Entretien avec le Maestro Michele Spotti

Un moment de partage avec le maestro Michele Spotti qui retrouve l’orchestre de l’Opéra de Marseille, dont il  est le directeur musical depuis 2023, pour interpréter La Messe de Requiem de Giuseppe Verdi. Un monument musical !
Notre précédent entretien date du 16 octobre 2021 lors de votre premier engagement à l’Opéra de Marseille pour diriger l’œuvre de Gioacchino Rossini “Guillaume Tell” donnée pendant la période troublée du Covid.
Que nous racontez-vous de ce laps de temps qui nous amène à aujourd’hui ?
Il est vrai que depuis cette horrible période où tout semblait s’être arrêté la vie a repris ses droits petit à petit et les contrats signés en amont ont pu être honorés. La vie est faite de rencontres, des liens se créent et des projets prennent forme. Ma rencontre avec Maurice Xiberras, Directeur général de l’Opéra de Marseille, a été déterminante. Bien avant le Covid il m’avait proposé la direction de “Guillaume Tell” l’opéra de Gioacchino Rossini. Nous étions loin d’imaginer alors qu’il serait joué dans des conditions spéciales. Ce premier contact avec l’Opéra de Marseille a donné lieu à une proposition qui ne se refuse pas. Et c’est avec un immense plaisir que j’ai accepté le poste de directeur musical, succédant au maestro Lawrence Foster. J’ai tout de suite aimé cette ville avec l’énergie, le soleil, la convivialité qui me rappellent l’Italie et avec ce théâtre qui m’a séduit d’emblée. Je suis très sensible aux ambiances et j’ai trouvé dans cette maison des atmosphères particulières venant de la direction, de l’orchestre, de toutes les équipes mais aussi du public. Un accueil chaleureux qui donne envie de poser ses valises et de travailler ensemble. Evidemment cette nomination a un peu bouleversé mon programme mais je pense pouvoir respecter mes engagements tout en étant le plus possible à Marseille.
Vous dites avoir tout de suite aimé cet orchestre. Qu’est-ce qui vous a séduit ?
C’est vrai. Une réceptivité, un investissement dans le travail et un accueil chaleureux tout d’abord. Nous avons dû jouer “Guillaume Tell” dans des conditions très particulières; l’orchestre étant placé dans la salle directement près du public, il a fallu aménager les sonorités pour ne pas être trop fort, placer les cuivres un peu en contrebas, un peu comme à Bayreuth (sourire) mais chacun s’est adapté et tout s’est bien passé. Depuis nous avons donné des concerts, d’autres opéras dans des répertoires différents avec ” Le Nozze di Figaro” ou “Norma” en début de saison, mais toujours dans une recherche de l’excellence et le respect du texte et du compositeur.
Que recherchez-vous plus spécialement dans un orchestre ?
Tout d’abord la sonorité. Avant, l’on disait que chaque orchestre avait sa sonorité propre; c’est sans doute un peu moins vrai actuellement alors que les musiciens voyagent beaucoup et que l’on trouve au sein des orchestres diverses nationalités. Mais peut-être chaque chef d’orchestre a-t-il la sensation du son qu’il voudrait entendre et qu’il cherche à obtenir. C’est mon cas. Il y a ce son fondamental et une certaine souplesse qui autorise les fluctuations. Cette recherche sur le son est un travail de longue haleine qui demande une grande écoute des musiciens entre eux. Chaque instrumentiste a sa propre compréhension de l’œuvre et c’est au chef d’orchestre d’insuffler sa vision personnelle dans la cohérence du souffle et des sonorités. Cela est plus difficile lorsque l’on est chef invité avec peu de répétitions. Avec l’orchestre de Marseille il y a maintenant une grande compréhension. Je connais les musiciens et ils connaissent mes désirs, cela va donc beaucoup plus vite. La réceptivité est aussi une chose importante.
Depuis quelques années vous voyagez souvent et dirigez des orchestres très différents. Est-ce un apport pour vous ?
Certes, l’apport se fait dans les deux sens. J’apporte mais je reçois aussi. Je ne suis pas là pour toujours imposer, il faut une certaine souplesse de part et d’autre, savoir s’adapter et pouvoir contourner les difficultés. Passer du lyrique au symphonique avec des orchestres différents n’est pas toujours chose aisée mais la souplesse, l’ouverture aux choses diverses et l’adaptation à certaines situations réussissent à arrondir les angles et donnent des résultats assez fantastiques. Être chef d’orchestre est un long apprentissage et c’est en cela que c’est passionnant. L’on arrive devant un orchestre de nationalité différente, l’on travaille ensemble et on le quitte en ayant quelque chose de changé.
Vous aimez alterner concerts et opéras. Y a-t-il des compositeurs qui vous touchent plus personnellement ?
En concert j’aime beaucoup diriger des œuvres avec chœur. C’est pourquoi travailler le Requiem de Verdi m’a enchanté. L’on retrouve la patte du compositeur bien entendu mais dans une autre dimension. Il y a une force que l’on ne trouve nulle pas ailleurs, sonore sûrement, mais aussi spirituelle qui ne laisse personne indifférent ; il faut un certain temps pour s’extraire de cette œuvre. J’aime beaucoup diriger les symphonies de Gustave Mahler, et pas uniquement celles avec chœur qui sont aussi des monuments d’intensité, Richard Strauss qui est d’une richesse musicale plus complexe, et pourquoi pas Igor Stravinsky avec son “Pulcinella” un peu spécial que nous avons donné en 2023 à l’Auditorium du Pharo. Mais quel plaisir de diriger les œuvres d’un Mozart habité qui permet de revenir à la clarté et la pureté du son. La musique est une source infinie d’inspirations et pourquoi pas le baroque comme un retour aux fondamentaux mais qui autorise une certaine liberté.
Vous nous aviez-dit n’envisager certains compositeurs que plus tardivement. Richard Wagner par exemple.
C’est exact. A cette époque les opéras de Richard Wagner me paraissaient demander une grande maturité, comme une apothéose dans certaines expressions, je le pense toujours. Actuellement je me sens assez proche de certaines de ses œuvres “Le Vaisseau fantôme” par exemple et pourquoi pas “Lohengrin” d’où se dégage une réelle poésie avec les deux préludes que j’ai dirigés ici même lors du concert du Centenaire. Les apports de la vie vous font changer plus vite que l’on ne croit. Maintenant que je suis père de deux enfants, je comprends beaucoup mieux le rôle de Rigoletto avec ses déchirements, cette volonté de protection envers sa fille Gilda, je ne le dirigerai pas de la même façon, question de tempo, de respirations sans doute.
Berlin, Munich, Vienne, Tokio, Valence, Paris, Toulouse, Florence et son Maggio musicale pour n’en citer que quelques-uns, tous ces orchestres de renommée internationale jalonnent maintenant votre parcours. Rétrospectivement, qu’en pensez-vous ?
Evidemment je suis très heureux de ce parcours que je vis comme une reconnaissance et qui me procure d’immenses joies avec des rencontres intéressantes et des aventures humaines parfois inattendues. En France, je ne parle pas de Marseille qui est maintenant ma maison, l’orchestre de l’Opéra de Paris, par exemple, m’a donné de grands moments de plaisir avec sa puissance et son investissement, je dois d’ailleurs y retourner bientôt, ou l’orchestre du Capitole de Toulouse d’une grande précision et d’une grande technique aussi avec Idoménée, entre autres, un Mozart audacieux, humain et révolutionnaire qui m’a beaucoup marqué. Chaque fois que je voyage en Europe ou bien plus loin, les contacts se font assez facilement, la musique est un vecteur extraordinaire dans un langage différent. Evidemment parler la même langue est un plus et diriger un opéra dont je ne maîtriserais pas la langue serait une frustration. L’anglais, le français, l’allemand ouvrent déjà bien des portes mais, bien que je sois attiré par les compositeurs russes, le moment n’est peut-être pas encore venu d’en diriger un opéra.
Que pensez-vous des opéras donnés en version concertante ? Vous venez de diriger Simon Boccanegra au Théâtre San Carlo de Naples en version concertante justement qui a obtenu un grand succès.
Dans un premier temps, je préfère toujours respecter la version originale, c’est à dire avec mise en scène si cela est le cas. D’un autre côté, je suis un esthète en toutes choses, en musique aussi bien entendu. J’ai souvent des craintes par rapport à certaines mises en scène qui vont à l’encontre de l’idée du compositeur, de la musique même, et je m’aperçois que le public réagit très bien à ces représentations sous forme de concert. L’on aurait pu penser que la durée de certains ouvrages pourrait dissuader les auditeurs ; il n’en est rien. L’attention reste constante, captée par la musique et les voix. C’est aussi une économie pour les théâtres qui ont ainsi la possibilité de programmer plus d’ouvrages dans la saison. Est-ce dommage ? Le public décidera. Aux metteurs en scène de faire un peu attention. Il est vrai que le Simon Boccanegra donné à Naples a été un réel succès. La musique a encore de beaux jours à venir avec un public toujours enthousiaste. Ph. Grzesiek Mart