Marseille, Opéra Municipal: “Evgenij Onegin”

Marseille, opéra municipal, saison 2019 /2020
“EVGNIJ ONEGIN” (Eugène Onéguine)
Scène lyrique en 3 actes et 7 tableaux, livret de Piotr Ilitch Tchaïkovski et Constantin Chilovski d’après le roman en vers de Pouchkine
Musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski
Tatiana MARIE-ADELINE HENRY
Olga EMANUELA PASCU
Madame Larina DORIS LAMPRECHT
Filipievna CECILE GALOIS
Eugène Onéguine REGIS MENGUS
Lenski THOMAS BETTINGER
Le Prince Gremine NICOLAS COURJAL
Monsieur Triquet ERIC HUCHET
Un Capitaine SEVAG TACHDJIAN
Zaretski JEAN-MARIE DELPAS
Un Paysan WILFRIED TISSOT
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Robert Tuohy
Chef de Choeur Emmanuel Trenque
Mise en scène Alain Garichot
Décors Elsa Pavanel
Costumes Claude Masson
Lumières Marc Delamézière
Marseille, le 11 février 2020
En ce mois de février, l’Opéra municipal de Marseille programmait “Eugène Onéguine” et nous étions impatients de voir ces Scènes lyriques, chantées en russe, et écouter la sublime musique  d’un TchaÏkovski toujours très inspiré. Loin des fresques historiques, le compositeur cherchait un sujet plus intime mais toujours en écho avec l’âme russe propice aux envolées lyriques. Le roman en vers de Pouchkine lui donnera l’envie et les impulsions créatrices pour se lancer dans ce nouvel opéra, peut-être le plus beau; non seulement pour la véracité d’un drame provoqué par des sentiments exacerbés, mais pour ses airs merveilleux qui collent aux caractères des personnages:Tatiana, jeune fille rêveuse découvre l’exaltation des premiers émois dans la rencontre d’un Onéguine blasé, méprisant, en un mot odieux, et qui trouvera la force de le rejeter bien des années plus tard alors qu’il se découvre passionnément amoureux; Olga sa soeur, joyeuse, et dont l’insouciance poussera son amoureux le poète Lenski à provoquer son ami Onéguine dans un duel qui lui sera fatal. Quoi de plus romantique comme sujet, quoi de plus approprié à la musique de Tchaïkovski ? La production qui nous est présentée n’est pas une nouveauté ; elle voyage avec le même succès depuis Nancy où elle a été créée en 1997. Alain Garichot signe ici une mise en scène superbe et qui correspond aux exigences du compositeur. Dépouillée, sans audace, mais forte et d’une réelle beauté visuelle avec une direction d’acteurs millimétrée qui n’exclut pas une sorte de modernité. Alain Garichot nous plonge dans un drame où la tension est palpable jusqu’à la dernière image, celle d’un Onéguine seul, dévasté par l’échec de sa vie. Il est aidé en cela par les lumières qui recentrent l’attention sur les personnages. Marc Delamézière est un poète subjugué par les vers de Pouchkine. Cela se voit, cela se sent. Lumières dorées d’un crépuscule, plus blanches éclairant un chant joyeux de paysannes, ou presque noires pour un bal qui pourrait resplendir de mille feux mais qui restera sombre, à l’image des pensées d’Onéguine, uniquement éclairé par une lune rousse toute ronde. C’est beau, poétique et dramatique. Elsa Pavanel signe les décors. Nous sommes chez madame Larina, mi dehors, mi dedans.De hauts arbres omniprésents qui s’envoleront dans les cintres après le duel. Une table, une méridienne, figureront la chambre de Tatiana dont le plafond sera suggéré de façon romantique par un long voile blanc, drapé, traversant la scène. La salle de bal, nue, à l’acte III donnera de l’espace aux artistes du Choeur qui esquissent quelques pas de danse un masque blanc dans la main, mobile, il laisse voir le visage ou le cache suivant les sentiments, permettant ainsi à Tatiana de dissimuler son trouble. Les costumes de Claude Masson sont beaux, somptueux même par la coupe et le choix des tissus. Les couleurs restent sobres contrastant avec le blanc ou le beige des vêtements simples portés par les paysans. Ce qui ressort de tout l’aspect scénique est une grande élégance sans ostentation porteuse d’une sorte de magie. Pour cet opéra typiquement russe, on pourrait attendre des voix slaves. Il n’en est rien. A part Emanuela Pascu d’origine roumaine, les chanteurs sont français. On pourrait peut-être regretter certaines harmoniques contenues dans les voix russes, mais dans son parti pris, Maurice Xiberras, directeur général de l’Opéra de Marseille, a su composer un plateau d’une grande homogénéité et une grande crédibilité vocale. Marie-Adeline Henry est cette Tatiana exaltée du début, bien dans son rôle, bien dans sa voix, elle a les accents de la jeune fille, une voix claire ou plus tragique, laissant passer ses diverses émotions alors qu’elle écrit à Onéguine accompagnée par le cor ou le hautbois. Phrases musicales piano, médium timbré, puissant. Peut-on lui reprocher une légère stridence dans l’aigu, au summum de l’exaltation ? Sûrement pas. Son soprano devient tragique à la fin de l’acte III alors qu’elle repousse Onéguine dans un duo/duel où elle ne cèdera pas. Superbe interprétation scénique et vocale. Belle voix aussi celle d’Emanuela Pascu, mezzo-soprano qui frise le contralto. Ligne de chant parfaite, phrasé musical aux jolies tenues piano. Scéniquement bien dans son rôle elle anime la scène tout en chantant avec Tatiana dans un duo équilibré. Une voix profonde, chaleureuse que l’on écoute avec grand plaisir. Autre voix de mezzo bien placée, celle de Doris Lamprecht qui chante madame Larina. Une prestation sans faute de justesse scénique et vocale. Toujours en place, toujours timbrée et à l’aise dans ses déplacements. Etonnante Cécile Gallois que l’on a pu entendre dans des rôles amusants. Elle est ici la nourrice Filipievna. Voix solide, sûre, au timbre chaleureux. Sobre mais présente, elle marque son rôle de son empreinte et de sa voix. Méprisant, ou plus tard passionné, mais toujours imbu de lui-même l’Onéguine de Régis Mengus. Bien dans ce rôle qu’il chante pour la première fois et bien dans sa voix au médium homogène, il assume ce personnage peu sympathique avec présence et détermination. Un peu sur son quant à soi alors qu’il répond à la lettre de Tatiana, sa voix devient plus incisive dans l’ironie. Mais c’est à l’acte III, alors qu’il expose ses doutes et dans toute la fureur de sa passion, sous les lettres qui volent, les siennes, celles de Tatiana, que la voix donne toute sa dimension en puissance mais avec une belle sincérité vocale qui semble la libérer. Une prise de rôle qui laisse augurer de superbes Onéguine tant l’implication lui va bien. Remarquable aussi de sincérité, de musicalité et de beauté vocale, le Lenski de Thomas Bettinger. Une allure de poète, une voix jeune et claire mais surtout une musicalité et une compréhension parfaite du rôle et de la musique romantique de Tchaïkovski. Amoureux, coléreux, révolté mais sans concession, sa voix prend tous les accents de ses états d’âme. Mais, c’est dan son air “Kuda, kuda !” d’une sincérité à tirer les larmes que sa musicalité prend toute sa mesure dans des nuances sensibles, des aigus rayonnants ou en demi-teinte, accompagné par le cor ou la clarinette. Poignant de sincérité Thomas Bettinger est dans cette prise de rôle un magnifique Lenski. Nous retrouvons ici un Nicolas Courjal transcendé par l’amour. Il faut dire que l’air du prince Gremine -son seul air d’ailleurs- est une pure merveille d’écriture, d’intension et de sensibilité. Nicolas Courjal utilise sa voix de basse sans forcer et trouve des trésors de tendresse dans le phrasé, soutenu par une clarinette nostalgique. Cet air, un des plus beaux écrits pour cette voix est ici remarquablement interprété avec des graves tenus et jamais appuyés. Très beau ! Les seconds rôles sont aussi remarqués. Le monsieur Triquet de Eric Huchet, chanté avec une voix de ténor mélodieuse et dans une élégance toute française, le bayton-basse Sévag Tachdjian, pour un Capitaine convaincant, Jean-Marie Delpas pour un Zarestki assuré scéniquement et vocalement ou la voix d’un paysan de Wilfried Tissot venue des coulisses.Admirable, le Choeur de l’Opéra de Marseille toujours très bien préparé par Emmanuel Trenque. Dansant, chantant en russe avec des voix généreuses aux accents slaves. Joyeux, a capella ou avec puissance mais toujours avec fluidité. Un choeur qui nous transporte immédiatement dans la campagne russe ou dans les salons mondains avec une compréhension scénique et musicale naturelle et évidente. Un grand bravo ! On aurait peut-être aimé un peu plus d’énergie dans la direction du chef d’orchestre Roberto Tuohy, mais la musique de Tchaïkovski s’imposant d’elle même le maestro réussit avec plus de passion à faire ressortir chaque thème ou chaque intention dramatique. Trouvant les couleurs et les envolées, l’Orchestre nous livre de belles phrases lyriques ou des rythmes plus marqués. Les instruments solistes dialoguent ou soutiennent les chanteurs en contrepoint dans de belles nuances. Une représentation réussie dont le charme et la beauté garderont longtemps des résonances particulières. Photo Christian Dresse