Marseille, Opéra Municipal: “La donna del lago”

Marseille, Opéra Municipal, saison 2018/2019
“LA DONNA DEL LAGO”
Opéra en 2 actes, livret d’Andrea Leone Tottola d’après le poème narratif de Sir Walter Scott, The Lady of the Lake (1810).
Musique Gioacchino Rossini
Elena KARINE DESHAYES
Malcom VARDUHI ABRAHAMYAN
Albina HELENE CARPENTIER
Giacomo V EDGARDO ROCHA
Rodrigo ENEA SCALA
Douglas NICOLA ULIVIERI
Serana/Beltram REMY MATHIEU
Orchestre et Choeur de l’opéra de Marseille
Direction musicale José Miguel Pérez-Sierra
Chef de Choeur Emmanuel Trenque
Version concertante
Marseille, le 10 octobre 2018
A l’Opéra de Marseille,  La Donna del Lago vient célébrer les 150 ans de la disparition de Gioacchino Rossini. Le compositeur n’aura que peu de temps pour composer cet opéra créé le 24 septembre 1819. En effet, le Teatro San Carlo a besoin d’un nouvel opéra pour l’ouverture de la saison. Trois mois, c’est peu, mais Rossini compose vite. Qu’importe, bien que Rossini soit le maître incontesté du réemploi, tous les airs sont inédits et extrêmement bien écrits pour les voix où deux ténors se livrent un combat à coups de contre-ut et contre-ré. Un festival de notes aiguës mais déjà dans un esprit romantique. Si lors de la première l’un des ténor se fait siffler déclenchant un chahut, le succès sera au rendez-vous dès la deuxième représentation. Si la version concertant d’un opéra effraie encore certains auditeurs, le cast réuni ici pallie le manque de mise en scène et récolte tous les suffrages. Un véritable régal pour les oreilles mais pourquoi pas aussi pour les yeux. Elena, est Karine Deshayes. Issue de la troupe de l’Opéra de Lyon, elle fait résonner sa voix musicale sur les plus grandes scènes. Au moelleux de sa voix Karine Deshayes allie une technique impeccable mais aussi une grande délicatesse d’interprétation. La beauté des sons, l’agilité des vocalises, l’homogénéité de la voix dans chaque tessiture séduisent l’auditeur. Mais les qualités de la mezzo ne s’arrêtent pas là. Comment décrire le style, l’intelligence du chant, l’interprétation qui laisse percer les émotions la rendant poignante, fébrile ou plus volontaire ? Voix velouté qui laisse éclater les aigus, qui vont jusqu’au contre-ut, toujours mélodieux. Avec ses duos de charme et un final éblouissant aux vocalises articulées, Karine Deshayes est une Elena que l’on n’oubliera pas. Varduhi Abrahamyan, plus contralto que mezzo-soprano, prête sa voix chaude au rôle travesti de Malcolm. Sa voix sombre et somptueuse fait encore merveille ici. Que dire des harmoniques contenues dans sa voix, mais aussi de son agilité, de ses ornementations, de son aisance, de sa puissance naturelle et mesurée, de ses piani dans un souffle ou de ses aigus pleins et sonores qui montent jusqu’au contre-si ou de ses graves jamais “poitrinés” ? Quelle technique, quelle musicalité ! Belle phrase chantée a cappella en duo avec Elena dans une même esthétique musicale. Superbe ! Au côté de ces deux magnifiques artistes, Hélèné Carpentier ne démérite pas, bien au contraire. La jeune soprano est une Albina à la voix juvénile, claire et projetée qui passe sans forcer. Dans le rôle de Giacomo V, le ténor Edgardo Rocha, dont la diction projetée laisse passer contre-ut et contre-ré avec aisance et facilité. Sa voix timbrée et assurée se marie, dans un bel équilibre, à celle d’Elena pour de jolis duos. Présence et prestance pour un roi brillant à la technique parfaite qui sait être sensible ou plus autoritaire, avec le même naturel aussi bien dans les récitatifs que dans le phrasé, et  dans une belle ligne de chant. Avec des aigus tenus et soutenus, et des ornementations agiles, Edgardo Rocha est un ténor rossinien aux multiples qualités dont la voix colorée jusque dans les notes suraiguës a fait crépiter les applaudissements. Autre ténor brillantissime aussi, Enea Scala. N’aimant pas être classé dans la catégorie des baritenors, auquel son grand ambitus fait immédiatement penser, le ténor italien aime chanter les héros romantiques de Bellini ou Donizetti. Il est ici Rodrigo, ce guerrier belliqueux et amoureux qui lance contre-ut et contre-ré avec aisance et puissance et s’affirme dans une voix assurée et sonore. Voix homogène aux graves timbrés qui fait aussi entendre des phrasés délicats avec de belles prises de notes. Ecritue aux écarts périlleux dont se joue avec facilité un Enea Scala en pleine possession se ses moyens. Vocalises musicales, respirations, prises de notes franches sans brutalité, le ténor italien participe à ce feu d’artifice vocal dans un duo de ténors ou un trio avec Elena. Une interprétation sans faute qui donne un grand relief et applaudissements au rendez-vous pour ce quatuor de voix éblouissantes. Nicola Ulivieri prête sa prestance et sa voix solide de basse au rôle de Douglas. Chanteur à la belle technique.De l’allure, il s’impose aussi par sa voix grave et projetée dans son air ou les récitatifs qui font ressortir son style mozartien. Duo équilibré avec Rodrigo, autorité avec Elena, mais aussi musicalité et intelligence du phrasé, sa voix grave résonne avec profondeur. Rémy Mathieu, il est ici Serano, rôle qu’il interprète avec une certaine autorité dans une voix claire et projetée. Protagoniste à part entière: le Choeur, admirablement préparé par Emmanuel Trenque. Choeur d’hommes, voix viriles et guerrières pour des récits ou des préparations aux combats dans des ensembles parfaits aux attaques projetées. Choeur de femmes plus sensibles ou Choeur mixte avec toujours la même intensité et le même investissement. Un grand bravo ! Vocalement au top niveau, ce plateau n’aurait pu atteindre cette homogénéité et ce relief sans un orchestre et un chef à sa mesure. José Miguel Pérez-Sierra est ce jeune chef d’orchestre espagnol qui a su donner, dans des tempi justes, le souffle, le rythme mais aussi les respirations et les nuances sans lesquels aucun relief n’est possible. Douceur et fermeté de la baguette, gestes minimalistes ou plus élargis, mais toujours avec le sens du rythme ou du phrasé. José Miguel Pérez-Sierra laisse sonner l’orchestre dans de minis introductions ou soutient les chanteurs tout en les laissant s’exprimer. Homogénéité des pupitres et des sonorités. Après les rythmes d’un Leonard Bernstein, la légèreté d’un Rossini. C’est avec souplesse et intelligence que l’orchestre se plie à ces exigences . Accords sonores sans dureté, moelleux des cordes, accompagnement sensible. Longue, très longue ovation pour les artistes. Photo Christian Dresse