Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2025: Beatrice Rana & l’Orchestre Philharmonique de Radio France

Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2025
Orchestre Philharmonique de Radio France
Direction musicale Mikko Franck
Piano Beatrice Rana
Piotr Illitch Tchaïkovski: Concerto pour piano n°1 en si bémol mineur, op.23;
Dmitri Chostakovitch:  Symphonie n°10 en mi mineur, op.93
Aix-en-Provence, le 24 avril 2025
En cette soirée du 24 avril 2025 deux géants de la musique russe étaient au programme : Tchaïkovski et Chostakovitch. Piotr Illich Tchaïkovski tout d’abord avec son concerto pour piano n°1 et Beatrice Rana au clavier accompagnée par l’Orchestre Philharmonique de Radio France conduit par son chef Mikko Franck. Ce concerto, Tchaïkovski l’avait initialement dédié à son ami Nikolaï Rubinstein mais cela devait lui apporter quelques désillusions. “Je ne jouerai jamais cette partition, elle donne la nausée” devait dire le pianiste à la première écoute, ce qui amena cette réponse du compositeur tout de même blessé ” Je n’y changerai pas une note”. Il propose alors son concerto à Hans von Bülow qui le créera à Boston le 13 octobre 1875. Ce sera un succès foudroyant jamais démenti. Il reste d’ailleurs l’un des concertos les plus joués de par le monde et Rubinstein sera obligé de revenir sur ses propos. Ample et généreux, ce concerto met en valeur toutes les possibilités d’un soliste, la fougue, la virtuosité mais aussi le lyrisme et le côté romantique. Béatrice Rana prend à bras le corps le piano et Tchaïkovski dans une technique éblouissante mais avec un manque de finesse évident. Son jeu d’une grande virilité enlève les subtilités contenues dans la partition alors que sa cadence un peu maniérée n’apporte pas plus de sensibilité avec des notes que l’on souhaiterait un peu plus perlées et ce manque d’oppositions de nuances qui marquent les doutes du compositeur. Dans ce premier mouvement le jeu totalement technique nous semble manquer aussi d’une certaine profondeur. Pizzicati délicats et flûte solo pour l’introduction du deuxième mouvement. Le toucher de la pianiste se fait plus sensible sur le soli des deux violoncelles amenant de beaux rallentandi alors que l’Allegro con fuoco est interprété dans un tempo assez vif. Les jolies phrases jouées par les violons sont enchaînées avec force par la pianiste aux nuances contrastées assez dures. Pourquoi tant de force, avec cette technique parfaite Beatrice Rana veut-elle afficher une puissance toute masculine? Puissance ne veut pas toujours dire dureté. Aurions-nous aimé plus de finesse dans l’interprétation ? Nous nous devons de reconnaître les belles qualités pianistiques de cette jeune pianiste. Tchaïkovski encore avec le bis, Danse de la Fée Dragée, tirée du ballet Casse-noisette dans des sons délicats et perlés à souhait. N’entendons-nous pas les sons aigrelets du célesta comme sorti d’une boîte à musique ? Très beau succès ! Avec la Symphonie de Chostakovitch nous apprécions la direction ample et précise de Mikko Franck, caché par le piano lors du concerto, à la tête de son orchestre au grand complet pour cette symphonie n°10 monumentale créée à Leningrad en décembre 1953. Elle est sans doute le reflet des sentiments du compositeur au moment de son écriture alors que Joseph Staline est mort quelques mois auparavant. Chostakovitch se sent-il délivré, moins menacé ? Cela n’est pas sûr, l’on ne sent aucun soulagement tout au long de cette symphonie, quelques soubresauts peut-être dont il se serait abstenu alors que le poids de la dictature était si pesant et n’ose-t-il pas dans le 2ème mouvement un portrait glaçant du dictateur ? Chostakovitch utilise ici une ironie grinçante, des couleurs froides ou des éclats tonitruants. Tout est dit déjà dans le premier mouvement, le mystère des bassons ou même ce calme inquiétant. Avec l’utilisation des rythmes et des couleurs d’instruments le compositeur nous fait vivre le climat de terreur qui régnait alors. Le leitmotiv DSCH (ré mi do si), 4 notes qu’il emploie ici pour la première fois et qui seront plus tard sa signature, sont autant de coups portés qui vous empêchent de relever la tête. Le compositeur avoue avoir pensé à Joseph Staline en composant cet Allegro, évocation glaçante avec la caisse claire militaire omniprésente telle une armée en marche qui laisse sonner la petite harmonie ou les trompettes victorieuses dans une atmosphère dramatique avec des archets inquiétants. Plus calme, le Lento avec son thème lancinant qui marque le destin inéluctable et l’harmonie aux sons grinçants ne laisse aucune échappatoire et maintient dans l’inquiétude malgré un tempo de valse lente et les appels du cor solo avec toujours ces 4 notes reprises à l’infini. Le hautbois introduit le 4ème mouvement, plus calme mais encore nostalgique et, si l’on trouve quelques instants de gaîté comme à l’occasion d’une fête villageoise, ils sont vite noyés dans l’ironie et quelques sarcasmes de voix contradictoires. Avec cette grande puissance et ces 4 notes répétées avec force, Chostakovitch veut-il envoyer un message à Staline ? Superbe interprétation ! Après ce déferlement de sons, la Valse triste de Jean Sibelius donnée en bis est un moment d’apaisement et de douceur bien venu. Très beau concert qui soulève l’enthousiasme. Photo Caroline Doutre