Festival d’Aix-en-Provence, saison 2016:”Così fan tutte”

Festival d’Aix-en-Provence, saison 2016
“COSI FAN TUTTE”
Dramma giocoso en deux actes, livret de Lorenzo Da Ponte
Musique de Wolfgang Amadeus Mozart
Fiordiligi   LENNEKE RUITEN
Dorabella   KATE LINDSEY
Despina   SANDRINE PIAU
Ferrando    JOEL PRIETO
Guglielmo   NAHUEL DI PIERRO
Don Alfonso   ROD GILFRY
Orchestre Freiburger Barockorchester, Choeur  Cape Town Opera Chorus
Direction musicale Louis Langrée
Chef de Choeur Marvin Kernelle
Continuo Roberta Ferrari
Mise en scène Christophe Honoré
Décors Halban Ho Van
Costumes Thibault Vancraenenbroeck
Lumière Dominique Bruguière
Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence, le 30 juin 2016
Pour cette soirée d’ouverture de sa 68ème saison, le Festival d’Aix-en-Provence nous proposait l’oeuvre de Wolfgang Amadeus Mozart Cosi fan tutte ; celle là même, qui ouvrait en 1948, un festival commencé avec peu de moyens, mais qui allait perdurer jusqu’à ce jour avec le succès que l’on sait. Est-ce une volonté des directeurs de théâtres de programmer les mêmes ouvrages dans une seule saison ou un manque de coordination ? Toujours est-il qu’après avoir écouté Cosi fan tutte à Toulon en novembre, puis à Marseille au mois d’avril, nous retrouvons cet opéra aujourd’hui à Aix-en-Provence. Si ces programmations manquent d’originalité, elle ont au moins le mérite ( en est-ce bien un ) de comparer les styles et les approches des metteurs en scène et de leurs productions. Edmonde Charles-Roux, – à l’origine de ce festival avec Gabriel Dussurget – avait trouvé les décors de Geoges Wakevitch de 1948 ” exquis mais improvisés “; que penserait-elle de cette nouvelle approche? Quant à nous, Nous nous demandons s’il est bien judicieux actuellement, alors que la colonisation et l’esclavage refont surface pour être montrés du doigt, de mettre en scène l’Afrique et plus spécialement l’Erythrée sous la domination de l’Italie de Mussolini, avec viol de femmes autochtones. Mais où donc est caché Mozart qui arrivait à traiter des sujets délicats avec fraîcheur tout en n’occultant pas le côté sombre de certains personnages ? La légèreté du propos et son marivaudage sont bien loin. De Naples, point, nous sommes dans un village de garnison perdu à l’orée de la deuxième guerre mondiale. Nos deux jeunes héros un peu naïfs, sont devenus des soldats débauchés qui n’hésitent pas à violer des femmes indigènes et qui se déguiseront en mercenaires africains afin de mettre à l’épreuve leurs fiancées, devenues ici des filles de colons, prêtes à se laisser séduire par de jeunes mâles à la peau bronzée. La mise en scène de Christophe Honoré, qui signe ici sa troisième mise en scène d’opéra, est donc assez déprimante et même assez glauque, avec une bonne direction des acteurs toutefois, mais qui va dans un sens qui surprend tant les spectateurs qui sont venus assister à un opéra buffa et non à un dramma sauce africaine, qu’ils en oublient d’applaudir les chanteurs. Que dire des scènes de sexe affligeantes, aussi bien au premier acte qu’au second, ou des allusions aux multiples partenaires de nos héroïnes qui laisseront des traces puisque Fiordiligi semblera délaissée à la fin de l’opéra ? Seuls les hués saluant le metteur en scène répondront à cette question. Si, dès l’ouverture du rideau, le décor conçu par Alban Ho Van nous montre un tableau orientaliste – murs ocres et ouverture en moucharabieh – bien imaginé et joli à regarder, le deuxième acte, lui, nous transporte à l’intérieur du bâtiment. Est-ce l’intérieur d’une caserne ? Le drapeau flottant en haut d’un mât pourrait le laisser supposer. Tout est gris, terne, misérabiliste, portant à l’ennui ; seule, la table dressée pour le mariage apporte une note de couleur. Mais cela ne suffit pas à rendre ce spectacle attractif. Les lumières de Dominique Bruguière, laissant présager le meilleurs au début avec les teintes chaudes de l’orient, déçoivent par le côté terne de l’acte II. Il en sera de même pour les costumes créés par Thibault Vancraenenbroeck qui mélange les tenues militaires au costume en lin clair de Don Alfonse, pur exemple du colon cynique et désoeuvré, et aux costumes croisés des deux mercenaires aux têtes crépues. Les femmes portent de petites robes claires ou un short blanc typiques des années d’avant guerre.
Nous dirons que le plateau, très homogène, reste toutefois à la hauteur de la mise en scène, c’est à dire assez terne, avec des voix qui se marient bien entre elles, ne faisant ressortir aucune individualité dans les ensembles. Si c’est une bonne chose, tout ceci manque toutefois d’éclat individuel. On pourrait trouver la voix de soprano de Lenneke Ruiten (Fiordiligi) un peu fluette au début, avec des graves sans grande résonance, mais elle s’arrondit assez vite avec des aigus gagnant en puissance et un staccato léger très mozartien. Dans son air ” Per pietà “, Lenneke Ruiten fait preuve de sensibilité ; sa belle technique lui permet de passer avec facilité des aigus aux graves, tout en faisant ressortir des nuances délicates sur de jolies tenues de notes accompagnées par le cor solo. Kate lindsey est Dorabella. Cette mezzo-soprano que nous avions trouvée vive et amusante dans Le rôle de Chérubin, (les noces de Figaro) Festival d’Aix-en Provence 2012, nous semble moins à l’aise dans cette mise en scène. Sa bonne diction lui permet toutefois de projeter les sons et de faire de jolies nuances en toute liberté. Son air ” Smanie implacabile ” prend ici plus de force alors que ” E amore un ladroncello ” fait montre de plus de légèreté. Mais, ce sera dans leurs duos que les voix des deux soeurs se complèteront le mieux. Sans doute est-ce avec Sandrine Piau ( Despina ), que le style mozartien prend toute sa dimension avec une voix toujours autant appréciée, des notes suspendues et des tenues éthérées ; ses aigus en demi-teinte faisant ressortir un phrasé au legato parfait. Trilles percutants et ligne de chant sans cassure font de sa prestation une performance de style. Plutôt extravertie dans l’interprétation de Dalinda ( Ariodante ) Festival d’Aix-en-Provence 2014, Sandrine Piau est une Despina un peu sage et sans grand effet scénique dans cette mise en scène.
Les voix masculines sont plus décevantes. Rod Gilfry revient en Don Alfonso sur la scène du Théâtre de l’Archevêché après y avoir chanté le rôle de Don Juan en 2013. Toujours très bon acteur, il incarne avec aisance ce colon qui se distrait en nouant des intrigues. Il a la voix du personnage, un peu fatiguée. Plus baryton que basse, il manque de graves tout en faisant résonner, avec une bonne projection, un timbre plus chaleureux dans le médium. Ses notes profondes feront ressortir les basses créant du relief dans les ensembles, et le terzettino ” Soave sia il vento ” sera un moment de sensibilité. L’argentin Nahuel di Pierro est ici Guglielmo, sans doute le plus amusant des trois hommes, si tant est qu’il y ait quelque chose d’amusant dans cette production. Avec un joli timbre et une bonne projection, il garde rythme et force dans son air ” Donne mie la fate a tanti “. Présence scénique et puissance vocale le feront apprécier. Dans cette production si éloignée de l’éclat de Mozart, le ténor espagnol Joel Prieto (Ferrando) a du mal à trouver sa place. Si son air (Un’ aura amorosa) est chanté avec sensibilité, sa voix manque d’éclat et de clarté. Nous aurions tendance à penser qu’ici ce n’est pas tellement grave car le timbre se fond avec intelligence dans la pensée du metteur en scène d’unifier toutes choses pour ne laisser transparaître qu’une atmosphère générale sans grand relief.
Les ensembles sont d’une belle musicalité, soutenus par un Freiburger Barockorchester d’une grande homogénéité, conduit par un chef d’orchestre en grande forme. Mozartien jusqu’au bout de sa baguette, qu’il pose dans les mouvements lents et plus chantés, il est le grand triomphateur de la soirée, avec des tempi justes, des respirations et des ralentis bien amenés. Louis Langrée a trouvé la rondeur de son et la netteté des attaques et du staccato qui conviennent à la musique de Mozart. Il accompagne les chanteurs avec précision et sait se faire discret quand les nuances le demandent. Le chef d’orchestre arriverait même à nous faire oublier, par moments, la lourdeur de la mise en scène qui a fait fuir toute la magie que nous devons à Mozart. Il est aussi à noter la bonne prestation du Choeur, malgré ses courtes interventions. Les bravos fournis saluant les chanteurs, le chef et l’orchestre ne couvriront pas les hués destinés à la mise en scène. Une soirée très controversée donc. Photo Pascal Victor / Artcomart