Rouen, Opéra Théâtre des Arts: “Norma”

Rouen, Opéra Théâtre des Arts, saison 2017 / 2018
NORMA”
Opéra en 2 actes, livret de Felice Romani.
Musique   Vincenzo Bellini
Norma DIANA AXENTII
Adalgisa LUDIVINE GOMBERT
Clotilde  ALBANE CARRERE
Pollione LORENZO DECARO
Oroveso  WOJTEK SMILEK
Flavius KEVIN AMIEL
Danseurs de la Compagnie Beau Geste
Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie
Choeur accentus / Opéra de Rouen Normandie
Direction musicale Fabrizio Maria Carminati
Chef de Choeur  Cristophe Grapperon
Mise en scène Frédéric Roels
Costumes Lionel Lesire
Lumières Laurent Castaingt
Scénographie Bruno de Lavenère
Création vidéo Etienne Guiol
Chorégraphie Dominique Boivin
Rouen, le 5 octobre 2017
En cette soirée du 5 octobre, et dans le second cast, l’Opéra Théâtre des Arts de Rouen nous présentait Norma, l’oeuvre de Vincenzo Bellini. Frédéric Roels, Directeur Général de l’Opéra depuis 2009, et ici dans sa dernière saison, signait la mise en scène. Il souhait, dans cette production, un retour à l’intention originelle du compositeur qui avait confié le rôle de Norma à Guidita Pasta, une mezzo-soprano, et celui d’Adalgisa à la soprano Giulia Grisi. Avec une direction d’acteurs qui va directement à l’essentiel, le metteur en scène laisse les sentiments s’exprimer par le jeu juste et sensible des chanteurs. Peu de déplacements inutiles, mais une grande concentration émotionnelle. Frédéric Roels a voulu donner la parole (certes muette) à un trio de danseurs pour une plus grande expression des sentiments. Si l’on peut se poser la question de l’utilité de cet ajout visuel, il faut tout de même rendre hommage au beau travail du chorégraphe Dominique Boivin et à ses trois danseurs qui font passer avec grâce et intensité les diverses émotions des trois personnages principaux. Dans un décor unique, la scénographie de Bruno de Lavenère nous transporte dans une forêt où le temple dédié à Irminsul, étayé par une lourde charpente de poutres, s’ouvre sur le ciel. Du grand arbre, nous ne verrons que la ramure. Ce décor onirique correspond tout à fait à l’idée de la mise en scène qui met l’accent sur l’introspection des sentiments plus que sur l’action. Entre romantisme et tragédie grecque et dans une lutte tout intérieure, la raison s’oppose aux sentiments et l’idée de vengeance au pardon dans une musique aux nuances contrastées. Les costumes imaginés par Lionel Lesire sont plus déroutants qui mêlent kilts, costumes ou vestes de bergers pour un choeur de gaulois vengeurs. Plus classiques seront les longs manteaux blancs de Norma et d’Agalsida, mais note étrange encore, le costume lie-de-vin de Pollione. Tout ceci ne dérangeant absolument pas le spectateur qui reste concentré sur les voix et leurs expressions. Les lumières de Laurent Castaing appuyées par les vidéos d’Etienne Guiol nous offrent des teintes dorées avec une lune obstruant le ciel sur un air de Casta diva éternel. Puis le ciel redevient bleu au-dessus d’un feuillage frémissant, ou carrément rougeoyant, et du plus bel effet, pour la montée au bûcher. Rien d’exagéré, mais mesuré et en rapport avec l’intensité de l’oeuvre. Diana Axentii est ici Norma. Si la chanteuse moldave a débuté sa carrière dans des rôles de mezzo-soprano, elle se consacre, depuis 2014, à une carrière de soprano lyrique. Le choix de Diana Axentii est d’autant plus judicieux, dans l’optique de Frédéric Roels, qu’il permet ainsi d’avoir des aigus brillants tout en gardant aux graves couleur et rondeur de son sans forcer. Diana Axentii domine le plateau par son intensité vocale. Si sa cavatine Casta Diva reste un grand moment d’émotion, on n’en n’oublie pas ses imprécations ou ses hésitations alors qu’elle songe à tuer ses enfants. Avec une voix forte, homogène, aux inflexions nombreuses et changeantes, Diana Axentii est, dans cette Norma considérée comme “le rôle des rôles”, une superbe soprano lyrique dramatique. Sa voix pleine aux prises de notes sûres, jamais dures, ses vocalises agiles et sa présence affirmée font que cette prise de rôle est une réussite. Nous pensons avoir assisté à la naissance d’une grande Norma. Ludivine Gombert déjà appréciée tout dernièrement à Marseille dans le rôle de Xenia (Boris Godounov) ou celui de la Grande prêtresse (Aïda) aux Chorégies d’Orange, prête ici sa voix de soprano à Adalgisa. Une voix bien placée au phrasé sensible ; sa souplesse vocale fera merveille dans les duos. Avec une apparente fragilité, elle est cette jeune fille qui lutte entre amour et loyauté. Mais Ludivine Gombert est aussi capable de fermeté avec des aigus assurés, projetés dans une voix claire. Une interprétation remarquée dans cette production au plateau homogène. Albane Carrère campe une Clotilde affirmée scéniquement et vocalement avec des phrases sonores et projetées. Lorenzo Decaro apprécié à Toulon dans le rôle de Turiddu (Cavalleria Rusticana) est ici Pollione, ce romain par qui le malheur arrive. Très investi, il s’oppose à Norma avec vigueur et entêtement. Si sa voix paraît manquer un peu d’assurance au début, il prend rapidement ses marques et projette sa voix avec vaillance dans des rythmes assurés et des aigus sonores et timbrés. Ses piani sont sensibles, empreints de musicalité, et c’est dans un médium coloré et émouvant qu’il revient repentant vers Norma. Wojtek Smilek, récemment apprécié à Marseille dans le rôle du Grand Inquisiteur (Don Carlo), fait ici résonner sa voix de basse dans le rôle d’Ovoresto. Sa haute stature et ses graves profonds impressionnent. Avec ses aigus sonores, projetés avec puissance sur une belle longueur de souffle, Wojtek Smilek apporte beaucoup de présence au personnage. La voix percutante du ténor Kevin Amiel, dans le rôle de Flavius passe sans forcer. Projetée avec énergie dans un bel investissement scénique, elle donne vie à ce personnage. Le Choeur accentus associé à celui de l’Opéra de Rouen Normandie, très en place et bien préparé par Cristophe Grapperon fait montre ici d’un bel engagement vocal, aussi bien dans le choeur d’hommes aux voix homogènes que dans la fureur du Guerra, guerra ! Pour la première fois à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, le Maestro Fabrizio Maria Carminati prend à bras-le-corps orchestre et plateau. Nous retrouvons les qualités de ce chef italien : une connaissance parfaite des ouvrages qu’il dirige, sa grande musicalité et un investissement total mis au service de la partition. Rien ici n’est laissé au hasard et, malgré une acoustique un peu sèche, les diverses nuances et atmosphères sonores illustrent avec bonheur la partie musicale dès l’ouverture jouée dans un tempo allant. Toujours avec un grand respect des voix, les accompagnements des récitatifs sont faits avec souplesse et l’on apprécie particulièrement le tempo de Casta Diva, pris sans trop de lenteur, laissant pourtant s’exprimer le chant introduit par un superbe solo de flûte. Avec un orchestre réceptif dans chaque pupitre et qui nous donne à écouter un beau solo de violoncelle, cette représentation de Norma, interprétée avec beaucoup de caractère a remporté tous les suffrages et de longs, très longs applaudissements. Photo Bruno de Lavenère