Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence, saison 2025
Actrice, auteur, conception et mise en scène Chiara Muti
Piano David Fray
Lumières Vincent Longuemare
Son Raffaele Bassetti
Conception vidéo Nima Ghashghaei
Musiques: Jean-Baptiste Lully, Johann Sebastian Bach, François Couperin, Antonio Vivaldi, Pancrace Royer, Jean-Philippe Rameau, August Stradal, Robert Schumann, Georg Friedrich Haendel.
Aix-en-Provence, le 15 avril 2025
Oui, la beauté existe encore dans les salles de spectacles et non, l’inesthétique, voire la laideur, n’est pas une fatalité. En ce mardi 15 avril, et dans ce petit bijou qu’est le Théâtre à l’italienne du Jeu de Paume d’Aix-en-Provence, le Festival de Pâques nous proposait de vivre intensément 1h30 de musique et de théâtre. Il est des moments, comme celui-là, qui marquent un festival, voire une saison tant tout est réussi. Le choix du sujet, du texte écrit par Chiara Muti, de l’interprétation et de la conception. “L’Enfant oublié” réunit tout cela et plus encore car l’émotion, le ressenti ne se quantifient pas. A quoi peut-on juger qu’un spectacle va au-delà de la réussite ? A cette perception que l’on garde au fond de soi et qui empêche de parler après que le rideau se soit refermé. Le sujet ? La courte vie et la mort du Dauphin de France Louis-Joseph avec, en contrepoint, la vie de sa mère
la Reine Marie-Antoinette. Tragédie que tout cela mais transcendée par la beauté et la poésie de cette création. Passionnée par l’histoire et touchée par la courte vie, 7 ans seulement, de ce jeune être tant attendu, tant espéré, Chiara Muti décide de le sortir de l’oubli. Et avec quel talent ! Elle écrit, elle vit et nous livre ce récit avec une sobriété qui touche, qui émeut et fait vivre à jamais les souffrances de cet enfant qui, comme souvent, apportent une maturité que l’on voudrait écarter de l’enfance. Marie-Antoinette se souvient de sa venue en France, son mariage avec Louis devenu Louis XVI, ses attentes de la maternité, un dauphin ? Une fille tout d’abord, puis cet amour fusionnel pour cet enfant atteint par la tuberculose osseuse qui l’oblige à porter un corset qui le blesse, son handicap, ses souffrances quotidiennes et son déclin inéluctable ; annonce du déclin de la monarchie ? La révolution implacable qui ira jusqu’à refuser quelques jours de deuil au roi qui, parlant du Tiers état prononcera cette phrase douloureuse “N y-t-il pas de pères parmi ces gens là ?” Louis XVI avait déjà été marqué par le décès du Duc de Bourgogne son frère aîné en 1761, ce qui l’obligea à régner. Epoque effroyable, impitoyable et cette mort du petit Louis-Joseph survenue le 4 juin 1789, quelques semaines avant la prise de la Bastille… Chiara Muti, dans une voix profonde aux accents douloureux nous fait vivre jusqu’aux instants ultimes de la Reine Marie-Antoinette qui l’emmèneront en charrette à l’échafaud. Très engagé dans le
problème du handicap, le pianiste David Fray partage avec sa femme Chiara Muti le projet de “L’Enfant oublié”. Ils en feront un spectacle poignant, de ceux qui marquent émotionnellement le spectateur. Le toucher délicat du pianiste reprend les inflexions de la voix de la narratrice dans des morceaux intelligemment choisis. J.B. Lully, J.S. Bach, F. Couperin, A. Stradal, A. Vivaldi, P. Royer, J.P. Rameau, G.F. Haendel, seul Robert Schumann et ses “Scènes d’enfants” se détache des compositeurs baroques. Le jeu sobre mais d’une grande intensité du pianiste nous enveloppe et nous maintient dans ces atmosphères douloureuses et néanmoins poétiques. La musicalité, les respirations, les silences, le toucher plus ou moins léger en accord avec le texte racontent eux aussi les moments de cette histoire. Toute une vie… Et David Fray met la musique à la place des mots. Les lumières conçues par Vincent Longuemare participent des atmosphères et du succès. Lumières indirectes souvent posées sur la narratrice ou le pianiste, comme sorties de l’ombre ambiante en clair-obscur, créent l’intimité d’un éclairage à la bougie dans un effet de brouillard théâtral jusqu’au rouge qui teinte la robe de sang. Nima Ghashgel utilise les vidéos avec art et poésie invitant même la portraitiste madame Vigée Le Brun. Des marguerites pour un printemps joyeux, nostalgie de la pluie, froidure de la neige, beauté des paysages et ce joli visage de Louis-Joseph dans des teintes pastel. Superbe! Raffaele Bassetti règle les sons. Orchestre enregistré, voix d’enfants, la romance “Chagrin d’amour…” de Martini, ou la comptine “Malbrough…“. Dans une robe seyante sans grand faste, Chiara Muti est Marie-Antoinette cette reine que l’on disait frivole mais qui a vécu les drames avec courage et noblesse insufflant ces vertus à ses enfants. Silhouette digne, elle monte vers l’échafaud dans un sobre “J’arrive !” destiné à son fils qui disait évoquant son valet de chambre : “J’aime bien mieux souffrir que faire de la peine à ce brave homme“. Un récit sous forme de duo sans fausse note aucune et dans une sobriété qui force l’admiration. Un spectacle que l’on gardera en soi longtemps, longtemps. Photo Caroline Doutre

