrud change un peu suivant les metteurs en scène ; savez-vous qu’à Marseille, j’aurai interprété ce rôle 108 fois ? Louis Désiré voit en Ortrud une femme plus méchante. C’est intéressant à jouer et aussi à chanter.
Qu’est-ce qui détermine le choix des productions dans lesquelles vous chantez, le chef d’orchestre, le théâtre, ou le metteur en scène ?
Tout simplement les propositions qui me sont faites. Si cela me plait, si la proposition arrive au bon moment pour ma voix, alors je n’ai pas d’objection.
Vous arrive-t-il de refuser, plus tard, si vous vous apercevez que la production ne correspond pas à ce que vous attendiez ?
Je suis d’un naturel assez souple et je suis là pour travailler. Le chanteur est un passeur entre le compositeur et le metteur en scène, et je fais de mon mieux pour m’intégrer à la production. Ce qui est important c’est le succès du spectacle, ce n’est pas un problème d’ego.
Les metteurs en scène ont parfois des idées très étranges, ainsi cette production de Lohengrin, assez controversée, donnée à Bayreuth dans une mise en scène de Hans Neuenfels où le peuple avait pris la forme de rats. Dérangeante cette production ou contraire stimulante ?
Les rats ? J’ai bien aimé, c’était une idée originale et pour cette production nous avons beaucoup travaillé. Le metteur en scène doit savoir ce qu’il veut et où il va puis, il y a toujours la possibilité de discuter, de s’exprimer sur ce qui peut déranger. Alors, quelques aménagements peuvent-être apportés. En principe, je fais ce que je dois, mais il faut que je comprenne l’idée et ce que l’on me demande.

Etes-vous plutôt traditionaliste où vous laisseriez-vous entraîner comme le public allemand vers des productions qui bousculent les idées reçues ?
Le public a changé, il veut, certes, comprendre ce qu’il se passe sur scène mais, dans une époque où tout va très vite, il faut éviter l’ennui. Les anciennes mises en scène ne font plus recette, certains les voient comme démodées. Alors, à mon sens et sans trahir la musique, il faut transposer tout en restant cohérent.
Y a-t-il des théâtres où vous aimez chanter plus particulièrement ? Des lieux où l’on se sent bien immédiatement ?
Certainement. J’aime beaucoup chanter à Bayreuth, pas simplement à cause du lieu mythique, ni de la présence du compositeur que l’on sent un peu partout, mais aussi par le fonctionnement et la façon dont on y travaille ; c’est sans doute un tout qui ne s’explique pas vraiment. Mais c’est à chaque fois pour moi un véritable plaisir que d’y retourner.
Quels sont vos rapports avec les chefs d’orchestre, sont-ils importants pour les chanteurs ?
Certes, le chanteur dépend beaucoup des chefs d’orchestres, une question de tempo, de respirations, mais dès que vous travaillez avec un bon chef, il n’y a aucun problème. Et puis, j’ai une technique – dit-elle avec un petit sourire – c’est l’humour. Il est difficile de résister à l’humour. Une fois pourtant… mais je n’en dirai pas plus.
Etes-vous inquiète pour pour l’avenir de la musique et de l’opéra en particulier ?
Je ne suis pas particulièrement inquiète, on aura toujours besoin de musique, mais il y a maintenant une politique de l’argent qui fait évoluer les choses dans un sens un peu dangereux. Alors, il faut rester positif et aider le développement de la musique et des théâtres d’opéras. Mais il faut aussi garder un grand respect pour le public.
Vous donnez des Master class, quels conseils donneriez-vous à de jeunes chanteurs voulant se lancer dans cette carrière ?
Dans un premier temps, la patience. Il ne faut jamais aller trop vite, surtout avec la voix. Et, cette politique de l’argent dont nous parlions, fait que le jeune chanteur peut se perdre, et irrémédiablement. Il ne faut pas chanter tout et trop rapidement, mais laisser la personnalité se développer. On apprend beaucoup dans les théâtres, vocalement mais aussi scéniquement. Il ne faut pas oublier que le jeu de scène aide  la voix dans sa projection, sa puissance ; il faut donc le temps de travailler tout cela.  Si l’on demande de la sincérité aux metteurs en scène, l’on en demande aussi aux chanteurs. Je leur dirais de rester authentiques.
Merci Madame Lang pour ce moment passé en votre compagnie.