Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, saison 2025
Orchestre national du Capitole de Toulouse
Direction musicale Renaud Capuçon
Piano Martha Argerich
Charlotte Sohy: Danse mystique op. 19; Ludwig van Beethoven concerto pour piano n°1 en ut majeur; Antonin Dvorak: Symphonie n°8 en sol majeur, op. 88
Aix-en-Provence, le 11 avril 2025
Le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence est un événement toujours très attendu par les mélomanes, mais pas uniquement. Avec pour label exigence et qualité dans la programmation, le festival attire aussi nombre d’auditeurs voulant participer pour la première fois à ces fêtes musicales. La 12ème édition – déjà- ouvrait ses portes en cette soirée du 11 avril pour un concert attractif à plus d’un titre; Martha Argerich, légende du piano s’il en est, allait interpréter un concerto de Beethoven avec le violoniste Renaud
Capuçon qui, une fois n’est pas coutume, avait posé son archet pour prendre la baguette. Le choix des œuvres programmées couvrant près de deux siècles de musique était aussi très attractif. Depuis quelques années les compositrices sont mises à l’honneur et l’on ne s’en plaindra pas. Charlotte Sohy, compositrice française décédée en 1955 dû subir la misogynie ambiante de son époque. Bien qu’empruntant parfois des pseudonymes masculins, ses œuvres ne sont même pas éditées. A-t-elle eu plus de chance avec ses ouvrages littéraires ? Nous écouterons ce soir “Danse mystique”. Son écriture personnelle séduit faisant ressortir les différentes atmosphères dans des sonorités riches et pleines. Imageant avec souplesse une danseuse sacrée dans son chemin vers la lumière, la composition débute dans un piano mystérieux où chaque instrument soliste amène ses couleurs propres. La clarinette basse au son sombre et inquiétant s’estompe pour d’autres instruments, d’autres sonorités, flûte, trompette, trombone prenant grand soin de ne pas briser les atmosphères, dans une continuité de son, mais s’allégeant vers plus
de clarté. Musique tonale, agréable mais profonde aussi. Une jolie découverte. Beethoven n’a que 24 ans lorsqu’il compose son premier concerto, tout à fait dans la lignée de Mozart bien que l’orchestre soit un peu plus fourni. Martha Argerich nous en donne ici une version hautement lumineuse et poétique. N’avoue-t-elle pas d’ailleurs qu’il est l’un de ses préférés avec le n°2 ? Dans un tempo allant et sous une baguette précise, une sorte de marche pose les premières bases du concerto avant de donner la parole à la pianiste. Sonorité claire et jeu perlé pour des notes au piqué délicat dans des nuances tout en douceur, Martha Argerich répond à l’orchestre qui soutient le tempo sans lourdeur. Le toucher de la pianiste a quelque chose de magique. Sans
brutalité la cadence passe de la puissance d’un trille à une phrase délicate dans un seul souffle alors qu’avec vélocité les doigts déliés enchaînent les gammes. La tendresse au bout des doigts et sans trop de lenteur, le deuxième mouvement exprime la délicatesse d’un jeu aéré dans un discours en toute simplicité avec la petite harmonie avec ces respirations qui laissent attendre les notes…et l’on retient son souffle avec la pianiste. Superbe d’intensité retenue dans la poésie de la clarinette jouant en duo avec le piano. Enchaîné et très vif, le troisième mouvement fait sonner l’orchestre en réponse à la force et la vélocité d’une pianiste qui semble s’amuser dans ce discours questions réponse aux
accents en contre-temps. Les changements de nuances et les rythmes soutenus laissent apparaître des sonorités de boîte à musique avant une fin triple forte. Un triomphe, une ovation pour cette grande dame du piano qui a gardé la fraîcheur de jeu d’une jeune fille tout en ayant acquis la profondeur que donne la maturité. Nous entendrons en bis une Gavotte qui semble hésiter entre Bach et le jeu perlé d’un Scarlatti. Un moment de fraîcheur pour cet extrait des Suites anglaises de Jean-Sébastien Bach joué avec aisance et fluidité. L’orchestre national du Capitole de Toulouse est ici mis à l’honneur sous les impulsions d’un Renaud Capuçon très investi. Pastorale, champêtre, la Symphonie n°8 d’Antonin Dvorak, d’une grande richesse mélodique, charme dès la première écoute avec ses accents slaves dans des ambiances de paix et de sérénité que
l’on écoute dès l’introduction du premier mouvement aux sons des violoncelles et de la flûte solo. Dans une gestuelle large, le chef d’orchestre enchaîne les atmosphères faisant sonner les cuivres avec force sans brutalité pour revenir à la délicatesse de la petite harmonie et finir dans un tutti éclatant. Plus nostalgique, l’Adagio du deuxième mouvement hésite entre thèmes slaves aux harmonies orientales et le dramatique des cordes aux sons soyeux qui passent avec souplesse du mystère au balancement d’une danse. Un moment de fraîcheur avec la valse du troisième mouvement et le son clair du hautbois dont le thème est repris par les cordes sur de belles longueurs d’archet. L’appel de la trompette introduit l’Allegro final et laisse s’exprimer les violoncelles aux sons chaleureux. Dans un tempo qui avance et une belle unité de son l’orchestre fait éclater une joie tout à fait slave sous la baguette d’un chef à l’écoute des musiciens mais aussi du compositeur. Très belle interprétation d’un orchestre aux mille couleurs. Grand calme pour la variation Nimrod (Variations Enigma) d’Elgar donnée en bis. Sons larges et veloutés. Superbe concert !Photo Caroline Doutre / Festival de Pâques




