L’Opéra de Marseille fête son centenaire

Opéra Municipal de Marseille, saison 2024/2025
Orchestre Philharmonique et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Michele Spotti
Chef de Chœur Florent Mayet
Sopranos Csilla Boros, Patrizia Ciofi
Mezzo-soprano Karine Deshayes
Ténor Enea Scala
Baryton Marc Barrard,  Juan Jesus Rodrigues
Basse Nicolas Courjal
Musiques de G.Verdi, V.Bellini, G.Rossini, R.Wagner, C.Gounod, J.Massenet
Marseille le 3 décembre 2024
Si l’Opéra de Marseille fête aujourd’hui ses cent ans, c’est uniquement pour le renouveau des bâtiments, l’ancien ayant brûlé le 13 novembre 1919. Reconstruit dans un pur style Art déco il ouvre enfin ses portes le 3 décembre 1924 pour le public venu applaudir “Sigurd” dans la ferveur générale. Même ferveur dans une salle comble en cette soirée du centenaire. Conscient de l’attachement du public marseillais pour son opéra, Benoît Payan, Maire de Marseille, avait tenu à rendre hommage à toutes les équipes qui œuvrent pour ces succès renouvelés chaque saison en présence du directeur général Maurice Xiberras. Pour cette occasion l’Opéra de Marseille avait pris l’air des grands soirs du Staatsoper viennois avec tapis rouge et plantes vertes jusque sur la scène. Car c’est à Marseille qu’est créé le premier opéra de province le 28 janvier 1685. Louis XIV, Lully… Déjà ! Le programme choisi ce soir est éblouissant. Les grands compositeurs de lyrique allaient mettre à l’honneur quelques-unes des grandes voix qui ont marqué les ouvrages des deux dernières saisons. Csilla Boross introduit ce feu d’artifice vocal avec “Ritorna vincitor !” (AÏda) dans une voix forte et solide au timbre coloré. Son “Numi pieta” au phrasé d’une grande sensibilité est soutenu par un orchestre à l’écoute de cette prière jusque dans les dernières notes suspendues des violoncelles. En deuxième partie c’est le “Pace, mio Dio !” (La Forza del destino) qui séduira le public. Accompagnée par la harpe la voix se fait sensible dans une belle rondeur de timbre au vibrato soutenu. Ses “Fatalità !” projetés dans des graves mélodieux amènent de sombres “Maledizione” qui traduisent son angoisse. Patrzia Ciofi vient interpréter “Caro nome” (Rigoletto) dans son soprano éthéré et délicat, ses attaques en douceur, ses notes piquées et claires ainsi que ses aigus soutenus nous tiennent en suspension sur un trille pianissimo. Mais dans “La Traviata” (E tardi !) l’on écoute la soprano italienne avec des larmes au bord des cils alors qu’elle relit cette lettre pleine d’espoir dans une voix dramatique. Violon solo, hautbois se mettent au diapason de ses vibrations expressives. Les attaques piano, le vibrato homogène séduisent et, au-delà de la technique, on vit sa souffrance et l’on espère l’arrivée d’Alfredo. Les Brava fusent comme un merci de nous avoir fait pleurer. Si Enea Scala fait résonner sa voix avec force dans “Luisa Miller” il sait aussi proposer un legato sensible au phrasé rempli d’émotion dans un tempo plus allant en duo avec la clarinette. Diction impeccable, aigus tenus dans un beau soutien du souffle. En deuxième partie il sera un Roméo aux aigus à l’aise dans une voix ensoleillée. Une voix ample, projetée avec ardeur dont la sincérité fait vibrer les cœurs. Karine Deshayes reprend le “Casta Diva” (Norma) dans lequel elle avait été ovationnée en début de saison. Encore plus à l’aise, comme libérée du poids des prises de rôles, le chant se fait éthéré dans un legato musical au vibrato mesuré. La pureté de la voix laisse ressortir le timbre coloré dans des nuances d’une grande délicatesse avec le soutien du chœur. En seconde partie l’air de Balkis (La Reine de Saba) est chanté dans un phrasé tout en retenue qui laissera plus tard éclater des aigus où se dévoilent doutes et passion dans une rondeur de voix mélodieuse. Marc Barrard, le baryton aux multiples facettes, nous met en joie avec un truculent bartolo (Rossini) au verbe flamboyant. Graves et aigus sonores, rythme, souffle et faconde de bon aloi appellent le succès ; mais il sait aussi nous faire pleurer dans le rôle de Sancho (Don Quichotte) où sa voix posée au timbre chaleureux prend des accents douloureux. Juan Jesùs Rodriguez impose son baryton pour un  Rigoletto (Verdi) crédible et investi. Sa voix puissante aux aigus sonores fait trembler alors que ses “Signori pietà” bouleversent. Dans Il conte di Luna (Il Trovatore) le baryton espagnol nous donne une leçon de chant ; une belle autorité jusque dans un phrasé homogène accompagné par la clarinette. Aigus, respirations, souffle, nuances… Et finir avec la basse au grave abyssal de Nicolas Courjal dans “Simon Boccanegra” alors que l’orchestre lui déroule un tapis tragique et sonore. Une voix puissante et projetée qui laisse se déployer un legato musical dans un phrasé d’une grande intensité sur un chœur qui vient en contraste. En deuxième partie son Phanuel (Hérodiade) marquera le public par ces vagues sonores chantées dans un souffle puissant avec toujours ce grave si longtemps tenu. Cette fête ne serait pas complète sans les pages qui mettent chœur et orchestre à l’honneur. Avec force et détermination Michele Spotti ouvre le concert : “La Forza del destino” (Verdi) avec les accents, la vélocité ou le charme des phrases musicales qui finissent dans un grand accelerando. La baguette se fait plus souple, plus éthérée pour le “Prélude de Lohengrin” (Wagner). Un souffle mystique répand ses harmonies lumineuses venues sur un battement d’aile. Superbe de retenue et d’intériorité ! Autre atmosphère avec le “Prélude de l’acte III” et sa Marche nuptiale qui fait ressortir le chœur dans des attaques mélodieuses avec ces voix célestes de femmes. “Il Trovatore” impose la puissance du chœur mixte dans Le Chœur des gitans. Plus animé est le chœur “Vin et bière..” avec des trompettes aimables et les voix de femmes et d’hommes qui se répondent dans une netteté joyeuse. Mais “Gloria all’Egitto…”(Aïda) est un véritable triomphe avec les voix puissantes et ces trompettes victorieuses dans les sonorités éclatantes de l’orchestre. Un tutti final réunit solistes, chœur et orchestre pour la fin du “Guillaume Tell” de Rossini. Un immense succès !