“Così fan tutte” a l’Opéra de Toulon

Toulon, Opéra saison 2015 / 2016
“COSÌ FAN TUTTE”
Opéra en deux actes, livret de Lorenzo da Ponte
Musique  Wolfgang Amadeus Mozart
Fiordiligi  MARIE-ADELINE HENRY
Dorabella  MARIE GAUTROT
Despina  ANNA KASYAN
Ferrando  LEONARDO FERRANDO
Guglielmo  ALEXANDRE DUHAMEL
Don Alfonso  RICCARDO NOVARO
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Toulon
Direction musicale  Darrell Ang
Chef de choeur  Christophe Bernollin
Mise en scène  Gilles Bouillon
Dramaturgie  Bernard Pico
Décors  Nathalie Holt
Costumes  Marc Anselmi
Lumières  Marc Delamézière
Toulon, le 24 novembre 2015
C’est Wolgang Amadeus Mozart, qui nous était proposé en ce mois de novembre à l’Opéra de Toulon avec son opéra Cosi fan Tutte. Ce dramma giocoso en deux actes, traité sur le mode buffa, est en fait une commande de l’empereur d’Autriche Joseph II qui souhait une oeuvre légère. Inspiré d’un fait réel qui avait amusé tout Vienne, le sujet n’était pas pour déplaire au souverain qui ne s’était affranchi que très tardivement du joug de sa mère. Bien qu’il soit abordé de façon légère et comique, ce sujet peut prêter à réflexion. C’est ce que Mozart nous démontre avec sa subtilité et son humour habituels. Composé en un peu plus d’un mois avec le concours de Lorenzo da Ponte dont ce sera la troisième collaboration, cet opéra sera très bien accueilli par le public à sa création le 26 Janvier 1790 mais, à cause du décès de l’empereur survenu en février de la même année, il sera retiré de l’affiche au bout de quelques représentations seulement. Il restera néanmoins avec Les noces de Figaro et Don Juan, une des oeuvres de Mozart les plus représentées de par le monde. Don Alfonso, vieux célibataire cynique, veut prouver l’inconstance des femmes à deux jeunes amoureux de ses amis ; mais il fera ainsi, ressortir aussi la vanité et la suffisance masculine. Pourrait-on conclure par un match nul dans ce jeu de l’amour et du hasard déjà cher à Marivaux ? Cet opéra commencé de façon joyeuse, et bien que se terminant par un double mariage, sa fin nous laissera un peu dubitatifs quant au bonheur futur de cette union. Cosi fan Tutte n’en reste pas moins un chef d’oeuvre d’imagination et de maîtrise musicale tant la composition colle aux différents sentiments et ambiances évoqués ; héroïsme, émotions, intimité, humour, tout est inscrit dans la partition orchestrale. La dramaturgie de Bernard Pico change bien peu de chose en somme, le lieu, l’époque mais il reste très proche du livret. Gilles Bouillon signe une mise en scène qui, bien que transposée dans les années 1950 peut-être, colle à la musique et à l’atmosphère voulue par le compositeur. Si son Simon Boccanegra, monté sur cette même scène la saison dernière, nous avait paru sans grande originalité, nous apprécions ici sa mise en scène qui, sans un grand déploiement de moyens mais avec beaucoup d’ingéniosité fait ressortir la légèreté du propos et atteint son but ; tout ceci avec une excellente direction des acteurs. Les décors de Nathalie Holt sont simples mais efficaces ; une grande salle en décor unique où quelques pièces de mobilier délimiteront les différents espaces ; une grande porte vitrée mobile, un billard, un petit paravent suffiront à nous transporter en divers endroits ; nous nous retrouverons dans le jardin par le truchement d’un citronnier ou de roses portées par l’ensemble du choeur transformé en jardiniers. Rien ne viendra casser le rythme qui anime cette partition; les lumières qui éclairent les teintes pastel du mobilier et des costumes sont appropriées aux atmosphères et aux situations. Comme pour le Vaisseau fantôme, Cléopâtre ou Elektra, nous apprécions les éclairages conçus par Marc Delamézière qui passent des couleurs crépusculaires à un éclairage plu cru dans le jardin ou à de jolis contre-jours. Les costumes vintage créés par Marc Anselmi contribuent sans ostentation à nous laisser dans ce marivaudage ; qui, avec des robes fraîches ou des pantalons corsaires, qui, en costumes d’albanais coiffés de fez. Pour garder la fraîcheur et la délicatesse de cette partition, Darrell Ang était à la baguette et coordonnait avec beaucoup de talent et de gestes élégants plateau et orchestre. Si la musique de Mozart est difficile à chanter, elle n’est pas non plus si facile à diriger. Rien ne doit rompre le charme de cette musique ; aucun accent exagéré, aucune dureté dans les accords ne sont permis. Ce jeune chef né à Singapour fait un début de carrière fulgurant couronné de nombreux prix. Il a su choisir ici des tempi justes pour une Ouverture enlevée, tout en laissant chanter l’orchestre avec légèreté pour des passages plus lents. Avec une grande compréhension des chanteurs qu’il accompagne avec souplesse et une belle intelligence musicale, il fait ressortir les doutes, les moments plus dramatiques ou plus légers avec subtilité. Aussi à l’aise dans les partitions de Verdi que celles de Mozart, l’orchestre fait preuve ici de souplesse et de musicalité avec des cordes agiles, des attaques nettes à la petite harmonie, ou un solo de cor à la sonorité chaude. Le plateau homogène fera de cette représentation un moment de musique des plus agréable. Six personnages de premier plan et peu de choeur, donnent une valeur plus intimiste et réaliste à cette oeuvre. Marie-Adeline Henry est une Fiordiligi à la voix de soprano bien placée ; elle fait preuve d’une grande musicalité avec des vocalises à l’aise. Ses graves colorés font place à des demi-teintes timbrées et des aigus clairs et puissants. A la fois tendre ou mutine, elle est tout à fait bien dans ce rôle interprété avec beaucoup de grâce. Marie Gautrot est une Dorabella dont la voix de mezzo-soprano s’accorde très bien avec celle de Fiordiligi de par le timbre et la rondeur de son. Plus sensuelle, elle est aussi plus délurée que sa soeur faisant preuve de détermination avec une voix puissante et assurée. Très crédible aussi scéniquement, elle a une façon très baroque de commencer le vibrato après la prise de note qui lui donne un style en accord avec la musique de Mozart. Ses graves colorés répondent aux couleurs du baryton dans les ensembles. Despina est ici chantée par Anna Kazyan. Aussi amusante dans les rôles de composition du docteur et du notaire que mozartienne en Despina, elle forme avec Fiordiligi et Dorabella un trio féminin des plus talentueux et des plus homogènes. Sa voix, équilibrée et timbrée dans chaque tessiture, qu’elle utilise avec charme et musicalité la fait participer à par entière au succès de la pièce. Avec un grand sens du phrasé et une très bonne compréhension de la musique de Mozart, elle est aussi à l’aise vocalement que scéniquement. Face à ce trio féminin de haut niveau, trois voix masculines aux registres différents vont équilibrer cet ensemble vocal. Un ténor, Leonardo Ferrando est ce jeune homme, Ferrando. Sans aucun doute plus sentimental que son condisciple, il a la voix du belcantiste. Cette voix un peu haut perchée qui lui fait appréhender des rôles tels que le Comte Amalviva (Le Barbier de Séville), Don Ottavio (Don Juan), Nemorino (L’Elisir d’Amore) ou Tamino (Die Zauberflöte) et qui est tout à fait à sa place ici. Chantant avec sensibilité et justesse, ses aigus puissants et sa musicalité en font un Ferrando très convaincant que l’on a plaisir à écouter. Alexandre Duhamel est un Guglielmo tout à fait à l’aise dans ce rôle d’homme sûr de lui et de son charme ravageur. Avec sa voix large et sonore de baryton qu’il utilise avec intelligence et vaillance, il investit la scène avec une grande présence. La voix est belle, ronde et chaleureuse, lui permettant beaucoup de fantaisies. C’est avec beaucoup de style que les deux compères chantent en duo. Riccardo Novaro est le cynique Don Alfonso. Il interprète ce rôle avec un peu de recul, regardant les évènement avec le détachement de celui qui savait. Vocalement, il fait résonner les graves avec le sérieux qu’il met dans toutes choses. Très en place, vocalement, il équilibre les sextuors en faisant sonner les basses. sa voix homogène n’exclue pas une certaine profondeur. Quatuors et sextuors sont chantés avec une grande rigueur rythmique laissant avancer la musique dans des tempi souvent changeants. Le choeur dont les interventions sont assez courtes chante lui aussi avec beaucoup de précision. Cette interprétation très enlevée de Cosi fan Tutte a enchanté le public qui a applaudi avec beaucoup d’enthousiasme le plateau, le chef et l’orchestre. Un grand bravo.