Chorégies d’Orange 2019, Théâtre Antique: Symphonie No8, dite “des Mille” Gustav Mahler

Théâtre Antique, Orange, édition 2019
Symphonie No8, dite “des Mille” Gustav Mahler
Magna peccatrix  MEAGAN MILLER
Una poenitentium RICARDA MERBETH
Mater gloriosa ELEONORE MARGUERRE
Mulier Samaritana CLAUDIA MAHNKE
Maria Aegyptica GERHILD ROMBERGER
Doctor Marianus NIKOLAI SCHUKOFF
Pater ecstaticus BOAZ DANIEL
Pater profondus ALBERT DOHMEN

Orchestre National de France, Orchestre Philharmonique de Radio France, Choeur de Radio France, Maîtrise de Radio France, Choeur Philharmonique de Munich
Direction musicale Jukka-Pekka Saraste
Lumières François Thoron
Orange, le 29 juillet 2019
Pour fêter leur 150 ème anniversaire, les Chorégies d’Orange offraient aux 4000 spectateurs une oeuvre monumentale digne de l’écrin grandiose dans lequel elle était donnée. La Symphonie No8, dite “des Mille” de Gustav Mahler, créée à Munich le 12 septembre 1910 avec le compositeur à la baguette, a fait taire le Mistral et scintiller les étoiles ce soir à Orange. En l’été 1906 Gustav Mahler s’interroge : trouvera-t-il l’inspiration, pourra-t-il composer ? Puis, selon les dires du compositeur, la musique s’impose à lui et ne le quitte plus pendant deux longs mois. En accord avec l’Hymne de Pentecôte, l’Esprit Creator était-il descendu jusqu’à lui ? “Veni, Creator spiritus ” Hymne grégorienne u IXe siècle, est un chant utilisé dans la plupart des Eglises chrétiennes pour les consécrations, les événements solennels ; les religieuses de Compiègne l’auraient chanté alors qu’elles montaient à l’échafaud. Dans une écriture contrapuntique, pour une prière qui fait ressortir la puissance du recueillement et une lutte spirituelle en seconde partie, Gustav Mahler livre au monde un message pour une rédemption. Il dira lui-même – n’avoir jamais rien fait de plus grand jusqu’ici – expliquant la vision cosmique qu’il avait de son oeuvre. “Imaginez-vous que l’univers commence à retentir, à résonner. Ce ne sont plus des voix humaines , mais des planète, des soleils, décrivant leur orbite.” Y a-t-il un lien entre le Veni, Creator spiritus et la scène finale du Faust de Goethe de la seconde partie ? Le compositeur nous l’explique, c’est la rédemption par l’amour divin. Oeuvre monumentale qui regroupait 1029 exécutants lors de sa création (d’où son surnom “des Mille) avec 850 choristes. Si le compte est inférieur ici, il réunit deux immenses orchestres : l’Orchestre National de France, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, le Choeur de Radio France, la Maîtrise de Radio France ainsi que le Choeur Philharmonique de Munich qui feront souvent un tapis sonore aux huit solistes. Gustav Mahler, qui devait mourir un an après la création de cette symphonie, nous offre une oeuvre monumentale tel le chant d’un cygne dont les notes s’élèvent dans une quasi religiosité aux explosions cosmiques. Pour ses débuts aux Chorégies, Meagan Miller (Magna peccatrix) impose son soprano généreux et coloré qui passe sans forcer au-dessus de l’orchestre jouant les nuance avec subtilité, en soliste ou en ensemble de solistes. Ricarda Merbeth (Una poenitentium) n’est pas une inconnue aux Chorégies (Symphonie No9 de Beethoven 2011/2017, Le Vaisseau fantôme 2013). Elle sait comment projeter sa voix claire et puissante de soprano qui monte jusqu’aux derniers gradins pour des aigus victorieux qui gardent toute leur rondeur sonore. Claudia Mahnke (Mulier Samarita) possède une voix sonore et timbrée dans chaque tessiture. Elle fait entendre son mezzo-soprano dans de belles phrases en soliste ou en duos. Gerhild Romberger (Maria Aegyptica) fait résonner sa voix d’alto avec une grande présence en assurant les basses dans de beaux phrasés aux attaques sans dureté. Beau duo avec la mezzo-soprano pour deux voix qui s’accordent. Eleonore Marguerre (Mater gloriosa) fait entendre sa voix claire de soprano dans de jolies phrases venues du ciel. Le ténor Nikolai Schukoff (Doctor Marianus) fait aussi ses débuts aux Chorégies après avoir incarné Jim Mahoney (Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny) en début de mois au Festival d’Aix-en-Provence. Sa voix projetée passe sans forcer dans de jolis phrasés. Une voix aux sonorités rondes pour des aigus tenus sur une belle longueur de souffle. Le baryton Boaz Daniel (Pater ecstaticus), habitué aux rôles wagnériens, a chanté cette saison dans cette 8ème symphonie de Gustav Mahler à Munich. Il impose sa voix chaleureuse et homogène et fait le lien entre les deux autres voix masculines. De beaux aigus timbrés sur une belle longueur de souffle. Albert Dohmen (Pater profondus) fait résonner ses graves profonds dans de beaux phrasés. Des aigus clairs et des accents percutants donnent du relief à son chant. Un octuor vocal d’une grande homogénéité dont les qualités se retrouvent dans chaque intervention, donnant à toute cette symphonie la puissance contenue dans l’écriture orchestrale. Formidable prestation du Choeur de Radio France, du Choeur Philharmonique de Munich et de la Maîtrise de Radio France, d’une précision et d’une musicalité dans l’interprétation époustouflantes. Un formidable impact sonore dans les attaques puissantes, mais aussi de sublimes pianissimi en tutti ou en pupitres séparés. Une masse chorale aux voix homogènes et ductiles. Il revenait au chef d’orchestre finlandais Jukka-Pekka Saraste de diriger, de guider, d’inspirer et de donner du souffle pendant plus d’une heure trente à tous les artistes. Une prestation magistrale d’une grande précision. Des attaques franches, des crescendi rapides et puissants et des ralentis d’une grande musicalité. Le maestro a su tirer la quintessence de la musique de Gustav Mahler avec des atmosphères qui passent de la religiosité aux accents bucoliques, faisant ressortir chaque instrument soliste jusqu’aux mandolines, mais toujours avec souplesse. Les premiers accords avec les orgues font tonner et résonner le cosmos et donnent l’intensité qui empreint chaque moment de cette symphonie jusqu’aux roulements de timbales, d’une précision toute diabolique, aidée en cela par la résonance des cymbales qui monte jusqu’aux cieux. Une direction que l’on remarque tant les gestes sont précis et imposent la vision de l’oeuvre aussi bien dans les respirations que dans les énormes crescendi. Une interprétation magistrale pour une oeuvre monumentale donnée par un chef d’orchestre suivi par chaque interprète dans une unité de son et de souffle. Impressionnant ! Photo Gromelle