Lawrence Foster, musicien du monde, chef d’orchestre mais grand humaniste. Après une interview qui date de 2014, c’est le côté humaniste que nous abordons plus particulièrement aujourd’hui.
L’humanisme, cela devrait paraître évident avec la musique, mais rien n’est moins sûr. Qu’en pensez-vous maestro ?
L’on peut aborder la musique par différentes approches. Le côté technique, le côté virtuose, une façon de vouloir plaire à l’auditeur peut être aussi, mais pour moi qui ai baigné toute ma vie dans cet univers ce sont les notions de partage, de don de soi et de communion qui me viennent à l’esprit. Le monde a toujours connu des crises
épouvantables, difficiles à surmonter, mais actuellement, l’on dirait que le monde a perdu sa boussole, et maintenir le cap semble chose impossible. C’est pourquoi la musique me paraît être un moyen de rassembler. Regardez dans une salle de concert, le silence se fait et chacun écoute, vibre sans se demander qui est son voisin. C’est aussi très frappant lorsque l’on fait de la musique, du duo à l’orchestre symphonique ou à l’opéra. Impossible de jouer ensemble sans une écoute attentive de l’autre, des instrumentistes ou des chanteurs. Le chef d’orchestre est là pour donner l’impulsion, la musicalité d’une phrase, pour canaliser aussi, mais ne vous trompez pas, il est très à l’écoute de ses musiciens. Pouvez-vous imaginer un chef d’orchestre uniquement préoccupé de son moi intérieur, sans se rendre compte que le hautbois ou la flûte (par exemple) a besoin d’une légère respiration ou que le chanteur veut accélérer pour terminer une phrase sur le souffle ? Ce serait un désastre. La musique même est une leçon d’humanité.

Vous avez sûrement fait des rencontres marquantes, côtoyé des musiciens pour qui la musique était un moyen de fédérer, de communier dans une ouverture du cœur et de l’âme.
C’est exact, ayant commencé très jeune dans la musique, directeur et chef du Ballet de San Francisco à 20 ans…ma carrière a été longue et les rencontres ont eu une grande influence sur ma vie de musicien mais aussi personnelle. Par chance les belles rencontres ont été nombreuses, les autres je les ai oubliées. Je cite tout de même souvent le cas de Jean-Paul Scarpitta parce qu’il est relativement récent. Il avait succédé à René Koering, compositeur talentueux dont j’ai dirigé la création de son opéra Die Marquise von O…, au poste de directeur de l’Opéra et Orchestre national de Montpellier où j’avais été nommé directeur musical en 2007, et il m’a été impossible de m’entendre avec lui. Cette collaboration impensable m’a obligé à quitter ce poste un an avant la fin de mon contrat. A-t-on toujours la possibilité de dire non ? Je l’espère en tout cas car cette rupture a donné lieu à une rencontre marquante avec un artiste rare, de grand talent et doté d’une générosité de cœur plus rare encore, et depuis 2012 nous collaborons dans une entente artistique et humaine qui réchauffe mon vieux cœur. Le jour même de la
rupture de mon contrat, Maurice Xiberras, directeur général de l’Opéra de Marseille, me proposait le poste de directeur musical. Je connaissais cet orchestre, je l’avais déjà dirigé dans Salammbô, d’Ernest Reyer en 2008, et je l’appréciais beaucoup. Un oui spontané fut ma réponse. Cette collaboration artistique, musicale aux liens très forts nous ont entraînés, l’orchestre et moi, jusqu’en Chine en passant par l’Allemagne et son fameux Festival de Bad Kissingen ou la salle du Concertgebouw d’Amsterdam. Maurice Xiberras fait partie de ces personnes que l’on rencontre rarement et qui vous apportent un rayon de soleil dont la lumière perdure. Evidemment j’ai eu la chance de rencontrer des êtres qui ouvrent les portes du cœur par leur talent et leur générosité. Cela a commencé très tôt avec des amis tels Daniel Barenboim ou Zubin Mehta qui ont partagé ma vie musicale mais pas uniquement. La générosité et l’acharnement qui ont conduit Daniel Barenboim et l’écrivain chrétien américano-palestinien Edward Saïd à fonder en 1999 le West-Eastern Divan Orchestra sont admirables et si difficile à maintenir tant les fils sont ténus et soumis aux tensions politiques. Faire jouer ensemble de jeunes musiciens venus de Palestine de d’Israël, vous imaginez ! Zubin Mehta dirige souvent maintenant le Divan Orchestra que j’ai eu moi-même le plaisir de conduire. Cela a été une superbe expérience émotionnelle, comme prendre la direction de l’Orchestre de Jérusalem. Il y a des rencontres, des lieux lourds d’émotions.

Quels sont les événements qui, en dehors de la musique pure, vous ont procuré des moments d’émotion, de partage ?
Il y en a eu beaucoup bien sûr, mais j’aime à me souvenir de ces années passées à la tête
de l’Orchestre de Monte-Carlo, de longues années, 10 ans peut-être, des liens créés avec le Prince Rainier, un homme d’une grande culture, de la tristesse en dirigeant l’orchestre pour les obsèques de la Princesse Grâce, une femme remarquable d’une rare élégance, mais aussi du plaisir, après la lointaine période des Ballets Russes, de voir renaître la danse avec la Compagnie des Ballets de Monte-Carlo créée en 1985 sous l’impulsion de S.A.S La Princesse Caroline. Un autre souvenir joyeux, la cérémonie pour le mariage du Prince Albert II de Monaco et de Charlène Wittstock. Des moments musicaux très forts durant toute cette période monégasque qui perdure encore.

Vous avez des liens étroits avec le sud de la France, est-ce un hasard ?
Je ne crois pas trop au hasard mais plutôt à des signes qui créent des liens. Mes parents avaient quitté la Roumanie pour l’Amérique sur le bateau Normandie, je suis né de ce fait à Los Angeles et à l’âge de 10 ans mes parents m’ont envoyé passer des vacances à Nice chez ma tante. De là est né cet amour de la France avec ses paysages, sa culture, ses compositeurs et la beauté de sa langue de Molière à Albert Camus… Pour moi c’est le plus beau pays du monde ! La liberté, l’individualité des personnes aussi, la lumière du Sud inimitable et, voyez-vous, j’habite maintenant au bord de mer, à Monaco. Il y a la musique et la musique des couleurs.
En parlant de musique, avez-vous toujours été attiré par vos racines et les accents de la musique roumaine ?
Je n’étais jamais allé en Roumanie mais quelque chose vibrait en moi, je vous ai dit que je croyais aux liens qui vous relient : ma femme était roumaine, je dis était car j’ai eu la
grande tristesse de la perdre il y a peu de temps. Ma première visite en 1967 m’a procuré une très vive émotion, surtout en arrivant à Jasi, la ville de mes parents qui était il y a 100 ans la capitale de la Moldavie. C’est aussi près de cette ville qu’est né le chef d’orchestre roumain Sergiù Celibidache, un caractère très fort, certainement un peu misogyne en musique… La musique joue un très grand rôle dans la culture de ce pays qui a donné de grands artistes et de très belles voix. Ma passion pour la musique du compositeur Georg Enescu, dont j’ai enregistré l’intégrale de ses œuvres incluant son opéra Œdipe, m’a conduit à rencontrer le président de la Roumanie Emil Constantinescu, d’être pour quelques années le directeur artistique du Festival Georg Enescu et d’être décoré en 2003 par le nouveau président pour services rendus à la musique roumaine. Cela m’a fait plaisir, moi qui suis roumain de cœur. Rencontrer le président des Etats-Unis Bill Clinton dans le Montana ne fait pas partie des souvenirs musicaux mais plutôt des rencontres qui vous donnent certains éclairages sur les personnages, leur comportement et leur caractère. En cela c’est enrichissant car je me suis toujours intéressé à la politique.

La musique est un vaste registre, la musique classique subit-elle des influences ?
J’ai eu la chance de naître à Los Angeles à une époque où vivaient et se côtoyaient un grand nombre d’artistes, dû sans doute à l’immigration, ce qui apportait un mélange de cultures et de talents. Les studios de cinéma attiraient des compositeurs de musique de films, qui venaient de la musique classique, tels Max Steiner (Autant en emporte le vent), Miklos Rozsa (Ben-Hur), Elmer Berstein (Les 10 commandements), Franz Waxman qui a composé “Carmen Fantaisie” magnifiée par Jascha Heifetz qui a vécu et enseigné à Los Angeles, un violoniste d’exception; j’ai même eu le plaisir d’être pianiste dans sa classe. Tous ces grands artistes, et bien d’autres, ont marqué ma vie musicale. J’admire Arturo Toscanini, qui a même dirigé à Bayreuth, pour son courage et ses prises de positions ou Bruno Walter qui m’a souvent conseillé. Ces grands artistes subissaient aussi des
influences, j’ai moi-même travaillé avec Duke Ellington et, plus étrange encore, est cette collaboration avec Paul McCartney pour sa composition l’Oratorio Standing Stone, interprété au Royal Albert Hall par le London Symphony Orchestra sous ma direction et qui a donné lieu à un enregistrement. Vous voyez, une vie de musicien, de chef d’orchestre est une vie bien remplie, il est impossible de tout citer mais les souvenirs sont toujours très présents et les orchestres rencontrés de par le monde ont façonné le musicien et l’homme que je suis devenu. Plus récemment, être nommé directeur artistique et premier chef de l’Orchestre Symphonique de la Radio nationale de Pologne basé à Katowice a donné lieu à de grands moments de musique. J’ai toujours aimé les jeunes musiciens, sans eux la musique ne continuerait pas, et faire connaître de jeunes solistes de talent a fait partie de mes priorités ainsi que diriger des orchestres de jeunes artistes tels le Yunge Deutsche Philharmonie, l’Australian Youth Orchestra ou l’Orchestra Academy of Schleswig-Holstein Musik Festival. Avec ces jeunes musiciens plein d’entrain, c’est un échange de part et d’autre. Vivre sans musique serait pour moi une grande punition.

Votre enthousiasme est communicatif maestro.
L’enthousiasme est le moteur de la vie et l’amour est un grand véhicule. Et quoi de plus facile, de plus efficace pour le transmettre que la musique, pas de langages différents, pas de frontières, de simples notes de musique…
Merci maestro, la musique pour la paix ?
Merci maestro, la musique pour la paix ?