Opéra de Marseille: Darrell Ang & Andreï Korobeinikov en concert

Opéra de Marseille, saison 2018 / 2019
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Darrell Ang
Piano Andreï Korobeinikov
Nikolaï Rimski-Korsakov: “La Grande Pâques russe”, Ouverture
Igor Stravinski: Symphonie en trois mouvements
Sergueï Rachmaninov: Concerto No3 pour piano
Marseille, le 26 octobre 2018
En cette soirée du 26 octobre, l’Opéra de Marseille nous conviait à un concert consacré à la musique russe  qui débutait par La Grande Pâques russe de Nikolaï Rimski-Korsakov. Ouverture de concert créée le 3 décembre 1888 à Saint-Pétersbourg avec le compositeur au pupitre et donnée à la mémoire de Modeste Moussorgski et Alexandre Borodine, tous deux membres du groupe des cinq, dont il faisait lui-même partie. Ici, le chef Darrel Ang, originaire de Singapour, était à la baguette. Cette oeuvre symphonique composée entre 1887 et 1888 est un savant mélange de musique liturgique orthodoxe, qui se réfère à l’Evangile selon saint Marc, à certains versets de psaumes, et de joies païennes aux accents folkloriques. Typique de la musique russe, l’écriture de Rimski-Korsakov fait ressortir les atmosphères religieuses qui s’opposent aux accents tirés du folklore russe. Bien que se disant lui-même peu porté vers la religion, il appréciait la musique liturgique. Darrel Lang prend à bras le corps l’Orchestre Philharmonique de Marseille qui, après un superbe opéra de Verdi (Simon Boccanegra), et encore résonnant des accords de Leonard Bernstein (Candide), fait résonner cette fois les accords de la liturgie orthodoxe. Le chef d’orchestre s’est-il imprégné de ces accents particuliers à la musique russe lors de ses passages au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg ? Toujours est-il qu’il fait sonner avec justesse les thèmes qui passent de pupitre en pupitre dans des atmosphères différentes, tout en mélangeant avec précisions les accents religieux et folkloriques. Avec des gestes appropriés il passe du lento du début, qui laisse s’exprimer les solos du violon et du violoncelle ou résonner le son ample du trombone sous forme de choral, à plus de frénésie dans les violons, pour laisser éclater trompettes et cymbales dans la joie finale de la résurrection. Toute l’âme slave, qui passe de la tristesse à la la joie dans une même phrase, est contenue dans cette oeuvre superbement interprétée ici. Sans transition, nous passons à Igor Stravinski pour sa Symphonie en trois mouvements. Oeuvre écrite entre 1942 et 1945, commande de la Philharmonic Symphony Society de New York et créée le 24 janvier 1946 avec le compositeur à la tête du Philharmonic symphony orchestra. Illustration sonore de bandes cinématographiques, les deux premiers mouvements n’ont pas de grand rapport entre eux ; le premier mouvement, tel une machine en marche, et basé sur les rythmes et les effets sonores, illustre des images de la deuxième guerre mondiale faisant ressortir violence ou tristesse. Stravinski se sert du piano solo pour marquer les accents forte avec insistance. Plus apaisé est le deuxième mouvement qui illustre un film sur sainte Bernadette à Lourdes. Dans un ostinato teinté d’humour, le maestro fait ressortir le détaché des violons pour arriver à des atmosphères plus mystérieuses, créées par les sons du violon et de l’alto ou de la harpe. Savant dosage des sonorités et des rythmes qui reviennent pianissimo. Maestoso et puissant le troisième mouvement qui fait ressortir le piano dans des notes piquées accompagnant le trombone ou des glissandi incisifs. Baguette précise du chef pour un lamento des bassons ou les accords énergique du quatuor. Darrell Ang a su rendre cette oeuvre intéressante, misant sur les rythmes et les sonorités. En seconde partie : Rachmaninov, de son troisième concerto à trois de ses Préludes donnés en bis. Et pour cette fête pianistique : Andreï Korobeinikov. Le pianiste russe n’est pas une découverte pour le public marseillais qui se souvient de son interprétation du concerto No2 de Rachmaninov en janvier 2015 sous la baguette attentive et précise de Pinchas Steinberg. Le concerto No3 qui nous intéresse ce soir, a la réputation d’être  d’une” difficulté diabolique” et d’ailleurs, le pianiste Josef Hofmann à qui il avait été dédicacé ne voudra jamais le jouer. Il sera créé à New York le 28 novembre 1909 par le compositeur lui-même, sous la baguette de Walter Damroch. On avait reproché au compositeur d’être trop romantique et de ne pas utiliser toutes les possibilités qu’offre le piano. Ce concerto sera donc très technique, mais avec tout de même des phrases romantiques, mais moins abouties, allant vers une virtuosité qui reprend chaque phrase dans des sortes de cadences. Virtuose et technicien hors pair, Andreï Korobeinikov se joue des difficultés avec puissance et sûreté. Sans trop de romantisme, mais avec un jeu perlé où la souplesse des doigts tient lieu de lyrisme. A la cadence précise et forte, succèdent les bariolages du piano pour plus de sentimentalité. Les phrases plus abouties du deuxième mouvement apportent une note plus romantique, jouées avec une grande fluidité des doigts en contrechant avec l’orchestre. Eclat pour le troisième mouvement enchaîné et brillantissime. Agilité, vélocité, sûreté des doigts dans une mise en place stupéfiante. Superbe ! Avec un toucher délicat et plus de douceur, le pianiste pique ses notes avec humour ou sensibilité dans une évidence de jeu toute naturelle. Darrell Ang a su apporter sa contribution au romantisme du concerto avec un certain lyrisme et une grande précision. Nous avons pu remarquer la souplesse de l’orchestre dans un accompagnement à l’écoute du soliste mais aussi dans les interventions des différents pupitres dont les sonorités répondent à celles du piano. Un public enthousiaste et un soliste généreux qui, après cet épuisant concerto, donnera trois des préludes de Rachmaninov en bis. Comme lors de son dernier concert, c’est dans les bis que la sensibilité du pianiste russe se découvre plus fortement. Avec un toucher délicat, des doigts qui semblent effleurer les touches, Andreï Korobeinikov joue avec tendresse, douceur ou une interprétation quasi religieuse oubliant un peu la force qu’il met dans le concerto. Une soirée aux résonances infinies qui a comblé le public.