Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2019: Teodor Currentzis & Orchestre et Choeur MusicAeterna

Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2019
MusicAeterna, choeur et orchestre
Direction musicale Teodor Currentzis
Soprano Zarina Abaeva
Mezzo-soprano Hermine May
Ténor Dmytro Popov
Basse Tareq Nazmi
Giuseppe Verdi:“Messa da Requiem”
Aix-en-Provence, le 14 avril 2019
Un Requiem “diabolique” nous était présenté au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence en cette soirée du 14 avril. Dès l’entrée des interprètes nous savions que la version de ce Requiem serait très particulière. Vêtus tels des popes (longues robes noires), choristes et musiciens entraient en scène dans un grand silence. Sont-ce les mots du chef d’orchestre Hans von Bülow, qui qualifiait cette Messa da Requiem d’opéra en soutane, qui ont inspiré le chef d’orchestre Teodor Currentzis ? Toujours est-il que l’effet est saisissant, et encore plus saisissant à son arrivée : ample vareuse noire, chaussé de bottillons de la même couleur. Les musiciens jouent debout, concentrés sur la gestuelle du chef d’orchestre qui dirige sans baguette. Ici rien n’est laissé au hasard, tout est pensé, travaillé, dans une grande précision et une volonté de contrastes. Teodor Currentzis, qui recherche le caractère juste et l’excellence dans la technique veut marquer les esprits et il a atteint son but. Cette Missa defunctorum (Messe des défunts) nous entraîne, nous plonge même dans le royaume des ténèbres. Nous y allons avec tous les exécutants à la suite de ce personnage longiligne tout vêtu de noir dont les longs bras et les mains véloces vous prennent sans jamais plus vous quitter. Lutte-t-il contre les puissances des ténèbres ou est-il le diable lui-même ? Nous ne le saurons pas, tant nous sommes médusés. Nous espérions une élévation spirituelle, nous sommes plongés dans le centre de la terre. La puissance de l’orchestre avec cette grosse caisse aux coups impressionnants nous meurtrit, le Choeur mezzo-voce nous inquiète, les trompettes en réponse dans les loges nous font trembler. L’orchestre est d’une grande précision, les archets sur les cordes sont diaboliques, mais les tempi sont justes et les nuances, jouant les contrastes, sont là pour vous couper le souffle. Nous ne sommes pas ici en tant que spectateur, nous sommes partie prenante. Nous implorons dans un Salva me tragique, mais nous prions dans la lumière de l’Ingemisco au son du hautbois. Le Lacrymosa nous offre ses pleurs et l’Offertoire un superbe soli de violoncelles aux sonorités chaudes dans un ensemble parfait. Le Choeur nous réveille dans un Sanctus rythmé par les trompettes aux sons héroïques, nous implorons la lumière dans un Lux aeterna plus apaisé et la dernière prière pianississimo du Libera me nous laisse anéantis. Orchestre puissant, sonorités parfaite des cors pavillons relevés, des trompettes tonitruantes, des timbales et de la grosse caisse à réveiller les morts. Quatuor, cuivres… Travail minutieux, résultat époustouflant, aussi pour le Choeur d’une grande puissance, d’un ensemble parfait aux attaques qui font trembler l’édifice. Quatuor vocal des solistes équilibré. La soprano Zarina Abaeva impose sa voix ronde, colorée, puissante mais aussi d’une grande pureté dont les aigus apportent lumière et espoir. Une voix d’une justesse extrême pour un Agnus Dei a capella en duo avec la mezzo-soprano, qui prend des accents plus tragiques dans un Libera me projeté. Puissante aussi la voix de la mezzo-soprano Hermine May qui sait faire résonner les graves aussi bien que des aigus venus du ciel. Le timbre chaleureux de sa voix dans chaque registre lui permet ces échanges vocaux affirmés dans une grande musicalité. La voix du ténor Dmytro Popov résonne, chaude, parfois héroïque ou plus intérieure, dès l’Ingemisco dans de belles prises de notes. Aigus puissants, legato musical qui exprime la souffrance ou fait naître la lumière, voix projetée qui se joint aux autres pour un quatuor vocal équilibré. Il faut une basse sonore dans ce Requiem où Verdi a si bien écrit pour cette voix. Peut-être celle de Tarec Nazmi n’est-elle pas assez sombre, mais son investissement, sa grande compréhension de la ligne musicale, son implication dans le soutien du souffle et des basses interpellent dès le Mors stupebit chanté de façon intériorisée. Sa voix à la puissance contrôlée lui permet de jolis phrasés et une grande pureté de style tout en gardant la profondeur du timbre. Si l’orchestre est omniprésent, les voix solistes et le Choeur sont l’essence même de ce Requiem. Teodor Currentzis l’a voulu ainsi, puissant, violent, marqué, dont la précision ne laisse place à aucun moment d’évasion. Vous êtes pris, meurtri, contusionné, stupéfié, même les applaudissements se taisent avant que le chef d’orchestre, resté en méditation, ne vous donne l’autorisation de manifester votre contentement. Un manque de spontanéité, de sincérité peut-être, mais un Requiem dont on ne sort pas vivant ! Photo Nadia Rosenberg