Orchestre Philharmonique de Marseille: Fuad Ibrahimov en concert

Opéra de Marseille, saison 2022/2023
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Fuad Ibrahimov
Violon Da-Min Kim
Contrebasse Jean-René Da Conceiçao
Trompette Anthony Abel
Leonard Bernstein:”Candide” (Ouverture); John Williams: Extraits de “Star Wars”; Nino Rota: Divertimento concertante pour contrebasse
Erich Wolfgang Korngold: Concerto pour violon en ré majeur; Franz Waxman: “Carmen”, Fantaisie pour trompette.
Marseille, le 28 octobre 2022
Un concert un peu particulier et tout public nous réunissait, très nombreux, à l’Opéra de Marseille en cette soirée du 28 octobre. Cette particularité inscrivait au programme des compositeurs plus connus pour leurs musiques de films que pour leurs œuvres classiques ; c’est le cas, tout particulièrement, de Nino Rota rendu célèbre par son association avec Federico Fellini, Francis Ford Coppola ou Luchino Visconti… alors qu’on lui doit une somme énorme d’œuvres classiques. En plus de la diversité des compositeurs, ce concert avait l’avantage de mettre à l’honneur trois solistes de l’orchestre. Si l’on a l’habitude d’écouter des concertos écrits pour le violon, il est moins courant de voir la trompette sur le devant de la scène et que dire alors de la contrebasse! Leonard Bernstein ouvrait ce feu d’artifice musical. Immense musicien américain du XXe siècle, Leonard Bernstein a été un compositeur prolifique. Première œuvre au programme Candide basée sur le conte philosophique éponyme de Voltaire et jouée pour la première fois au Théâtre du Châtelet à Paris en 2006 pour les 50 ans de sa création; nous en écoutons ce soir l’Ouverture devenue éminemment populaire. Des rythmes, du relief, des couleurs qui surprennent dès les premières notes jouées dans un tempo vif sur des appuis de contrebasses. Les larges sonorités sur de belles longueurs d’archet allient souplesse et changements d’humeur. Si la combinaison des rythmes et des nuances apporte sensibilité ou nostalgie, la joie et l’humour dominent avec ces éclats de cuivres dans un tempo toujours allant. D’une baguette ferme Fuad Ibrahimov fait ressortir les sonorités flamboyantes de l’orchestre pour le plus grand plaisir d’un public conquis qui retrouve les accents de l’Air célèbre “Glitter and be gay”. Ecrit en quatre mouvements avec des atmosphères diverses, le Divertimento concertante pour contrebasse et orchestre de Nino Rota retient d’autant plus l’attention que l’on n’a pratiquement jamais l’occasion d’écouter cet imposant instrument en soliste. Après une courte introduction classique jouée avec force à l’orchestre, Jean-René Da Conceiçao saisit avec détermination sa contrebasse dans une sonorité pleine pour une reprise du thème. Dans cet Allegro maestoso où longueur d’archet à la corde rime avec agilité de main gauche, la modernité de l’orchestration introduit une cadence où les notes harmoniques alternent avec des notes d’un grave abyssal dans un vibrato intense qui laisse résonner les sons. C’est avec humour que la clarinette ouvre la Marcia, laissant la contrebasse s’exprimer dans une sorte de monologue avant d’entamer une discussion plus musclée avec l’orchestre sur des thèmes qui mettent à l’honneur les sonorités de l’instrument. Une phrase aux accents Mahlériens laisse résonner les graves comme un orgue dans l’Aria-andante. Nostalgie et sensibilité reviennent en écho et enchaînent un Finale allegro marcato vif et accentué dans un spiccato endiablé. Bariolages d’archet, doubles cordes pour une brève cadence, jeu délicat ou rythmes féroces dans des sonorités profondes témoignent d’une belle technique. Les accrocs de justesse sans doute dus à un mauvais accord en amont n’altèrent pas le plaisir de la découverte de ce concerto joué sur un instrument rarement mis sur le devant de la scène. Faisant suite à la contrebasse, la trompette virtuose d’Anthony Abel allait nous raconter l’opéra de Georges Bizet dans la Carmen Fantaisie de Franz Waxman. Si l’on a l’habitude d’écouter la version originale pour violon, l’interprétation à la trompette (écrite par Waxman lui-même) est moins courante mais peut-être plus flamboyante encore tant la difficulté saute aux yeux et aux oreilles. Une trompette que le chef le plus décidé et le plus vigoureux n’arrivera pas à couvrir. Y-t-il morceau plus connu que cette ouverture de Carmen qui entre ici dans le vif du sujet ? Flamboyance de ces notes projetées avec sauts d’intervalles vertigineux. La Habanera chaloupée avec fantaisie, technique et gammes fulgurantes nous dit de nous méfier de l’amour. Les sonorités rondes malgré une tessiture aigüe, la sensualité sur le thème et ses variations, les notes piquées, tout est là. Avec l’Air sombre des cartes la trompette prend des accents dramatiques nous projetant dans la mort avec cette carte de pique souvent tirée. L’Air du toréador, plus joyeux, tente de faire reculer la mort omniprésente dans une envolée de notes projetées par une trompette transcendée, puis l’amour revient sur les remparts de Séville dans une sensualité qui illustre bien les humeurs de cette Carmen qui défie le monde et Don José comme Anthony Abel défie les difficultés techniques. La sonorité ronde dans les trilles, dans les sons liés ou piqués et l’enchaînement de notes qui s’emballent dans une vélocité diabolique n’ont rien à envier aux variations d’un violon ; et l’on a du mal à reprendre son souffle dans ce Tempo vif où la dextérité va crescendo. Extraordinaire ! Qui a dit que la trompette est un instrument difficile ? Cela paraît si facile en écoutant Anthony Abel. Erich Wolfgang Korngold est un autre compositeur prolifique de musique classique happé par la musque Hollywoodienne. Son fameux concerto pour violon écrit en 1945 et dédié à Alma Mahler sera créé par Jascha Heifetz. Tout en étant classique, ce concerto éminemment moderne laisse poindre quelques accents américains. “Composé pour un Caruso plus que pour un Paganini” comme se plaisait à le dire le compositeur, c’est un concerto lyrique qui chante. Da-Min Kim, le super soliste de l’orchestre depuis 2013, fera ce soir vibrer son violon (Jean-Baptiste Vuillaume Paris 1840) avec tendresse et élégance. Nous avons souvent eu le privilège d’écouter ce jeune violoniste et nous avons toujours apprécié son intégrité musicale, son jeu d’une grande sobriété ainsi que la beauté du son. Da-Min Kim va chercher au plus profond de l’âme du compositeur l’essence même de son discours. Pas de fioritures inutiles ni d’effet d’archet intempestif. Dans un jeu facile et un vibrato intense le soliste allie tendresse, mélancolie ou vélocité teintée d’humour, sans se départir de cette élégance qui le caractérise. Répondant à l’orchestre dans un discours intériorisé, Da-Min Kim laisse chanter ce Moderato nobile dans des effets de nuances tout en faisant sonner avec force la cadence dans une superbe homogénéité de son. Brillante fin de mouvement avant une Romance andante jouée avec une grande maîtrise d’archet pour des fins de phrases diaphanes avec cette intensité de vibrato qui arrondit jusqu’aux sons des notes super aigües. Une sensibilité à fleur d’archet qui laisse l’auditoire suspendu aux respirations du violoniste. Ataca et sonore dans sa vélocité cet Allegro vivace assai avec un archet en jetato ou en ricochet et petit spiccato qui donne une lumière aux couleurs multiples, majesté des cors qui jouent sur la sensibilité d’un violon entraîné dans un agitato endiablé. Superbe ! Ovation méritée. Avec une facilité stupéfiante, Da-Min Kim a donné ici une leçon de musique semblant avoir effacé toute difficulté technique. On regrette toutefois un chef qui appuie sur les sonorités de l’orchestre créant un décalage sonore avec la pureté des sons d’un violon habité à la justesse parfaite. Musique de film cette fois avec Star wars. Dans cette orchestration symphonique John Williams déploie les couleurs et l’éclat des cuivres et des trompettes triomphantes sur une avancée toute militaire dans un affrontement d’étoiles d’une grande puissance où le chef d’orchestre peut enfin laisser résonner l’orchestre sans retenue. Cors lumineux, roulements menaçants des timbales dans un énorme crescendo mais solo de hautbois apaisé pour finir par la rondeur d’un quatuor dominé par l’éclat des trompettes. Succès assuré. Un concert original dans sa diversité terminé sous une pluie d’applaudissements.