Marseille, Opéra Municipal “Le dernier jour d’un condamné”

Marseille, Opéra municipal, saison 2017 / 2018
LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ”
Drame en 2 actes et 1 intermezzo, livret de Roberto, David et Frederico Alagna, d’après le roman éponyme de Victor Hugo.
Musique   David Alagna
Le Condamné à mort  ROBERTO ALAGNA
Le Geôlier PHILIPPE ERMELIER
L’Huissier JEAN-MARIE DELPAS
Le Friauche  CYRIL ROVERY
l’Aumônier ERIC MARTIN-BONNET
Le bourreau LUC BERTIN-HUGAULT
Le Procureur  YVES COUDRAY
Le Premier forçat JEAN-VITAL PETIT
Le Deuxième Forçat  NORBERT DOL
La Condamnée à mort  ADINA AARON
Le Guichetier de garde  CARL GHAZAROSSIAN
Le Directeur  YANN TOUSSAINT
Le prêtre FRANCIS DUDZIAK
La récitante CATHERINE ALCOVER
La Violoniste   ALEXANDRA JOUANNIE
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale  Jean-Yves Ossonce
Chef du Choeur  Emmanuel Trenque
Mise en scène Nadine Duffaut
Décors Emmanuelle Favre
Costumes Katia Duflot
Lumières Philippe Grosperrin
Marseille, le 28 septembre 2017
Pour l’ouverture de la saison 2017/2018, l’Opéra de Marseille avait fait le choix audacieux de présenter Le Dernier jour d’un condamné, drame en 2 actes et un intermezzo. Si la musique est de David Alagna, le livret est le résultat d’un “savoir frères” entre David, Roberto et Frederico, comme le dit ce dernier avec humour. L’oeuvre éponyme de Victor Hugo a plus qu’inspiré cette partition car c’est au plus près du texte que le livret est écrit sans vouloir transformer cette oeuvre en aucune façon. Publié en 1829, le drame de Victor Hugo garde ici toute sa puissance et la force de réflexion qui ont traversé les siècles. Audacieux donc ce choix car, en présentant une pièce basée sur la condamnation et la peine de mort dans le contexte actuel, remplir les salles est plus qu’incertain. Mais, Maurice Xiberras, Directeur Général de l’Opéra de Marseille, n’est pas homme à reculer devant une prise de risques lorsqu’il fait un choix artistique. Et le choix ici était bon. Certes, la salle n’affichait pas complet, mais les mélomanes curieux, que la sévérité du titre n’avait pas rebutés, ont fortement applaudi dans son entier cette représentation forte de bout en bout ; sans relâche émotionnelle, dans une mise en scène qui reste sobre et sans pathos exagéré, nous partageons les derniers moments de deux êtres qui vont mourir. Le visuel, loin de distraire, apporte plus de réalité et d’intensité au texte de Victor Hugo. Seul ajout à ce plaidoyer contre la peine de mort, un parallèle très bien venu : une seconde cellule où une femme de couleur est incarcérée, attendant elle aussi la sentence suprême ; une prison américaine actuelle dans un état où la peine de mort est encore d’actualité. Deux personnages se partagent donc le texte de Victor Hugo avec leurs doutes, leurs angoisses, leurs révoltes et leur acceptation. Que dire de ce spectacle à part qu’il est construit de mains de maîtres. La musique est tonale avec des accents en accord avec les sentiments et les atmosphères dans un choix judicieux d’instruments : gong, cloches, clarinette basse, roulements de tambour… Rendant hommage à Modeste Moussorgski, David Alagna nous fait entendre quelques réminiscences de son Boris Godounov, mais toujours par touches et sans effets appuyés. Les passages chantés par le choeur sont peu marqués (car les personnages sont anonymes) mais adaptés avec intelligence ; ainsi la complainte des forçats, qui reste un moment de grande tension. Les voix sont utilisées dans une écriture qui convient aux tessitures des chanteurs avec quelques coups d’éclat mais toujours nuancés. Si nous exceptons la prison américaine, nous sommes au XIXe siècle ; une récitante nous livre quelques extraits d’essais politiques écrits par Victor Hugo aux sons d’un violon parfois violent, nous sommes immédiatement plongés dans cette époque où les écrivains avaient le droit de s’exprimer avec virulence. La mise en scène de Nadine Duffaut est très bien construite. Chaque personnage laisse ressortir ses sentiments avec des gestes limités à la surface de leur cellule, mais toujours imprégnés d’une grande intensité. Chaque émotion est retransmise visuellement et touche immédiatement le spectateur. Cette mise en scène et cette justesse d’expression feront en grande partie le succès de l’ouvrage. Un décor pivotant met en évidence les différents lieux, rendant très lisibles les passages d’une cellule à l’autre. Emmanuelle Favre a su créer entre ces murs, des atmosphères pesantes et crédibles. murs salis et sombres tels qu’on les imagine au XIXè siècle, et cellule blanche et aseptisée où la mort est donnée par injection létale. Quels que soient les lieux, la mort est universelle, c’est sans doute la raison pour laquelle au dernier moment La Condamnée américaine sera guillotinée, Le Condamné français prenant sa place. Les costumes de Katia Dufflot sont justes. Le blanc immaculé de la tenue de La Condamnée tranche sur la noirceur de l’ambiance du XIXe siècle, les hommes venus assister Le Condamné portant redingote et chapeau haut-de-forme. Cette sobriété dans une justesse de style contribue à la cohérence de l’oeuvre. Les lumières de Philippe Grosperrin éclairent les scènes avec nuances, faisant ressortir les atmosphères liées aux lieux et aux sentiments des personnages. Des éclairages subtils, en clair-obscur, rayons de vie dans une cellule sombre, mais aussi terrifiants dans la clarté blanchâtre de la cellule américaine. Le choix des interprètes est aussi des plus judicieux, avec un casting parfait jusqu’aux rôles secondaires. Roberto Alagna, incontournable bien évidemment, pour cette partition écrite pour lui, dans un rôle taillé à ses mesures. La voix est chaude, colorée, les inflexions sont émouvantes avec justesse, les aigus sont contrôlés avec un rien de fatigue qui sied à ce personnage angoissé, et toujours cette diction irréprochable qui rend le surtitrage inutile. Scéniquement investi, il est ce Condamné ; ses émotions passent avec crédibilité mais sans théâtralité. Roberto Alagna reste dans ce rôle aussi , un grand artiste. Le choix d’Adina Aaron pour jouer la Condamnée est plus que judicieux. Très appréciée du public marseillais qui se souvient de sa Tosca interprétée en 2015, elle est ici cette jeune femme noire qui attend la mort, avec ses émotions qui se dévoilent avec crédibilité tout au long de l’ouvrage. Emouvant monologue en introspection où l’on partage sa souffrance, ses peurs, sa révolte, ses refus et son acceptation. Elle parle en anglais, elle chante en français, et sa voix est un support émotionnel. Voix chaude, bien placée, au souffle soutenu et aux respirations adaptées. Les aigus larges et puissants, laissent place à la prière. Adina Aaron fait preuve d’un bel engagement scénique et vocal. Deux immenses artistes qui se complètent dans ces rôles séparés par le temps. Evidemment, piliers de la réussite, mais accompagnés par les personnages qui gravitent autour, et qu’il faudrait citer nommément. Cyril Rovery (Le Friauche), voix solide et percutante, Jean-Marie Delpas (L’Huissier), à la voix ronde et toujours juste dans ses interprétations, Francis Dudziak, aussi bien dans les rôles comiques que plus dramatiques, ici Le prêtre, mais aussi Eric Martin-Bonnet L’Aumônier, et chacun des autres interprètes qui apportent une touche personnelle au succès. Toujours très bien préparé par Emmanuel Trenque, Le Choeur fait montre d’une grande compréhension de l’ouvrage, sachant rester sobre mais néanmoins puissant avec un grand sens du dramatique de situations : complainte des forçats, ou rires graveleux. Chaque atmosphère traduit une puissance émotionnelle. Il faut noter aussi La récitante Catherine Alcover qui, vêtue d’une longue robe noire, nous fait entendre, avant que le rideau ne se lève, la voix de Victor Hugo dans ses essais politique et plaidoyers contre la peine de mort soutenue par les accents forts du violon d’Alexandra Jouannié qui a elle même écrit cette partition d’une grande puissance. Jean-Yves Ossonce était à la tête de la phalange marseillaise toujours à un niveau d’excellence. Avec le bras droit immobilisé après une mauvaise chute, le chef réussit à tenir l’orchestre avec son simple bras gauche. Il fait passer le souffle émotionnel au travers des instruments dans une musique adaptée au texte, au contexte et aux voix dans une écriture qui les respecte et ne les couvre jamais. L’Intermezzo est un moment musical très particulier sur une vidéo du quotidien de la vie d’avant, avec espoir et désespoir en substance. Dommage pour les absents ! Car, nombre de spectateurs qui étaient venus sans grand enthousiasme, ont quitté la salle après avoir longuement applaudi l’oeuvre, les artistes, la mise en scène et le travail accompli. Ce n’était pas gagné d’avance mais c’est un pari gagné. Gageons que cet ouvrage aura une longue vie de succès….mérités. Photo Christian Dresse