Opéra Municipal de Marseille:”La Gioconda”

Marseille, Opéra municipal saison 2014-2015
“LA GIOCONDA”
Opéra en 4 actes, livret de Arrigo Boito d’après Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo
Musique d’Amilcare Ponchielli
Gioconda 
MICAELA CAROSI
Laura  BEATRICE URIA-MONZON
La Cieca 
QIU LIN ZHANG
Enzo Grimaldo
   RICCARDO MASSI
Barnaba  MARCO DI FELICE
Alvise Badoèro  KONSTANTIN GORNY
Zuàne JEAN-MARIE DELPAS
Un Barnabotto/Un Chanteur MIKHAEL PICCONE
Isepo/Un Pilote CHRISTOPHE BERRY
Choeur de l’Opéra de Marseille
Maîtrise des Bouches du Rhône
Orchestre philharmonique de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Fabrizio Maria Carminati
Mise en scène Jean-Louis Grinda
Décors Eric Chevalier
Costumes  Jean-Pierre Capeyron
Chorégraphie  Marc Ribaud
Lumières Jacques Chatelet
Réalisation lumières   Cyrille Chabert
Marseille, le 1er octobre 2014
En cette soirée du 1er octobre, les ors de l’Opéra de Marseille brillaient de tous leurs feux pour l’ouverture de la saison 2014 / 2015, avec La Gioconda, l’oeuvre la plus jouée d‘Amilcare Ponchielli. Félicitons le Directeur Général de l’Opéra de Marseille, Maurice Xiberras, pour le choix pertinent des ouvrages présentés, dans un désir constant de surprendre et de séduire un public fidèle.
Bien qu’assez connu, cet opéra reste encore peu joué sur les scènes françaises et la dernière représentation scénique donnée à l’Opéra de Marseille, date de 1967, avec Régine Crespin dans le rôle-titre. C’est dire, combien peu de marseillais se souviennent de cette représentation. Cet opéra en 4 actes, dont le livret a été confié à Arrigo Boito , a été créé à la Scala de Milan le 8 avril 1876 et reste fidèle à l’oeuvre de Victor Hugo Angelo, tyran de Padoue. Amilcare Ponchielli, fait ici le lien entre Giuseppe Verdi et Giacomo Puccini; Il est intéressant de noter la générosité avec laquelle le compositeur distribue les Airs à chacun des six rôles principaux, mettant ainsi en valeur chaque voix dans les différents registres. Mais en dehors des parties chantées, Amilcare Pionchelli a aussi composé de belles phrases musicales pour l’orchestre, ainsi que la célèbre danse des heures, ballet exigé par le goût de l’époque, sans lequel aucun opéra ne pouvait prétendre à un réel succès. Après avoir rajouté le personnage de la Cieca, Amilcare Ponchielli, aidé en cela par son librettiste, donnera à Barnaba, les sentiments et les intonations qui inspireront plus tard le personnage de Jago dans l’Otello de Verdi: noirceur et fourberie.
Loin des diktats des regietheaters, la mise en scène signée par Jean-Louis Grinda, nous donne à voir des scènes colorées, toujours compréhensibles avec une bonne direction des acteurs, naturelle et sans geste théâtral compassé. Une mise en scène qui n’a rien de révolutionnaire mais qui séduit les spectateurs par sa cohésion et sa grande lisibilité. Les détails sont justes et pensés, et même si rien n’est véritablement étonnant, tout est agréable à regarder. Nous sommes à Venise et cela se voit, les rideaux de tulle, souvent utilisés ici, laissent voir en transparence le Môle sous la neige avec ses deux colonnes si reconnaissables. les scènes de liesse et de carnaval sont tout à fait bien réglées avec, sur une scène de fortune, une pantomime jouée par des personnages de la commedia dell’arte. Les mouvements de foule, aussi bien que la réception au palais sont interprétés avec justesse par les artistes du choeur bien dirigés ; et si Jean-Louis Grinda fait participer le Doge à cette représentation, c’est tout à fait bien venu, ainsi que le petit garçon proche de Gioconda qui, évoluant avec aisance, apporte un peu de fraîcheur dans tout ce drame. Les décors d’Eric Chevalier  sont intéressants et représentatifs des lieux où se déroule l’action. Sans être très original, le bateau du deuxième acte est très réaliste, et les flammes qui le consument sont du plus bel effet. Un grand escalier à vis fait de briques rouges et de marbre blanc, dans le plus pur style vénitien fait le lien entre l’extérieur et l’intérieur du palais, mais l’effet le plus raffiné est sans doute ce plafond peint placé en fond de scène, ne dirait-on pas une peinture de Rubens qui s’anime tout à coup lorsque le voile se lève pour donner vie aux danseurs avec, suspendus dans les airs deux personnages oniriques assistant à la représentation ? Les lumières de Jacques Chatelet sont réglées avec intelligence, passant de la mi-ombre bleutée ou plus dorées suivant la luminosité du jour, aux éclairages plus directs dans le palais, mais faisant toujours ressortir la somptuosité des costumes renaissance d’une rare beauté et d’une richesse éblouissante. Ces costumes seyants et élégants, conçus par Jean-Pierre Capeyron, d’une coupe parfaite, dont chaque détail est travaillé, participent en grande partie à la réussite de ce spectacle. Les acteurs de la commedia dell’arte sont vêtus avec une recherche si juste, avec des coiffes si appropriées, que l’on voudrait retenir ces images très longtemps. Choristes, danseurs, solistes sont ainsi mis en valeur avec raffinement. C’est Micaela Carosi qui est la Gioconda, rôle écrasant s’il en est, qui demande une grande générosité de voix, mais aussi une non moins grande sensibilité. Micaela Carosi a tout cela, une belle allure, des aigus sûrs, puissants et sonores, un souffle soutenu, un timbre chaud qu’elle conserve tout au long de l’ouvrage et jusqu’à l’Air du suicide qu’elle chante d’une voix dramatique. Peut-être certains éclats demanderaient-ils à être un peu plus mesurés dans les duos, et pourrait-on attendre plus de souplesse dans certains passages legato, mais phrasé et ligne de chant sont toujours présents dans cette prestation de haut niveau très applaudie. Béatrice Uria-Monzon est une belle Laura. Ce rôle lui va bien et sans doute la tessiture de mezzo-soprano correspond-elle tout à fait à sa voix car elle chante avec plus de souplesse et avec un plus grand contrôle des aigus qu’elle atteint avec facilité. Un joli duo chanté avec Enzo nous est donné à entendre. Béatrice Uria-Monzon est toujours plus émouvante lorsqu’elle chante piano, elle a alors une projection qui lui permet de mieux se faire comprendre. Elle aborde ce rôle avec éclat et un grand investissement, elle sera aussi très aplaudie. La troisième voix féminine de cet ouvrage, est celle de Qiu Lin Zhan qui interprète La Cieca c’est une véritable  contralto, ce qui est fort rare, avec un timbre profond qui fait résonner ses graves. La voix est sonore et homogène dans chaque registre et s’accorde bien avec celle de Gioconda pour un duo musical. Elle chante son Air: “Voce di donna” avec sensibilité et rondeur de son, on regrette toutefois le vibrato trop large et le manque de projection qui enlèvent l’émotion contenue dans cette belle phrase. Dans cet ouvrage où chaque registre est mis à l’honneur, Amilcare Ponchielli a superbement écrit pour les voix d’hommes. Le rôle d’Enzo Grimaldo est confié au jeune ténor dont on parle beaucoup en ce moment : Riccardo Massi. Il donne ici du relief à son personnage, avec une voix claire qui passe bien au-dessus d’un orchestre pourtant fourni; le timbre est agréable et son “Cielo e mar” est à la hauteur des attentes du public. Il fait montre de beaucoup de musicalité, avec une maîtrise du souffle qui lui permet de garder la chaleur du timbre jusqu’à la fin de ses tenues. A l’aise dans l’émission, ses aigus s’affirment avec facilité dans des attaques nettes, sans brutalité jusque dans les piani. Interprétant ce rôle pour la deuxième fois, Riccardo Massi trouvera sans doute une liberté scénique qui permettra  à sa voix de capter ce petit rayon lumineux qui lui manque encore, mais on peut d’ores et déjà penser qu’il va devenir un ténor de tout premier plan. Le rôle clé de Barnaba est chanté par Marco di Felice. Nous avions déjà remarqué et apprécié ce baryton, dont le physique correspond tout à fait aux rôles que le registre de sa voix lui donne à chanter, dans Andrea Chénier et plus récemment dans Aïda. Toujours très à l’aise vocalement et scéniquement, nous le trouvons ici parfaitement adapté à ce rôle. Sa voix chaude et sombre passe au-dessus de l’orchestre sans forcer, avec une diction et une projection  parfaites. Une grande force mesurée et une grande musicalité dans le phrasé font de ce Barnaba un personnage de tout premier plan. Jouant avec aisance la dissimulation, on aimerait l’entendre dans le rôle de Jago, qui nous paraît tout à fait adapté à la voix de ce baryton qui possède aussi bien les graves que les aigus ; il est ce soir dans une forme éblouissante et le public ne s’y est pas trompé en lui réservant des bravi très mérités. Le rôle d’Alvise Badoèro est confié à la basse Konstantin Gorny. Des basses russes, il a gardé la profondeur des graves qui peuvent descendre très bas tout en restant timbrés. Une étendue très large lui permet d’atteindre le fa aigu, souvent transposé, bien qu’un peu étouffé. Moins à l’aise dans le jeu scénique, son émission s’en ressent rendant la voix parfois un peu trop neutre. Mais c’est surtout son manque de projection et un vibrato trop large qui rendent sa voix moins intéressante. Zuàne, Un Barnabotto et Isepo, interprétés respectivement par Jean-Marie Delpaz, Mikael Piccone, et Christopher Berry sont tout à fait à la hauteur de la distribution.
Amilcare Ponchielli n’a pas composé que pour les solistes, les parties de choeur, très applaudies, sont aussi nombreuses et fournies, que ce soit en pupitres tutti, ou en pupitres séparés; le choeur de l’Opéra de Marseille s’est fait remarquer par un grand investissement scénique, mais surtout par ses qualités vocales et musicales, apportant encore intérêt et relief à cet opéra qui n’en manque pas. A l’heure des restrictions, l’Opéra de Marseille peut se féliciter d’avoir su garder un cadre de choeurs si compétant qu’il peut passer de Wozzeck à Don Giovanni, avec la même aisance. Une mention spéciale aussi pour la Maîtrise des Bouches-du-Rhône dont l’implication et l’efficacité est à souligner. La chorégraphie réglée par Marc Ribaud est d’une beauté particulière sans pointe ni tutu, elle apporte grâce, élégance et fraîcheur. Révélés par un tulle peint qui se soulève, les danseurs sortent de l’immobilité pour animer la scène dans une Danse des heures interprétée avec un parfait ensemble. Les danseurs et solistes évoluent avec légèreté faisant voltiger leurs costumes dignes des ballets du grand siècle. C’est une réussite qui reste un des moments forts de ce spectacle.
Pour l’ouverture de la saison lyrique, l’Orchestre Philharmonique de Marseille retrouvait son premier chef invité. A son habitude, Fabrizio Maria Carminati prend l’orchestre et le plateau à bras le corps. Il choisit des tempi sans traîner tout en ménageant chanteurs et danseurs et en gardant les nuances voulues par le compositeur. Il arrive a retrouver la sonorité maintenant propre à cet orchestre, le son moelleux des cordes, et le son plein des cuivres. les voix puissantes du plateau lui permettent de laisser sonner les instruments sans jamais les couvrir. Fabrizio Maria Carminati nous livre ici une version de La Gioconda sans ” patos “, mais énergique et sensible qui fait ressortir les beaux solos du violoncelle, de l’alto ou de la clarinette. Le léger décalage de la petite harmonie est vite oublié tant le ballet est joué avec légèreté et précision ; une partition animée et colorée, dirigée par un spécialiste du bel canto.Une saison lyrique qui, si elle tient ses promesses s’annonce passionnante. Photo Christian Dresse