Opéra de Marseille: “Rusalka”

Marseille, Opéra municipal, saison 2024/2025
“RUSALKA”
Opéra en 3 actes, livret de Jaroslav Kvapil
Musique Antonin Dvorak
Rusalka CHRISTINA PASAROIU
La Princesse étrangère CAMILLE SCHNOOR
Jezibaba MARION LEBUEGUE
Le garçon de cuisine COLINE DUTILLEUL
1ère Nymphe MATHILDE LEMAIRE
2ème Nymphe MARIE KALININE
3ème Nymphe HAGAR SHARVIT
Le Prince SEBASTIEN GUEZE
Vodnik MISCA SCHELOMIANSKI
Le garde forestier PHILIPPE- NICOLAS MARTIN
Chorégraphie Ballet aquatique COLINE GAILLARD et GUILLAUME NIQUET
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Lawrence Foster
Chef de Chœur Florent Mayet
Mise en scène, costumes et scénographie Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil
Lumières Christophe Pitoiset/Rick Martin
Vidéos Pascal Boudet/ Timothée Buisson
Marseille, le 16 février 2025
N’oubliant pas que c’est justement à l’Opéra de Marseille, en 1982, qu’avait eu lieu la première en France de “Rusalka”, Maurice Xiberras, son directeur général, reprend cette œuvre dans une coproduction qui, sans déformer les sentiments qui font référence à “La Petite sirène” de Hans Christian Andersen, la place dans un contexte très différent, bien loin du conte. Un peu déroutés, c’est à Jean-Philippe Clarac (l’un des deux metteurs en scène) que nous avons demandé quelques explications. “Avec Olivier Deloeuil nous replaçons chaque opéra sur lequel nous travaillons dans le contexte actuel, nous dit-il. Le milieu auquel appartient Rusalka nous paraissait difficile et nous avons cherché où trouver, dans le domaine aquatique, des jeunes filles pouvant éprouver des moments forts et pénibles. Nous avons alors pensé à la natation synchronisée”. Voilà donc pourquoi nous nous retrouvons au bord d’une piscine avec couloirs de nage. En tant que spectateur, replacer le sujet dans le milieu des ondines demande une grande force d’imagination nous n’essaierons donc pas malgré les vidéos de Pascal Boudet et Timothée Buisson qui nous transportent quelquefois sur les berges d’un lac. Les vidéos nous montrent des nageuses remplaçant le corps de ballet dans un show de natation synchronisée ou de belles images de poissons de couleurs vives mais nous “replongent” dans le monde actuel avec le corps du Prince flottant en smoking entre deux eaux. Il y a tant de choses à voir, piscine gonflable rouge, bocal où nage un poisson (l’âme de Rusalka), baignoire verte d’où émerge la queue de Rusalka redevenue une ondine, une table dressée remplaçant un banquet ou un harpon qui donnera la mort au Prince…que nous préfèrerons nous laisser porter par la musique et le chant…non pas des sirènes, mais celui des chanteurs car cet opéra est superbement interprété. Difficile pour une soprano de tenir le public en émoi alors qu’elle est devenue muette durant tout le deuxième acte. Christina Pasaroiu surmonte toutes les difficultés avec une présence extraordinaire et une voix au timbre prenant dans une technique parfaite. Elle sait comment exprimer ses sentiments dans des inflexions et des nuances qui touchent l’auditeur. Sa Chanson à la lune est un moment de poésie pure chantée dans un timbre moelleux à l’aigu musical, puis la voilà éblouissante dans une sorte de naïveté ou un dramatique plus affirmé. Alors qu’elle repart dans les eaux du lac sa tristesse s’écoute dans les accents de la souffrance et la beauté d’une voix aux vibrantes harmoniques. Sébastien Guèze est un Prince peu sympathique. Il a dans cette production la fougue de la jeunesse mais aussi certains accents assez virulents. Si le timbre manque un peu de rondeur il s’accorde à cette interprétation convaincante où les moments de colère laissent la place à de beaux phrasés avec des aigus sûrs et projetés. C’est à la toute fin qu’il réussira à émouvoir, demandant pardon dans un duo touchant accompagné par la harpe. Camille Schnoor est une Princesse étrangère hautaine dont le médium résonne dans une voix puissante et colorée. Des aigus pleins, projetés et une belle présence scénique marquent ce rôle ambigu. Sous les traits de l’entraineur de la nageuse Laure Manaudou, Vodnik nous laisse apprécier la voix chaude de la basse Mischa Schelomianski. C’est un Esprit du lac émouvant dont les nuances et les inflexions de la voix s’accordent à la musique pour des phrases chantées dans un timbre suave aux accents slaves. Très belle musicalité dans son monologue de l’acte II. Jesibaba est une étrange sorcière. A-t-elle échangé le balai qui sied à sa fonction de jeteuse de sorts contre le balai d’une technicienne de surface ? Peu importe, la voix grave de Marion Lebègue laisse résonner son mezzo-soprano avec amplitude dans des phrases rythmées et la richesse d’un timbre homogène. Philippe-Nicolas Martin est un garde forestier efficace vocalement et scéniquement. Rôle court mais très en place. Les seconds rôles sont ici bien employés. La voix de Coline Dutilleulgarçon de cuisine, se détache avec légèreté dans un jeu enlevé, ainsi que les voix des 3 Nymphes Mathilde Lemaire, Marie Kalinine, Hagar Sharvit aux timbres contrastés mais homogènes. Toujours en place, le Choeur est aussi remarqué par l’homogénéité et la couleur des voix. Si nous n’adhérons pas à cette mise en scène actualisée, nous sommes totalement emportés par cette musique imagée et poétique dirigée avec maestria par Lawrence Foster. Le maestro, roumain, n’a aucune difficulté à trouver les accents de cette musique qui laisse par moments transparaître quelques thèmes folkloriques. Toujours au plus près de la partition avec des inflexions et des respirations qui s’accordent au texte, Lawrence Foster respire cette musique et avec lui l’orchestre devient slave, les violons trouvent des sonorités soyeuses, les alti chantent dans un beau legato et les cuivres ont une rondeur de son particulière, jusqu’à la harpe qui égrène ses arpèges en gouttes d’eau. La musique nous a, à elle seule, transportés dans ce conte aux accents dramatiques. Un immense bravo à tous les artistes sous la baguette d’un chef d’orchestre habité. Photo Christian Dresse