Chorégies d’Orange 2018: “Il barbiere di Siviglia”

Orange, Théâtre Antique, saison 2018
IL BARBIERE DI SIVIGLIA”
Mélodrame bouffe en deux actes, livret de Cesare Sterbini, d’après la comédie, Le Barbier de Séville ou la Précaution inutile de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais.
Musique Gioachino Rossini
Le Comte Almaviva IOAN HOTEA
Don Bartolo BRUNO DE SIMONE
Rosina OLGA PERETYATKO
Figaro FLORIAN SEMPEY
Don Basilio ALEXEÏ TIKHOMIROV
Berta ANNUNZIATA VESTRI
Fiorello GABRIELE RIBIS
Ambrogio ENZO IORIO
Orchestre national de Lyon, Choeur de l’Opéra Grand Avignon, Choeur de l’Opéra de Monte-Carlo
Direction musicale Giampaolo Bisanti
Coordination des choeurs Stefano Visconti
Mise en scène Adriano Sinivia
Décors Adriano Sinivia et Enzo Iorio
Costumes Enzo Iorio
Lumières Patrick Méeüs
Vidéos Gabriel Grinda
Orange, le 31 juillet 2018
Après le triomphe du monumental Mefistofele, les Chorégies d’Orange nous présentaient Le Barbier de Séville en cette soirée du 31 août. Choix judicieux sans doute puisque ce Barbier avait rempli l’immense Théâtre Antique d’un public enthousiaste, mais choix intrépide aussi car, comment meubler cette scène qui ne finit pas de s’étirer avec un opéra aussi intimiste, peu de chanteurs solistes et un nombre réduit de choristes ? Comment faire du grand spectacle en ce cas ? Mais tout simplement en transportant toute la troupe à Rome, dans les studios Cinecittà où l’on tourne Le Barbier de Séville… justement. Alors, l’équipe de tournage, les loges des artistes, le coin cantine, voilà qui va meubler la scène, avec plus de figurants que de chanteurs ; car, Le Barbier de Séville n’est pas le seul film que l’on tourne à ce moment à Cinecittà, l’on tourne avant le spectacle et pendant l’entracte aussi, dans une agitation d’acteurs costumés de diverses façons et qui n’ont rien à voir avec notre propos. Alors, est-ce que cela fonctionne ? Non. Ce petit bijou mis à la sauce spaghetti perd son âme. Cet opéra, commencé sur un fiasco à la première représentation donnée le 20 février 1816 au Teatro Argentina de Rome: cabale montée par les partisans du compositeur Paisiello qui avait écrit sur le même sujet 30 ans plus tôt, un ténor pas tout à fait à la hauteur, une corde de guitare qui se casse pendant qu’il chante sa sérénade, un chat qui, en traversant la scène fait miauler la salle… Le succès sera au rendez-vous dès 1817 et fera du Barbiere di Siviglia, joué de par le monde, l’opéra le plus populaire de Gioachino Rossini. La mise en scène d’Adriano Sinivia est peut-être originale, mais elle enlève tout son charme à cet opéra intimiste et, plus gênant encore, elle détruit les effets imaginés par le compositeur. Les décors signés par Adriano Sinivia et Enzo Iorio, peut-être bien pensés dans ce contexte, ne nous emmènent pas dans les ambiances de Séville avec la petite place bordées de maisons où les persiennes en jalousies occultent les belles sévillanes, les obligeant à ruser pour apercevoir un amoureux. Des décors que l’on change à vue, avec façade sans balcons, intérieur avec cuisine aménagée où l’on fera cuire quelques pâtes, une longue table de salle à manger et un salon de musique avec un piano pour les leçons de chant. Nous sommes ici en Italie vers la fin des années 1950, alors que la Fiat 500 et la Vespa font fureur ; c’est d’ailleurs sur cet engin que se déplace notre Figaro. Avec les costume d’Enzo Iorio point de Figaro coloré, il est en noir, ainsi que le Comte Almaviva, costume cravate et lunettes de soleil. Don Bartolo est en costume clair et Don Basilio a perdu toute la noirceur de son personnage habillé en garçon qui a poussé trop vite pour ses pantalons. Les robes de Rosina sont seyantes et bien coupées ainsi que les tenues de Berta. Mais rien ne fait mouche ici, même les lumières de Patrick Méeüs que nous apprécions habituellement ne sont pas inspirées. Blanches dans la maison ou plus sombres à la nuit tombée, sans effet particulier. Des vidéos de Gabriel Grinda nous avons surtout apprécié les effets de pluie très bien réalisés qui nous ont presque rafraîchis en cette soirée de canicule. Le dispositif scénique ainsi que la direction des acteurs ne donneront pas le pétillant ni le comique de situation recherchés par le compositeur. Dommage ! D’autant plus dommage que les chanteurs sont très bons. Florian Sempey est le Figaro actuel. Applaudi à l’Opéra de Marseille dans ce rôle en cours de saison, il domine ce plateau par la rondeur de sa voix, sa puissance et sa projection. Sa cavatina “Largo al factotum” est un modèle de diction et de vélocité. Aussi bien seul qu’en quintette ou en duo avec Rosina ou le Comte Almaviva, il donne du relief avec rythme et intensions musicales. Possédant ce rôle, il est aussi à l’aise dans son jeu que dans ses vocalises donnant beaucoup de caractère à son Figaro dans une voix homogène qui laisse ressortir les graves aussi bien que les aigus tenus. Remplaçant Michael Spyre souffrant, le ténor roumain Ioan Hotea se glisse avec vivacité dans le costume du Comte Almaviva. Difficile pour un chanteur de reprendre ce rôle au pied levé dans l’acoustique de cet immense théâtre à ciel ouvert où il chante pour la première fois. Peut-on lui tenir rigueur d’avoir moins de puissance qu’un Florian Sempey ? Certainement pas car n’est-ce pas une gageure que de chanter ici un ” Ecco ridente in cielo” au premier acte ou plus périlleux encore le “Cessa di più resistere”, air terrible de longueur et de difficulté technique en fin d’opéra ? Des airs, certes, écrits pour être chantés dans des salles plus adaptées. Mais c’est avec beaucoup d’intelligence et d’énergie que Ioan Hotea surmonte les difficultés dans une voix homogène au médium coloré. Et, si certaines vocalises manquent un peu de percutant, on apprécie les aigus assurés et tenus sur une belle longueur de souffle. Une très bonne prestation dans ces tempi propres à Rossini où rythmes et vélocité transportent le public. Le baryton Bruno de Simone est un Don Bartolo qui apporte, lui aussi, du relief à cette production par un jeu amusant qui ne manque pourtant pas de subtilité dans ses mimiques sans exagération. Voix pleine d’un baryton rompu aux rôles bouffes, mais pas que. “A un dottore della mia sorte” permet de faire ressortir les multiples qualités du baryton italien, vélocité, justesse d’expression et rondeur du timbre. Nous avions tant apprécié Alexeï Tikhomirov dans le rôle de Boris Godounov interprété à l’Opéra de Marseille en février 2017 que nous attendions avec impatience de trembler en entendant son air “la calunnia è un venticello”. La voix de basse russe aux harmoniques chaudes est toujours là, qui emplit le Théâtre Antique et grimpe dans les gradins jouant du phrasé et de la musicalité. Mais, dans ce costume et cette mise en scène qui lui donne un air niais, Don Basilio n’a rien d’impressionnant. Et pourtant la basse russe a toujours cette superbe voix à faire trembler lorsque passe le vent glacé de la calomnie ; il ne nous a même pas rafraîchis ce soir. Bonne interprétation d’un Fiorello interprété par Gabriele Ribis qui règle les affaires du Comte Almaviva de sa voix grave et assurée de baryton. Amusante aussi la composition d’Enzo Iorio dans le rôle d’Ambrogio. Rosina est, avec Figaro le rôle le plus attendu de l’opéra de Rossini. La soprano russe Olga Peretryatko en possède le physique et le piquant dans une voix chaude aux couleurs d’un mezzo-soprano dans le grave, ce qui lui permet de donner à son interprétation les teintes que demandait Rossini en composant ces airs pour une voix de contralto coloratura. Mais elle possède aussi les aigus, la vélocité et le staccato d’une véritable rossinienne. Saluée par la presse américaine comme la reine du Belcanto, elle séduit le public du Théâtre Antique par sa technique qui lui fait atteindre les aigus avec facilité et par la brillance de ses vocalises. Aussi à l’aise dans son jeu que dans la cavatina “Una voce pocco fa”, elle apporte à cette production charme et relief. A l’aise aussi la Berta d’Annunziata Vestri, déjà très appréciée aux côtés de Florian Sempey dans Le Barbier de Séville donné à l’Opéra de Marseille il y a peu de temps. Voix chaude, projetée, la mezzo-soprano italienne joue avec humour et chante son air avec beaucoup d’esprit dans une voix homogène au staccato rythmé. les messieurs des Choeurs de l’opéra Grand Avignon et Monte-Carlo font ici montre d’un bel ensemble et d’un bon investissement dans une grande homogénéité des voix. Sous la baguette précise et pétillante du maestro italien Giampaolo Bisanti, l’Orchestre national de Lyon se révèle à la hauteur du défi de faire résonner les notes staccato de la partition et les faire monter jusqu’au plus haut gradin. Le bel ensemble et la précision de la direction permet à l’orchestre de faire entendre la musique de Gioachino Rossini dans ses plus belle nuances aux accents humoristiques qui accompagnent les chanteurs. Interprétation musicale et pertinente du chef et de son orchestre. Fiat 500, Vespa, persagliere, et même un Don Camillo sur son vélo donnaient à ce Barbier un air plus romain que sévillant. Il ne manquait que la Fontaine de Trevi pour une Dolce vita réussie. Le public adhère au propos et fait un triomphe aux chanteurs et à ce Barbiere di…Siviglia joué pour la première fois dans le Théâtre Antique d’Orange. Un grand bravo à toute l’équipe très investie. Photo Gromelle