Chorégies d’Orange 2019, Théâtre Antique: “Guillaume Tell”

Orange, Théâtre Antique, saison 2019
“GUILLAUME TELL”
Opéra en quatre actes, livret de Victor Joseph Etienne de Jouy et Hippolyte Louis Florent Bis, d’après la tragédie de Schiller
Musique de Gioachino Rossini
Guillaume Tell NICOLA ALAIMO
Hedwige NORA GUBISCH
Jemmy JODIE DEVOS
Arnold CELSO ALBELO
Melchtal PHILIPPE KAHN
Walter Furst NICOLAS CAVALLIER
Gesler NICOLAS COURJAL
Mathilde ANNICK MASSIS
Rodolphe PHILIPPE DO
Leuthold JULIEN VERONESE
Rudi CYRILLE DUBOIS
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Choeur de l’Opéra de Monte-Carlo & du Théâtre du Capitole de Toulouse
Ballet de l’Opéra Grand Avignon
Direction musicale Gianluca Capuano
Chefs des Choeurs Stephano visconti, Alphonse Caiani
Mise en scène Jean-Louis Grinda
Décors Eric Chevalier
Costumes Françoise Raybaud
Lumières Laurent Castaingt
Chorégraphie Eugénie Andrin
Orange, le 12 juillet 2019
Le Guillaume Tell programmé par Jean-Louis Grinda pour sa deuxième édition aux Chorégies d’Orange et donné pour la première fois en ce lieu, a réuni plus de six mille spectateurs en une seule représentation. Est-ce une gageure de programmer ce compositeur dans ce vaste lieu à ciel ouvert ? Peut-être, mais raconter l’histoire du héros helvète permet un grand déploiement de foule qui convient tout à fait à cette immense scène. Légende de la Suisse médiévale ou fait historique ? Le nom de Guillaume Tell est plus inscrit dans les mémoires  pour avoir transpercé d’une flèche la pomme posée sur la tête de son fils que pour ses faits héroïques. L’ultime opéra écrit par Rossini, alors âgé de 37 ans, est présenté ici en français comme lors de sa création le 3 août 1829 à Paris, salle Le Pellletier. Cet opéra, très joué jusqu’au début du XXe siècle, sera moins représenté dans ses dernières décennies sans doute à cause de la difficile tessiture aiguë que le ténor chantait alors en voix de fausset et qui se chante maintenant en pleine force dans une voix de poitrine. La mise en scène, traditionnelle et agréable à regarder, est de Jean-louis Grinda, qui nous avait donné un magnifique Mefistofele aux dernières chorégies. le metteur en scène utilise la totalité du vaste plateau, permettant aux nombreux choristes, danseurs et figurants d’évoluer avec aisance dans diverses scènes paysannes ou guerrières. Ne voit-on pas des hommes mimant le geste des faucheurs ou même Guillaume Tell creusant des sillons attelé à une charrue pour de futures semailles ? les lumières de laurent Castaingt  jouent les tons dorés avec des éclairages aux teintes douces aux couleurs sépia , en clair obscur ou aux lumières rasantes. Le décor d’Eric Chevalier laisse la scène assez nue, transformant plutôt le mur du théâtre Antique en paysages alpestres aux sommets enneigés, aux frondaisons mouvantes, le sol devenant un lac d’un très bel effet. Les costumes conçus par Françoise Raybaud restent dans ces atmosphères d’anciennes images, un peu désuètes qui, bien que ne correspondant pas à l’époque médiévale contribuent à nous transporter dans une Suisse bucolique du XIXe siècle avec de jolis costumes de paysannes aux coiffes blanches et une superbe Mathilde, vêtue d’un élégant costume noir d’amazone, montée sur un beau cheval blanc. L’intéressante chorégraphie d’Eugénie Andrin illustre avec efficacité le propos. gaîté pour une scène de mariage ou angoisse d’un peuple qui s’écroule peu à peu sous les coups de l’oppresseur au cours d’une ronde effrénée. le choix des artistes est certes délicat pour chanter du Rossini dans ce vaste théâtre à ciel ouvert. Le plateau est homogène, ce qui est souvent source de réussite, mais les voix ne prendront toute leur dimension qu’en deuxième partie. Sans doute est-ce dû à une écriture moins rossinienne. Annick Massis est une Mathilde à l’allure et la prestance de princesse dont l’air d’entrée “Sombres forêts” est chanté avec délicatesse mais, écrit sur un mode déclamatoire, il a du mal à passer ; beaux aigus où l’on retrouve la voix tant appréciée d’Annick Massis. C’est après l’entracte que le jeu et la voix de la soprano se révèleront avec plus de force, dans la puissance de la colère mais surtout grâce aux phrases plus belcantistes. Superbe air avec cabaletta de l’acte III “Pour notre amour plus d’espérance” aux aigus projetés. Jolies vocalises aussi que l’on préfère écouter dans une salle. Nora Gubisch est Hedwige, la femme solide de Guillaume Tell au mezzo-soprano profond. la couleur de la voix est belle mais, pas assez projetée, celle-ci reste un peu en arrière ; mais voix puissante qui sait moduler dans de jolis duos ou trios émouvants. Jodie Devos est le jeune Jemmy ; habituée aux rôles de jeunes garçons, ainsi dans le rôle d’Yniold (Pelléas et Mélisande). La voix de la soprano est parfaite pour incarner ce rôle. Très à l’aise sur scène et vocalement, elle fait montre de musicalité et de caractère, chantant dans une voix cristalline et percutante aux accents d’une grande vérité. Nicola Alaimo est Guillaume Tell. Stature impressionnante et timbre de voix coloré. Une voix homogène qui manque de puissance par moments. Sans doute l’orchestre est-il un peu trop fort. C’est dans son air “Reste immobile” particulièrement émouvant qu’on retrouve toute la musicalité et le phrasé que l’on aime chez le baryton sicilien avec un joli duo de voix graves chanté avec Walter Furst. Moments d’autorité et de plus grande puissance aussi. Un Guillaume Tell plus humain que guerrier où transpire la tendresse, mais qui sait faire éclater sa colère avec puissance. L’Arnold de Celso Albelo fait résonner aigus et suraigus puissants et projetés avec facilité. Musicalité et phrasé ressortent ans un duo passionné avec Mathilde. Son air “Asile héréditaire” est chanté dans une voix ronde et pleine où justesse et respirations riment avec puissance et musicalité. Une très belle prestation. Nicolas Cavallier se fait remarquer dans le rôle assez court de Walter Furst ; belle voix grave sûre, sonore et musicale qui porte loin. L’immensité semble lui convenir pour un jeu plus à l’aise et plus naturel que sur une petite scène. Une découverte pour nous. Philippe Kahn est un solide Melchtal dont la voix sonore et bien placée va bien à son allure de sage. Avec sa voix de basse, Nicolas Courjal est un Gesler antipathique et grinçant. La voix est puissante, ronde et profonde mais son défaut de projection, rendant le phrasé moins musical, est parfois gênant. Philippe Do projette sa voix de ténor pour un Rodolphe énergique et soutenu. On aime la voix de ténor léger de Cyrille Dubois pour un Ruodi dont le chant en voix mixte et aux inflexions dans la pure tradition française donne fraîcheur et naïveté au personnage. Le baryton Julien Véronèse fait résonner sa voix grave avec assurance dans le rôle de Leuthold. Les Choeurs, très investis scéniquement et vocalement ont un rôle important dans cet opéra à grand spectacle. Dirigé par Gianluca Capuano, l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo investit l’immense Théâtre Antique de sa densité sonore. Souvent un peu fort en première partie, la puissance se stabilise après l’entracte laissant les chanteurs s’exprimer plus librement. La rondeur des sonorités et l’engagement musical des solistes est à noter. Superbe pupitre de cors et quintette de violoncelles très homogène et musical dans une ouverture aux atmosphères changeantes et aux Tempi bien choisis. Une longue soirée de musique qui manque peut-être de force en général, mais une fresque musicale toutefois très bien rendue. Photo Gromelle