Lawrence Foster & Orchestre Philharmonique de Marseille en concert

Opéra, Marseille, saison 2022/2023
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Lawrence Foster
Mezzo-soprano Roxana Constantinescu
Baryton Mathias Hausmann
Gustav Mahler: des Knaben wunderhorn; Richard Wagner: Préludes de “Lohengrin”; Ludwig van Beethoven Symphonie N°5 en do mineur
Marseille, le 16 avril 2023
En cet après-midi du 16 avril, la magie de la musique était encore au rendez-vous. Pour son avant dernier concert en tant que directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Marseille Lawrence Foster a fait montre d’une inspiration toujours renouvelée. A pas comptés il s’avance, prend place, s’installe sur sa chaise et lève la baguette… alors Richard Wagner peut entrer. Ni les ans, ni la routine n’auront de prise sur cet artiste dont la vie est dédiée à la musique et qui respire la musique. Opéra romantique s’il en est, Lohengrin va nous offrir, avec ce Prélude de l’acte I, un moment de recueillement et d’élévation contemplative dans une sorte d’immobilité religieuse. Peu de gestes mais une grande intensité dans le son transparent des violons venu de très loin et qui passe, sans rupture, de la petite harmonie aux cuivres. Sous l’impulsion du chef d’orchestre l’immense crescendo laisse résonner cymbales et timbales dans un ensemble parfait où le souffle pose les sons. Lawrence Foster nous plonge dans le mystère, le mystère des sons et des émotions contenues avec une baguette qui semble immobile, retenant les notes dans une pureté céleste. Commencé et terminé en majeur, ce Prélude est une fenêtre entrouverte sur l’atmosphère intérieure de cet opéra. Force, éclat et joie pour le Prélude de l’acte III. Ici le maestro dynamise l’orchestre d’une baguette énergique, incisive même dans un tempo allant laissant la clarinette suave remplacer les archets déchaînés alors que l’éclat des cuivres emplit la salle. Avec ces deux préludes très différents, Lawrence Foster a magnifié l’orchestre faisant ressortir les nuances les plus extrêmes, passant d’un pianissimo sur un crin de l’archet à l’acte I, aux éclats wagnériens pour le Prélude du troisième acte. Pourquoi introduire des Knaben Wunderhorn dans ce programme d’après-midi ? L’on pouvait se poser la question. Mais entre Wagner et Beethoven, pourquoi pas cet autre immense compositeur qu’est Gustav Mahler ? Toujours est-il, que Mahler a longtemps été marqué par ces textes réécrits pas Achim von et Clemens Brentano, il en introduira d’ailleurs certains dans quelques symphonies. Des fables, des contes cruels, des comptines, des chansons mais empreints d’une grande tristesse, dont deux sont carrément dramatiques comme ces chansons de tambours, l’un part pour la guerre et l’autre monte à la potence. La mezzo-soprano Roxane Constantinescu et le baryton Mathias Hausmann vont se partager ces chants. Si quelques-uns, chantés dans un joli phrasé par la voix claire et homogène de la soprano ont des accents villageois plus rythmés, le côté sombre est omniprésent dans la voix affirmée du baryton et, ni la valse, ni le chant du coucou, ni même les Hi-Han de l’âne n’éclaireront très longtemps ces chants. Car n’oublions pas cet enfant qui réclame en vain du pain à sa mère. Gustav Mahler a su marquer ces lieder, les rendre grinçants, utilisant les bons registres des voix ou des instruments qui les accompagnent tout en soutenant le legato ou les jolies prises de notes de la mezzo-soprano. Dans un bel échange musical, les deux solistes ont su illustrer ces chants avec sensibilité. Antoine de Padoue prêche aux poissons avec une clarinette légère et accompagne Roxane Constantinescu dans un moment d’apaisement mais alors que les deux chanteurs semblent échanger sereinement dans des voix équilibrées, ils sont au royaume des morts. Terrible ce moment où, imposant sa voix sombre, Mathias Hausmann, au son de la caisse claire accompagne le jeune tambour à la potence sur une marche funèbre. Belles nuances et très belle interprétation ! Dernier grand représentant du classicisme allemand, Ludwig van Beethoven a fait évoluer la musique symphonique d’une façon extraordinaire et, si ses deux premières symphonies sont encore sous l’influence de Mozart, la cinquième, créée à Vienne en 1808 et que nous écoutons ce soir, fait montre d’une force tout à fait reconnaissable dans cette orchestration personnelle qui ouvrira la porte aux grandes œuvres romantiques. Composée alors qu’il commençait à être sourd, cette symphonie laisse éclater l’énergie et la puissance intérieure qui animaient le compositeur. C’est par ce premier thème de quatre notes, sans doute le plus célèbre de la musique occidentale, que débute la symphonie. Inspiration donnée par le chant d’un loriot entendu dans les bois du Prater à Vienne, ou quatre coups frappés à la porte tel le destin qui s’annonce ? Toujours est-il que ces quatre notes marqueront à jamais cette œuvre et peu importe les mouvements qui suivront, ces quatre notes seront la signature de la cinquième symphonie de Beethoven. Lawrence Foster lève la baguette avec la fougue d’un jeune homme et trouve immédiatement, dans un tempo assez vif, les accents et l’unité de son que nous avions appréciée dans les œuvres précédentes. Avec une grande précision et dans des rythmes marqués, ces quatre notes répétées passent avec force de pupitre en pupitre, dans des sonorités sombres ou plus lumineuses, sur le petit détaché des violons qui laisse chanter le hautbois. Mais le destin semble revenir avec la force des archets au talon et les roulements de timbales joués fortissimo. Dans cette écriture révolutionnaire, Beethoven marque d’entrée ce premier mouvement. Le Tempo allant de l’Andante, en contraste avec le mouvement précédent, semble inspirer espoir et liberté avec ce solo de clarinette repris avec légèreté par la flûte. Contrastes toujours dans les thèmes qui reviennent avec force ou sensibilité. Ces contrastes de nuances et de tempi donnent souffle et respirations, sous l’impulsion du chef d’orchestre, alors que le petit détaché des basses semble vouloir résister à un destin toujours omniprésent.
Cette écriture puissante alterne les atmosphères, les pizzicati s’estompent devant l’immense crescendo qui ouvre la porte à la puissance et au presto du dernier mouvement. Lumière, force, délicatesse, modulations lumineuses alors que Beethoven introduit, pour la première fois, des trombones dans une partition symphonique. Joie et contrastes dans une ligne musicale sans rupture où le compositeur allie spiccato des violons et trompettes victorieuses. Cette symphonie atypique pour l’époque fera la gloire posthume de Beethoven. Nous pourrions citer Robert Schumann : “Cette symphonie sera encore jouée dans des siècles, elle le sera sans nul doute aussi longtemps que le monde et la musique existeront.” Dans cette interprétation magistrale, Lawrence Foster a donné toute la mesure de cet orchestre dans des sonorités somptueuses où chaque instrument a trouvé un lien sonore pour des nuances suaves ou éclatantes. Un lien palpable aussi qui unit chef d’orchestre et musiciens dans le plaisir de jouer ensemble. Si la première partie tout en délicatesse a fait ressortir les sons éthérés, cette symphonie a laissé éclater la puissance d’un orchestre sous influence…Celle d’un maestro qui l’a conduit pendant dix ans. Immense succès, immenses bravos !