Opéra de Marseille:”Otello”

Marsiglia, Opéra Municipal, Stagione Lirica 2012/2013
“OTELLO”
Opera in quattro atti, libretto di Arrigo Boito, basato sulla tragedia di William Shakespeare.
Musica di Giuseppe Verdi
Desdemona INVA MULA
Emilia DORIS LAMPRECHT
Otello VLADIMIR GALOUZINE
Iago SENG-HYOUN KO
Cassio SÉBASTIEN DROY
Lodovico JEAN-MARIE DELPAS
Roderigo ALAIN GABRIEL
Montano YANN TOUSSAINT
Araldo FRÉDÉRIC LEROY
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direttore Friedrich Pleyer
Maestro del Coro Pierre Iodice
Regia Nadine Duffaut
Scene Emmanuelle Favre
Costumi Katia Duflot
Luci Philippe Grosperrin
Coproduzione Chorégies d’Orange / Opéra de Marseille
Marseille, 2 avril 2013
Pour fêter le bicentenaire de la naissance de Guiseppe Verdi et toujours pour rester dans le projet Marseille Méditerranée, l’Opéra de Marseille nous offre à voir et à écouter OTELLO dont l’action se passe à Chypre alors sous la domination vénitienne. Après MACBETH, c’est encore du théâtre de Willian Shakespeare que Guiseppe Verdi s’inspire pour cet OTELLO créé à Milan en 1887. Il fait appel au poète musicien Arrigo Boïto dont le MEFISTOFELE a été créé en 1868 à Milan pour écrire le livret. D’ailleurs, influencé par ce compositeur, Guiseppe Verdi composera ses Airs au plus près du texte et de façon moins verdienne. La partie orchestrale devient plus fouillée, plus symphonique, c’est un grand changement dans l’écriture de Guiseppe Verdi. La mise en scène est confiée à Nadine Duffaut qui nous donne ici sa vision de l’ouvrage en mettant l’accent sur le drame psychologique des personnages. Loin des ors de Venise nous sommes pris par le jeu des acteurs qui vivent un enfermement, chacun dans son propre monde, incapables d’en sortir et de communiquer.
C’est un OTELLO auquel nous sommes peu habitués, moins somptueux mais plus près des personnages. L’idée est de nous montrer un Otello en proie aux doutes, ceux insufflés par Iago, mais aussi aux siens propres , et pour bien nous faire comprendre ce que ressent Otello dans ce cauchemar qu’il va vivre, Nadine Duffaut le place dès le début en hauteur sur une passerelle loin des autres personnages, déjà seul avec lui même. Et seul il le restera, luttant contre ses sentiments et son amour pour Desdemona, cédant à la mauvaise influence de Iago. Malgré ses moments de lucidité, ses doutes personnels le fragilisent et l’empêchent de réagir comme il le devrait. Desdemona enfermée elle aussi dans sa bonté naturelle et l’amour inconditionnel qu’elle porte à Otello ne peut comprendre cette situation nouvelle pour elle.
C’est ce jeu subtil des personnages que nous fait percevoir la mise en scène de Nadine Duffaut. Evidemment c’est un peu déroutant pour les spectateurs habitués à voir dans Otello un homme sûr de lui et qui cède à sa jalousie de façon brutale, la jalousie d’un homme fort qui se sent bafoué.  Tout concorde ici décors, costumes, mise en scène, jeu des acteurs pour nous donner jusqu’à la scène finale cette impression de lutte intérieure. Les décors avec des couleurs sombres et des colonnes que l’on peut déplacer se font oublier. les contre-jours sont privilégiés les intrigues étant ourdies dans l’ombre. Le tableau du dernier acte avec le reflet de Desdemona en robe claire dans un grand miroir sur fond sombre est superbe et fait penser aux tableaux de la renaissance italienne peints par Titien, La pureté de l’âme de Desdemona sur le fond noir du drame.
Les costumes de Katia Duflot, confectionnés comme les décors à Marseille, sont sobres, d’un bel effet dans un respect de l’époque. Les robes et les coiffes des dames de la cour sont réalisées dans de belles étoffes soyeuses et prennent malgré leur unité de couleur de jolies teintes sous les éclairages. Tous les costumes sont dans des tons de gris, seul Otello tranche avec son costume rouge. On pourrait se demander pourquoi cette couleur diabolique, alors que la créature du diable serait plutôt ici incarnée par Iago? Mais sans doute le rouge est-il pour Otello cette couleur ambiguë qui caractérise son personnage, courage, ardeur, colère mais celle aussi liée à l’enfer qu’il vit en lui même. Contraste surprenant au premier abord mais qui prend tout son sens si l’on pense à l’interprétation de Nadine Duffaut cohérente jusqu’à la fin de l’ouvrage.
Les éclairages sont bien imaginés et permettent des jeux de couleurs qui animent les scènes, aussi bien les teintes orangées sur les costumes au premier acte qui font penser aux reflets des flammes des feux allumés au dehors pour fêter la victoire d’Otello, que les teintes plus froides dans la scène finale qui correspondent à la peur qui glace Desdemona. De bonnes idées de projections aussi. Des nuages sombres qui font vivre la tempête à travers les ouvertures, ou des feuillages qui permettent de nous transporter dans le jardin sans changement de décor. Un souci d’épure voulu pour faire ressortir les sentiments.
On ne présente plus Vladimir Galouzine qui a chanté sur les plus grandes scènes d’opéra et collaboré avec de prestigieux chefs d’orchestre, et l’on se souvient encore de sa magnifique interprétation de Canio dans ” I pagliaci” à Marseille en 2011. Il est ce soir un Otello parfaitement crédible; en proie aux doutes il n’est plus ce fier vainqueur mais un homme fragilisé qui nous fait partager ses sentiments changeants et l’on se prend à ressentir de la compassion pour ce personnage que l’on sent manipulé mais sincère jusque dans ses colères. Son “Esultate” paraît un peu faible mais sans doute est-ce dû à l’éloignement. En effet, pour montrer dès le début de l’ouvrage un homme qui ne maîtrise plus sa destinée et qui regarde sa vie prendre un cours qu’il n’aurait pas souhaité, Otello est placé au fond de la scène en hauteur sur une passerelle. Mais il se reprend vite et s’impose dès son duo d’amour avec Desdemona qui est un grand moment d’abandon et de tendresse. Sa voix a repris son assurance naturelle et l’on peut profiter pleinement de son timbre chaud et coloré, une voix équilibrée et large qui charme dans ses nuances piani et nous fait vibrer dans les  forte lorsque la voix s’élargit tout en gardant sa couleur. Mais ce que cet Otello a de spécial, c’ est le caractère donné au personnage que l’on ne peut dissocier de la voix. Il sera jusqu’à sa mort “dans un altro bacio” d’une justesse de jeu et d’une expression vocale remarquables. Son phrasé et sa musicalité s’accordent parfaitement avec les qualités vocales d’Inva Mula qui est une Desdemona tout en ferveur et délicatesse. Elle n’a pas une immense voix mais c’est la Desdemona parfaite pour un tel Otello. Ils forment un couple de charme et l’on redoute cette fin tragique que l’on pressent. Ses aigus sont purs, délicats, d’une grande justesse et son jeu d’une grande sobriété. La chanson du saule ainsi que sa prière à la Vierge du dernier acte procurent une intense émotion et l’on retient son souffle avec elle si fragile. Fragilité que l’on ne ressent jamais dans sa voix à l’émission sans affectation ni dureté, assurant ses aigus aussi bien que ses pianissimi tout en faisant des crescendi avec souplesse et musicalité. C’est une Desdemona tout en retenue et émotion qui meurt comme elle a vécu pour son amour pour Otello.
Iago qui est  chanté par le coréen Seng-youn Ko a certes une voix de baryton assurée au timbre sombre et coloré mais sa ligne de chant est sans trop de relief, oubliant le phrasé et les différences de teintes, ses notes arrivent un peu trop tôt ce qui enlève cette respiration nécessaire à toute interprétation. Il obtient un grand succès malgré son jeu et sa façon particulière de concevoir le personnage de Iago. Top ironique est manquant de cette subtilité inhérente à ce rôle machiavélique. Souvent sautillant il manque de prestance et passe à côté de cette perfidie subtile qui caractérise le personnage.
L’acte II finit sur un duo Iago- Otello vraiment impressionnant vocalement avec deux timbres de voix qui s’accordent parfaitement. Le reste de la distribution est tout à fait correcte avec un Jean-Marie Delpas très en place dans le rôle de Lodovico. Sans problème de diction sa voix bien placée résonne et donne de l’assurance au personnage. La mezzo-soprano Doris Lamprecht qui chante ici le rôle d’Emilia a une belle allure dans son joli costume et malgré un timbre un peu métallique, sa voix assurée donne vie à son personnage. le ténor Alain Gabriel et le Baryton Yann Toussaint savent se faire apprécier mais le ténor Sébastien Droy qui interprète Cassio est assez insignifiant et sans trop de prestance avec une voix faible et sans grand relief.
Le choeur très bien préparé par pierre Iodice fait une prestation remarquable aussi bien scéniquement que vocalement, la qualité des voix fait ressortir une rondeur de sons et une belle précision rythmique dès le “Fuoco di gioia”  Une belle présence permet d’apprécier chaque intervention. Notons aussi la solide participation de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône.
On aurait pu s’attendre à voir un chef d’orchestre italien diriger l’orchestre pour cet ouvrage, mais il faut avouer que Maître Friedrich Pleyer qui dirige Otello pour la première fois arrive à apporter des couleurs à l’orchestre qui s’accordent avec les voix des chanteurs qu’il soutient sans jamais les couvrir. Il dirige avec souplesse tout en tenant le plateau et l’orchestre sans aucune dureté faisant ressortir les couleurs particulières de chaque instrument soliste, solo de cor anglais dans la chanson du saule, soli de contrebasses d’une grande justesse. Une direction assez nuancée et musicale qui reste elle aussi dans la sobriété voulue et donnée dans tout l’ouvrage. Un Otello dont on se souviendra longtemps pour l’émotion ressentie, la belle interprétation des chanteurs et la beauté des tableaux. Un immense succès qui fait l’unanimité d’une salle comble. Photo Christian Dresse