Marseille, Auditorium du Pharo: Lucie Leguay & Francesco Dego en concert

Auditorium du Pharo, Marseille, saison 2024/2025
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Lucie Leguay
Violon Francesca Dego
Wolfgang Amadeus Mozart: “L’enlèvement au Sérail”, Ouverture; Felix Mendelssohn:  Concerto pour violon No2; Dmitri Chostakovitch:  Symphonie No1
Marseille, le 20 octobre 2024
Un concert au programme éclectique mais savoureux, passant du XVIIIe au XXe siècle, nous était proposé en cet après-midi du 20 octobre à l’Auditorium du Pharo. Mozart, Mendelssohn et Chostakovitch allaient, dans des écritures très différentes, séduire le public marseillais, un public qui aime la musique et suit ces concerts avec assiduité. Une salle comble donc ! Et pourquoi pas un concert clin d’oeil aux femmes car, si les œuvres jouées ont été écrites par des hommes, deux femmes allaient les mettre à l’honneur. Lucie Leguay à la baguette et Francesca Dego au violon. Quittant Salzbourg pour Vienne, Wolfgang Amadeus Mozart répond à une commande de l’empereur Joseph II. Ce sera “L’Enlèvement au sérail” Singspiel mi seria mi buffa en allemand. Cette œuvre qui fait référence à la pratique des corsaires barbaresques met en scène le Pacha Selim dans une sorte de turquerie joyeuse très en vogue à cette époque. L’Ouverture que nous écoutons, étrangement écrite en dernier, reprend les thèmes et certains airs dans des sonorités parfois exotiques utilisant triangle, cymbales et grand tambour turc. Avec une grande énergie et une baguette précise, Lucie Leguay sculpte les sons et donne les impulsions laissant ressortir avec légèreté le petit détaché incisif des cordes dans un tempo soutenu. Plus mystérieux le passage lent donne la parole au hautbois pour des notes piquées ou laisse ressortir celles tenues de la flûte. La reprise du tempo vif du début, dans la précision des cordes ou les accents de l’harmonie, s’achève avec allant dans un joyeux final marqué par les timbales. Élégante dans sa robe noire légèrement scintillante Francesca Dego débute avec énergie le Concerto No2 de Mendelssohn écrit d’une manière audacieuse sans introduction orchestrale. Le tempo allant laisse apprécier le son suave du violon italien Francesco Rugeri (1697) soutenu par la baguette incisive de Lucie Leguay. Une baguette qui sait se faire plus souple dans les bariolages clairs de la violoniste ou les phrases musicales au rallentando bien amené. Dans de belles longueurs d’archet et des oppositions de nuances Francesca Dego nous livre une cadence pleine de charme où vélocité de main gauche et technique d’archet nous emmènent dans un final endiablé. Enchaîné sans traîner, le deuxième mouvement aux accents romantiques est un dialogue entre le violon et l’orchestre avec des accents dans l’archet et de longues phrases musicales où la violoniste exprime sa musicalité dans un vibrato intense et expressif ou des démanchés effectués avec charme et délicatesse. Enchaîné encore, le troisième mouvement joyeux, léger dans un tempo vif et soutenu donne la parole à la violoniste qui répond à la petite harmonie dans un staccato volant ou des pizzicati déterminés. Assurance, aisance et séduction, cette interprétation remarquée nous emmène jusqu’au final sonore et endiablé. Dans une même esthétique musicale Lucie Leguay et Francesca Dego ont donné une version romantique de ce concerto en associant force et sensibilité. Une superbe interprétation ! Assez court mais demandant une technique remarquable, le caprice No16 de Paganini joué en bis est éblouissant de sûreté dans une virtuosité à couper le souffle. Un immense bravo ! Avec Dmitri Chostakovitch nous entrons dans un monde musical encore différent. Sa Symphonie No1 Chostakovitch la compose à l’âge de 19 ans pour son diplôme alors qu’il est l’élève d’Alexandre Glazounov au conservatoire de Leningrad. Cette œuvre le propulsera sur le devant de la scène musicale internationale. Si l’on retrouve quelques influences (Stravinsky, Prokofiev) et même un peu du lyrisme de Tchaïkovski, on perçoit immédiatement le style, les harmonies et certaines atmosphères qui seront sa signature avec une sorte d’ironie et un penchant pour le grotesque. Malgré une certaine joie, l’introspection est déjà là. L’œuvre est dédiée à son ami Mikhaïl Kvadri. Une dédicace qui disparaîtra après l’arrestation de ce dernier. La chape de plomb s’annonçait et ses futures compositions en seront marquées. Trompette et basson ouvrent cette œuvre dans une écriture imagée qui reste classique mais teintée toutefois de quelques grincements ironiques. Déjà, donnant la parole aux instruments solistes, le compositeur laisse exprimer sa sensibilité et son ressenti dans des visions quelquefois assez contradictoires, tels l’échange des 2 violons solo. Avec beaucoup de précision et de délicatesse Lucie Leguay  laisse ressortir chaque instrument, chaque sonorité différente. Les tempi changent, les atmosphères restent et le compositeur hésite entre ironie et dérision, cherchant un peu de joie avec l’introduction d’un piano ou une sorte de réflexion dans l’homogénéité des sonorités de la petite harmonie. Les rythmes marquent les temps et finissent sur des tenues grinçantes. Les mouvements s’enchaînent, plus lent et mélodieux avec ce long solo de hautbois mais qui laisse cuivres et contrebasses sonner plus sombrement dans une direction élargie. Ecriture aux atmosphères tragiques mais pas définitive, toujours tonale aux harmonies sonores avec ce superbe solo de trompette en sourdine et la plainte de la clarinette. Vif, rythmé dans un Tutti triomphant, le compositeur hésite encore avec un violon solo lumineux accompagné par un solo de cor langoureux. Après un féroce Tutti les timbales prennent la parole annonçant un changement imminent. Tout aussi imminent, l’éclat des applaudissements. Pas encore trop révolutionnaire, cette symphonie a enthousiasmé le public. Il faut dire que l’Orchestre Philharmonique de Marseille, dans un ensemble parfait et des sonorités somptueuses, a su passer de Mozart à Chostakovitch avec musicalité. Lucie Leguay, une chef d’orchestre que l’on demande à suivre tant sa direction intelligente, sans effet de manches mais d’une grande efficacité, a su séduire et le public et ses musiciens. Un moment musical que l’on n’oubliera pas.