Toulon, Opéra: “Cavalleria rusticana” & “Pagliacci”

Toulon,  Opéra, saison 2016 / 2017
“CAVALLERIA RUSTICANA”
Melodramma en un acte, livret de Giovanni Targioni-Tozzetti et Guido Menasci
Musique de Pietro Mascagni
Santuzza DENIZ YETIM
Mamma Lucia MARIE-ANGE TODOROVITCH
Lola  ANNA KASYAN
Turridu LORENZO DECARO
Alfio CARLOS ALMAGUER
“PAGLIACCI”
Dramma en deux actes, livret de Ruggiero Leoncavallo
Musique de Ruggiero Leoncavallo
Nedda (Colombina) ANNA KAZYAN
Canio (Pagliaccio) BADRI MAISURADZE
Tonio (Taddeo) CARLOS ALMAGUER
Silvio  CHARLES RICE
Beppe (Arlecchino) GIUSEPPE TOMMASO
Orchestre Choeur et Maîtrise de l’Opéra de Toulon
Direction musicale Giuliano Carella
Mise en scène Paul-Emile Fourny
Réalisation de la mise en scène Sylvie Laligne
Décors Benito Leonori
Costumes Giovanna Fiorentini
Lumières Patrick Méeüs
Coproduction Opéra de Toulon, Opéra-Théâtre-Metz-Métropole
Toulon, le 9 octobre 2016
Depuis 17 ans, la scène toulonnaise n’avait plus présenté les deux opéras Cavalleria Rusticana / Pagliacci, quelquefois considérés comme un diptyque tant ils sont souvent associés. C’est dire si ces spectacles étaient attendus. Ovationnés en cette dernière représentation, orchestre et chanteurs avaient galvanisé le public du dimanche après-midi. Il faut avouer que très investis, les artistes étaient allés aux limites de leurs possibilités, dans un vérisme quelquefois même poussé à l’extrême. C’est en effet avec ces deux ouvrages, composés à deux ans d’intervalle, l’un par Pietro Mascagni, l’autre par Ruggiero Leoncavallo, que débute cette forme littéraire et théâtrale que l’on a nommée vérisme, avec une écriture et des sujets réalistes inspirés par les drames de la vie quotidienne. Pietro Mascagni n’a que 27 ans lorsque son opéra est créé au Teatro Costanzi de Rome, le 17 mai 1892. C’est un immense succès qui fera connaître le compositeur dans tous les théâtres européens. On est tout de suite surpris par la puissance, l’énergie, la musicalité, sans aucune mièvrerie ou pathos, contenues dans cette composition. Le livret, inspiré d’une nouvelle de Giovanni Verga, situe ce drame de la jalousie en Sicile, et en restitue le climat et les coutumes qu’il connaît bien étant lui-même sicilien. Pauvreté et cris de désespoir seront au coeur de ce vérisme. Si la musique et ses accents sont en parfaite adéquation avec le livret, on ne peut pas en dire autant du décor et des costumes. Une colline de rochers et un ciel plus ou moins bleu devront rendre l’ambiance d’un village le jour de Pâques. Mais qu’est-ce donc qui a poussé Paul-Emile Fourny à imaginer un tel paysage ? Rien, il n’y a rien, quelques tulles peints de pierres se dressent çà et là sans raison apparente, une procession portant la Vierge et rien d’autre, si ce n’est la difficulté pour les chanteurs de monter et descendre dans ce fatras de rochers sans tomber. Les costumes de Giovanna Fiorentini, dans des tons pastels sont tout à fait incongrus. Qui a jamais vu en Sicile les hommes d’un village habillés dans un total look beige ? Patrick Méeüs nous avait habitués à une plus grande recherche de lumières. Ici, un ciel qui s’éclaire ou s’assombrit dans des tons bleutés, et voilà ! La Santuzza de Deniz Yetim, que nous entendons pour la première fois est plus convaincante ; dans une robe mauve, elle évolue avec grâce et agilité. Dotée d’une belle présence, elle est le temps fort de l’ouvrage. Aucune faute de goût dans son interprétation. Avec une superbe ligne de chant et un vibrato agréable, elle assure de beaux aigus tout en ménageant de jolies nuances. Deniz Yetim est une Santuzza à la voix, belle aussi dans les graves, arrive à nous donner le frisson. Après avoir chanté Santuzza et Lola, Marie-Ange Todorovitch est une Mamma Lucia bien dans le rôle et dans la voix, avec des graves colorés et puissants. Sans doute est-elle encore un peu jeune pour le rôle, mais son interprétation juste la rend très crédible. Anna Kazyan est Lola. La voix est agréable et homogène pour ce rôle court, plus joué que chanté ; une robe verte peu seyante lui donnera bien peu l’allure de la femme qu’elle est censée représenter. C’est du côté des hommes que l’on rencontre la violence machiste de ces contrée du sud de l’Italie avec le Turridu de Lorenzo Decaro, désinvolte ou plus touchant avec sa mère, mais dont les emportements le pousseront, dans un accès de virilité orgueilleuse, à commettre l’irréparable en mordant l’oreille de son rival, et en Sicile …. La voix est affirmée, projetée, malgré des aigus de coulisse un peu étouffés, mais son investissement et son énergie donnent de la crédibilité à son personnage. Dans cette interprétation vivante et réaliste, on apprécie le timbre de sa voix dans ses duos ou seul, pour un chant vainqueur et juste, et pour son Addio empli d’émotion, puissant et coloré. Face à Turridu, l’Alfio de Carlos Almaguer. Sa voix de baryton résonne, déterminée jusque dans les graves aux inflexions tragiques. Physiquement, avec son long manteau et ses bottes il est impressionnant, donnant au personnage cette virilité rude qui n’empêche pas la musicalité de son chant. Le choeur de l’opéra de Toulon nous avait habitués à de meilleures prestations mais, avec ces entrées en scène et ces descentes dans les rochers, il est bien difficile d’avoir des ensembles très précis. pour coordonner plateau et orchestre, le Maestro Giuliano Carella était à la baguette. Malgré son efficacité légendaire, on le sent moins à l’aise dans ce répertoire, les tempi sont un peu lents, ce qui est rare avec ce chef débordant d’énergie, mais il réussit à trouver de belles couleurs pour l’orchestre avec des violons sensibles dans un intermezzo très musical. Si les oppositions de nuances sont quelques fois trop contrastée, de belles respirations laissent les solistes s’exprimer avec aisance, avec par exemple un solo de violoncelle sensible et musical.
Pagliacci, composé dans le même style et dans une construction tout aussi dramatique par Ruggiero Leoncavallo, est créé au Teatro dal Verme de Milan le 21 mai 1892 ; cet opéra obtient lui aussi un tel succès qu’il occultera les autres oeuvres du compositeur. Si la situation géographique à légèrement changé, nous sommes toujours dans le sud de l’Italie en Calabre plus exactement, où l’oeuvre est située. Du village où se produit la petite troupe de théâtre nous ne verrons rien. Du vérisme, certes, mais ici nous sommes en plein misérabilisme. Les rochers qui faisaient le décor de Cavalleria Rusticana sont recouverts de détritus et de hardes. Horreur ! Sommes-nous sur une décharge publique ? Les villageois sont habillés de haillons et les costumes des comédiens sont à l’avenant. Une ambiance glauque règne. Les lumières ne seront pas plus inspirées ici que pour Cavalleria Rusticana : quelques changements d’intensité ou de couleurs, et peut-être un éclairage un peu plus puissant sur les comédiens jouant leur scène sur des tréteaux de fortune. Une idée intéressante peut-être (la seule), transformera Colomnina, Taddeo, Arlecchino et Pagliaccio en marionnettes, faisant ainsi la différence entre chanteurs et comédiens du petit théâtre. Du côté des voix, nous retrouvons Carlos Almaguer (Tonio et Taddeo), dans un costume indescriptible pour un prologue sonore et puissant. Avec de beaux graves et une voix projetée, il incarne cet être fourbe et maléfique qui impressionne aussi bien Nedda que les spectateurs. Toujours juste dans ses interprétations, Carlos Almaguer est un peu monolithique, et l’on pourrait souhaiter plus de finesse dans son jeu. Quoiqu’il en soit, avec une voix homogène dans chaque registre, le baryton mexicain est une valeur sûre. Tel Otello manipulé par Iago, Canio ( Pagliaccio) laissera sa jalousie le mener jusqu’au crime. Badri Maiuradze prête ici sa voix, mais aussi sa fougue à ce rôle pas toujours sympathique. Le ténor  georgien, doté d’une grande puissance aussi bien vocale que physique, est assez inégal. Quelques aigus sont ronds et bien placés, d’autres nettement moins affirmés. Une présence scénique, certes, mais avec une violence d’expression qui enlève les inflexions plus humaines du personnage. Cette interprétation puissante stupéfie plus qu’elle ne séduit. Silvio est interprété par le baryton anglais Charles Rice. Avec le physique et la voix du rôle, on comprend tout de suite ce qui a séduit Nedda. Habillé tel un employé de la voirie il n’en a pas moins une belle allure. Sa voix colorée et projetée a les accents de cet amoureux décidé à braver les danger pour sauver sa belle. Une voix avec de beaux graves qui sait prendre les inflexions justes dans la tendresse, la peur ou le courage. Charles Rice est un Silvio que l’on aimerait écouter dans un rôle plus conséquent. Giuseppe Tommaso que nous avions déjà entendu dans le rôle d’Alfredo (La Traviata) est ici Beppe ou Arlecchino. Avec une voix percutante et nuancée, il joue bien apportant un peu de fraîcheur dans ce drame. C’est Anna Kazyan qui chante le rôle de Nedda ou Colombina. Habillée d’une robe courte mi bohémienne mi ballerine aux couleurs agréables, elle est cette jeune fille apeurée qui essaie désespérément d’échapper à son destin. Aussi bien dans des rôles comiques Despina (Cosi fan tutte) que plus dramatiques, elle trouve sa place avec aisance et professionnalisme. Sa voix qui monte avec légèreté dans les aigus pour la ballatella des oiseaux sait aussi s’affirmer pour plus d’émotion ou des aigus plus puissants. Legato et phrasé sont la marque de cette jolie soprano dont la musicalité ressort aussi dans les duos. Pas plus que dans Cavaleria Rusticana, le choeur n’est au top de ses possibilités. Peu à l’aise sur ces rochers couverts de lambeaux de tissus, l’ensemble manque de cohésion. Claude-Henri Bonnet suit avec intelligence les jeunes chanteurs, nous donnant ainsi l’occasion de les apprécier dans des rôles différents. Sous la baguette de Giuliano Carella, l’orchestre a été remarqué pour sa bonne tenue et les belles interprétations des solistes. Malgré un tempo un peu lent, les violons donnent une jolie couleur à l’intermezzo. Si le public a manifesté son plaisir avec beaucoup d’enthousiasme, Décors et mise en scène ne nous ont absolument pas séduits. Photo © Frédéric Stéphan