Aix-en-Provence, Festival de Pâques 2025: Orchestre de la Suisse Romande. Elim Chan & Renaud Capuçon

Grand Théâtre, Aix-en-Provence, saison 2025
Orchestre de la Suisse Romande
Direction musicale Elim Chan
Violon Renaud Capuçon
Elizabeth Ogonek: “All these Lighted Things”; Richard Strauss: Concerto pour violon et orchestre en ré mineur, op. 8; Sergueï Prokofiev: Roméo et Juliette, extraits des Suites de ballet n°1 et n°2
Aix-en-Provence, le 19 avril 2025
Un concert attrayant, par la qualité des interprètes et l’originalité des œuvres, proposé par le Festival de Pâques en cette soirée du 19 avril avec encore une belle découverte. All these Lighted Things, 3 petites danses pour orchestre de la compositrice américaine Elizabeth Ogonek. Née en 1989, elle compose cette œuvre en 3 mouvements à la suite d’une commande de L’Orchestre Symphonique de Chicago où elle est compositrice en résidence. Sa création en septembre 2017 sous la direction de Riccardo Muti soulèvera l’enthousiasme. Inspirée par un poème du moine Trappiste Thomas Merton qui célèbre la nature “Union apaisante avec la terre à l’aube d’une journée ensoleillée” Elizabeth Ogonek imagine cette partition comme “une sarabande sous l’eau”, une musique d’atmosphère très imagée basée sur les sons qui utilise les nombreux instruments de l’harmonie pour leurs différentes sonorités. Dirigeant sans baguette mais dans une gestuelle de grande précision, la chef d’orchestre hongkongaise fait sonner avec entrain les instruments qui passent des cuivres en ponctuation aux trompettes en promenade ou aux trombones avec sourdine et cordes en contrechant. Plus mystérieux et plus lent, le deuxième mouvement laisse jouer le basson qui s’exprime avec langueur tel le vent qui passe sur les herbes. Rondeur d’un son qui vient de loin dans une sorte de tristesse en réponse aux notes nostalgiques du violon solo. Vif, le troisième mouvement, avec ces accents percussions/contrebasses, rythme de façon imagée cette danse venue des origines polonaises de la compositrice avec la mélodie des flûtes ou l’entrée des cors en fugato. Les morceaux oubliés font partie des surprises musicales qui enchantent l’auditeur. Une partition sublimée par la direction nette, précise et musicale de l’étonnante Elim Chan qui utilise ses mains, ses doigts et donnera au concerto pour violon en ré mineur de Richard Strauss toute sa dimension romantique. Œuvre de jeunesse ? Sans doute, le compositeur n’a que 18 ans. S’il n’a pas encore trouvé ces harmonies qui seront sa signature l’on retrouve dans certaines phrases les prémisses de quelques accords à venir. Renaud Capuçon qui a beaucoup joué ce concerto et l’a même enregistré dit l’aimer infiniment – et cela se sent – pour la ferveur de son écriture, l’explorant encore et encore. Après une entrée orchestrale lyrique le violoniste, dans un vibrato intense, reprend la sonorité du cor solo pour des phrases romantiques et poursuit ce récit musical avec quelques envolées déjà straussiennes. Sa superbe technique lui laisse toute liberté d’interprétation pour les oppositions de nuances amenées avec élégance et musicalité. Gammes précises, vélocité de main gauche mais romantisme dans la souplesse d’un archet à la corde imagent ce premier mouvement où l’humour de Richard Strauss fait quelques apparitions spontanées accompagné par une direction d’orchestre solide et efficace. Phrases musicales d’un violon langoureux au grand développement d’archet et aux démanchés et substitution de doigts poétiques. Le deuxième mouvement laisse chanter le violon dans l’accompagnement d’une petite harmonie attentive à ses inflexions avec dans une atmosphère intériorisée cette 4ème corde grave qui, même à vide, laisse résonner ses harmoniques. Une beauté pure qui laisse un Rondo Presto endiablé prendre place avec énergie pour les exercices d’un archet maîtrisé qui s’exprime dans un spiccato ou staccato volant joyeux, pétillant et sonore. Un éblouissement de notes entrecoupé de phrases romantiques d’une belle musicalité. Un concerto peu joué, délaissé par son compositeur mais que nous découvrons avec bonheur et espérons voir programmé plus souvent. Brillantissime interprétation du violoniste en osmose avec une direction qui le soutient tout en laissant sonner l’orchestre. Les qualités de cette direction, nous les retrouvons dans ces extraits de Roméo et Juliette de Sergueï Prokofiev. Le compositeur a eu beaucoup de mal à imposer son ballet, plusieurs fois refusé il en fait une transcription pour piano puis pour orchestre. Nous écoutons ces deux suites écrites en 1936 alors qu’il est de retour en Union Soviétique faisant très attention à ne pas choquer la sensibilié d’un Joseph Staline alors au pouvoir. Cette écriture avant-gardiste utilise avec brio les oppositions de rythmes. Elim Chan, sans baguette et sans partition, prend l’orchestre à bras le corps faisant ressortir les diverses couleurs de l’écriture orchestrale et des instruments. Des rythmes, mais aussi des phrases lyriques très imagées illustrent cette histoire dramatique mais à l’acmé du romantisme. Le mystère de la clarinette côtoie plus de gaieté, et l’on se retrouve dans quelques harmonies de “Pierre et le loup”, avant que le saxophone ne s’allie au violoncelle solo. Elim Chan sculpte les sons de ses mains, donne une belle souplesse aux phrases musicales jouées piano et passe à une Danse des Chevaliers en majesté. Sur de sonores longueurs d’archets, la Mort de Tybald a quelque chose d’inéluctable, puissance, vélocité féroce avant un déchaînement de cuivres. Roméo sur la tombe est un moment d’intensité douloureuse appuyée par une harmonie sonore. Prokofiev voulait une fin tragique, les trompettes et les cors dans l’aigu s’y emploient avec des timbales qui ponctuent les temps. Comme faisant partie de l’orchestre Elim Chan soutient l’intensité jusqu’au calme étrange des derniers sons et soulève l’enthousiasme d’un public subjugué. Photo Caroline Doutre