Alexandra Conunova & Istvan Vardai en concert a l’Opéra de Marseille

Opéra de Marseille, saison 2021/2022
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Lawrence Foster
Violon Alexandra Conunova
Violoncelle Istvan Vardai
Johannes Brahms: Danses hongroises No1, No3, No5; 
Concerto pour violon et violoncelle en la mineur, dit “double concerto”;  Béla Bartok Concerto pour orchestre
Marseille, le 12 janvier 2022
En cette soirée du 12 janvier l’Orchestre Philharmonique de Marseille retrouve avec un immense plaisir son chef et directeur musical Lawrence Foster pour un concert de musique très colorée. Couleurs slaves qui mettent en joie, comme un retour aux sources pour ce chef d’orchestre toujours habité par ses racines musicales. Débuter un concert par les Dances hongroises de Johannes Brahms, c’est ouvrir grand les portes à une musique joyeuses, rythmée, où les envolées des archets vous emportent au loin dans des phrases lyriques. Certes, Johannes Brahms est un compositeur allemand, mais sa promiscuité avec le violoniste hongrois Ede Reményi, avec qui il forme un duo dès ses 19 ans, lui fait découvrir la musique populaire et folklorique hongroise sur des rythmes de czardas. De ses 21 Danses hongroises, composées pour piano à 4 mains entre 1867 et 1880, le compositeur en orchestrera trois, dont les No 1 et No3 qui sont proposées ce soir, la No5 sera orchestrée plus tardivement par Albert Parlow. Brillantes, entraînantes, folkloriques avec quelques accents romantiques ; aucune morosité ne résiste à cette musique. Lawrence Foster prend place et prend aussitôt possession de son orchestre. Tempo enlevé dans une unité des archets et des sonorités pour cette danse No1. D’une baguette souple, le maestro fait ressortir le rubato d’une phrase à la hungarese où les vagues sonores sont entraînées par les instruments de l’harmonie. Plus musclée, plus rythmée, la danse No3  fait ressortir le piqué d’un hautbois qui introduit le pétillant des violons ou la force de l’orchestre dans des changements de rythmes qui font ressortir le brillant de la petite harmonie. La danse No5, la plus connue, nous entraîne, dès les premiers coups d’archets, dans un tempo enlevé entrecoupé de phrases plus lyriques. Précision des notes piquées de la petite harmonie ou du détaché des violons. Accelerando pour un kazachok enlevé, mais charme d’une phrase langoureuse sous une baguette romantique qui retrouve toute sa vigueur pour trois accords énergiques. Succès assuré ! Un Johannes Brahms plus classique pour ce double concerto pour violon et violoncelle composé en 1887, deux ans après sa symphonie No4, ce sera sa dernière composition symphonique. Créée à Cologne le 18 octobre 1887, sous la baguette du compositeur avec en solistes Joseph Joachim (violon) avec qui il était brouillé et Robert Hausmann (violoncelle), cette oeuvre marquera leur réconciliation. Johannes Brahms reprend ici la tradition des pièces pour instruments concertants et orchestre, telle la Symphonie concertante pour violon et alto de Wolfgang Amadeus Mozart, très en vogue à son époque. Alexandra Conunova (violon) et Istvan Vardai (violoncelle), tous les deux lauréats de nombreux prix internationaux seront les interprètes. Déjà invités en 2018 sur cette scène, les deux artistes avaient joué, respectivement, le concerto pour violoncelle et orchestre d’Edward Elgar ainsi que le concerto de Béla Bartok pour violon et orchestre. Itsvan Vardai joue ici sur un violoncelle Stradivarius (Ex Du Pré-Harell de 1673) et c’est sur le violon del Gesù “Von Vescey” de 1730 que la violoniste interprètera cette oeuvre romantique. Dès la première attaque ferme et forte du violoncelle on remarque la chaleur d’une sonorité qui porte sans forcer et emplit la salle. Un son plein, rond, porté par un vibrato mesuré pour une brève introduction d’une grande musicalité, alors que s’installe un dialogue plus vif, avec force dans une même esthétique musicale. L’orchestre impose avec puissance le style particulier du compositeur avec des accords joués au fond des temps. La belle technique des deux solistes permet une liberté d’expression pour chaque nuance, chaque intensité musicale malgré des changements multiples. Ce premier mouvement très puissant laisse poindre, grâce à la pureté de sons des solistes, une sorte de légèreté dans les passages piano qui s’oppose à l’intensité des forte. Les archets, employés avec élégance, ainsi qu’une grande écoute des phrases musicales permettent ce dialogue où chacun entre dans le discours de l’autre, dans un bariolage souple et mesuré, ou dans la compréhension d’un phrasé. Mais c’est sans doute dans le deuxième mouvement que cette entente  musicale prendra toute sa dimension. Déjà, l’orchestre jouant plus piano la pureté du son de la violoniste s’écoute mieux et c’est dans un archet à la corde que ses phrases, d’une grande musicalité jouées sans trop de lenteur, ouvrent un dialogue sensible avec le son profond du violoncelle. Un moment de musique pure pour cette page concertante avec le soutien de l’orchestre qui se fait moins présent. Le violoncelle donne le rythme avec légèreté dans ce vivace non troppo du troisième mouvement. De nombreux changements d’atmosphères dans une énergie commune sur le mode de l’échange dans ce dialogue apaisé où la grande perfection de style ne cède rien à la musicalité. L’on retient la pureté du son d’Alexandra Conunova et la grande élégance de jeu et d’archet du violoncelliste Itsvan Vardai. Un petit bis en clin d’oeil pour un bref duo en pizzicati composé par Jean Sibelius à l’âge de 9 ans. En seconde partie, et pour rester dans ces ambiances slaves que Lawrence Foster affectionne, le Concerto pour orchestre de Béla Bartok. Ce musicien génial, bien qu’en exil depuis de nombreuses années, restera toujours imprégné par les accents et les musiques de son pays. Cette oeuvre correspond à une commande, de Serge Koussevitzy pour l’Orchestre de Boston, alors qu’il souffre d’un réel manque d’argent. Malgré une musique imagée et de nombreuses échappées vers le folklore roumain ou même oriental, cette composition est très architecturée avec des rythmes asymétriques ou des thèmes qui se chevauchent, s’entrecroisent, tout en cédant la place à des phrases mélodieuses ou humoristiques. Ouvrant la porte au concerto pour orchestre Béla Bartok utilise la manière concertante en donnant la parole à chaque pupitre de l’harmonie jouant par deux. En utilisant chaque instrument dans sa spécificité, rigueur de la caisse claire, humour du basson, piqué du hautbois, vélocité de la clarinette, limpidité de la flûte ou son nasillard des trompettes bouchées, Béla Bartok nous offre une orchestration dense, mais si organisée que chaque mesure est une merveille de structure et d’émotions. Lawrence Foster reprend sa place et, s’il dirige d’assis, sa baguette est d’une vigueur et d’une précision remarquables. Habité par les accents de cette musique, le maestro a su faire ressortir toutes les atmosphères de cette partition d’une grande puissance en jouant sur les couleurs des différents instruments. Si, de prime abord, cette oeuvre peut paraître déroutante, il suffit de se laisser entraîner dans ce voyage musical par le chef qui ne guide pas seulement ses musiciens mais aussi son auditoire. la flûte est comme un souffle, les violons bruissent ou emportent, comme une vague, sur un ostinato des basses. Trompettes et trombones qui sonnent en choral, caisse claire qui donne le rythme, comptines folkloriques, toutes ces oppositions d’ambiances sont insufflées par une baguette qui pique les notes ou accélère pour un bref instant d’humour. Mais toutes ces couleurs ne masquent jamais la souffrance, souvent éprouvée par le compositeur, et qui se ressent jusque dans la puissance ou la vélocité des cordes avec ces notes qui se frottent comme dans un cri. L’orchestre suit son chef dans les moindres inflexions de sa baguette, jusqu’à la harpe qui égraine quelques notes asiatiques. Cette communion entre le chef et ses musiciens entraîne un public qui va d’émotion en émotion jusqu’à cet époustouflant finale presto, course effrénée dans le forte des cuivres. Encore une fois, le maestro a démontré combien sa puissance intérieure irradiait dans cette musique où force et sensibilité s’entremêlent. Efficacité et amour de la musique ! Un immense bravo pour ce concert haut en couleurs.