Marseille, Opéra Municipal: “Il Trovatore”

Marseille, Opéra municipal saison 2024/2025
IL TROVATORE
Opéra en 4 actes, livret de Salvatore Cammarano et Leone Bardare
Musique de Giuseppe Verdi 
Leonora ANGELIQUE BOUDEVILLE
Azucena AUDE EXTREMO
Inez LAURENCE JANOT
Manrico TEODOR ILINCAI
Il Conte di Luna SERBAN VASILE
Ferrando PATRICK BOLLEIRE
Ruiz MARC LARCHER
Il messagero ARNAUD HERVE
Un vecchio zingaro NORBERT DOL
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille 
Direction musicale Michele Spotti
Mise en scène Louis Désiré
Décors et costumes Diego Mendez-Casariego
Lumières Patrick Méeüs
Marseille, le 10 juin 2025
Noir c’est Noir, pourrait-on dire de ce Trouvère, mais quelle intensité ! Pour clore la saison, Maurice Xiberras, directeur général de l’Opéra de Marseille, avait choisi “Il Trovatore” opéra toujours très apprécié. Mais au-delà de ce choix, la distribution, la direction et la scène allaient transcender l’œuvre. Ce fût un triomphe renouvelé pour toutes les représentations qui affichaient complet. Le metteur en scène Louis Désiré, fidèle à sa vision du drame lyrique, nous plonge dans le noir. Le livret, éminemment dramatique, et la noirceur de certains personnages justifient son choix rendant cette version intimiste, centrée sur l’intériorité des sentiments. Manrico et le Conte di Luna sont deux frères, nous ne le saurons qu’à la fin, mais d’entrée le metteur en scène joue sur ce lien du sang et leur ressemblance. Malgré le minimalisme de cette mise en scène, l’on retrouve un Louis Désiré attaché aux détails, ne laissant aucun temps mort dans les déplacements avec quelques idées géniales qui frappent les esprits, cette longue écharpe rouge dont Azucena ne se sépare jamais traînant tel un cordon ombilical sanguinolant que l’on n’a pas tranché, ou la portant enroulée dans ses bras comme un enfant que l’on bercerait. Autre particularité de mise en scène cette croix, haute et lumineuse avec effet de miroir. Diego Méndez-Casariego signe les costumes, très sobres, noirs bien sûr si ce n’est la robe bleu nuit portée par Leonora, jouant sur 2 couleurs, le blanc des chemises des soldats tranchant sur le noir de leurs pantalons ou encore le noir des robes des religieuses légèrement atténué par de longs voiles blancs, il conçoit aussi les décors et la scénographie. Peu de couleurs si ce n’est un panneau peint au début de l’ouvrage remplacé par des fagots incandescents, le feu omniprésent dans ce récit, ainsi que ces tulles noirs qui semblent se refermer sur les personnages tel le destin dont on ne peut s’échapper. Les lumières conçues par Patrick Méeus magnifient ce visuel avec les éclairages du Caravage perçant un environnement créé par Soulage. Des images frappantes avec aussi ce rouge couleur sang. Une réussite ! Dans cette atmosphère tragique et pesante, les voix vibrent avec intensité. Le soprano d’Angélique Boudeville au vibrato délicat s’élève avec pureté à travers cette noirceur. La souplesse des vocalises, la rondeur du timbre ou les belles reprises de notes dans le souffle donnent une grande crédibilité au personnage. Amoureuse passionnée et déterminée, sa voix est suppliante devant le Conte ou empreinte de douceur, évoquant sa fidélité et sa mort devant un Manrico désespéré. Une interprétation de charme et une leçon de chant. Face à cette pureté, la voix sombre et douloureuse de l’Azucena d’Aude Extrémo constamment habitée par l’idée de vengeance. Cette prise de rôle est une révélation. Loin des graves souvent poitrinés voulant amplifier le volume, la Mezzo-soprano française reste dans la mesure n’ayant besoin d’aucun subterfuge pour assombrir sa voix. Une voix d’une grande homogénéité pour chaque tessiture dans une technique parfaite qui laisse résonner avec naturel des aigus aux harmoniques dramatiques. Une Azucena étonnante dans la simplicité d’une mère douloureuse telle une pieta. Son “Stide la vampa” est si prenant que le public subjugué n’ose pas applaudir. C’est un triomphe aux saluts. Dans ce duo féminin de choix l’Inez de Laurence Janot est impeccable vocalement et scéniquement. Teodor Ilincai que nous avions écouté il y a quelques années dans le rôle de Pinkerton joue ici dans un tout autre registre. Sa voix s’est étoffée, prenant des accents dramatiques bien venus. Voix puissante sans forcer aux aigus sûrs et éclatants avec de jolis phrasés dans ses duos ou passages a cappella. Avec des attaques projetées, le ténor roumain nous livre un “Di quella pira” marqué, éclatant et sonore mais sachant aussi moduler sa voix pour plus de tendresse. Une prestation sans faute et très investie. Serban Vasile est un Conte di Luna solide et puissant aux changements d’humeur marqués. Duo/duel avec Manrico, mais tendresse dans la voix en pensant à Leonora malgré la jalousie qui assombrit encore sa voix. Une voix solide dans un “Tace la notte” traversé par divers sentiments. Beau phrasé aux aigus pleins et sonores dans un investissement de chaque note. Superbe quatuor vocal de tout premier ordre. Belle prestation aussi pour le Ferrando de Patrick Bolleire dans une voix de basse projetée et affirmée, avec graves et aigus sonores. Le Ruiz de Marc Larcher est lui aussi à noter pour la couleur de la voix et son interprétation. Rôles courts mais remarqués, Il messaggero d’Arnaud Hervé et Un vecchio zingaro de Norbert DoL. Chœur superbement investi avec les voix d’hommes, très sollicitées dans cet ouvrage, aux attaques puissantes dans une grande homogénéité sans oublier le chœur féminin dont le miserere religieux aux voix éthérées purifie. Mais un succès ne serait pas complet sans une direction impeccable et intelligente. Michele Spotti investit l’orchestre avec souplesse et musicalité sans aucune intention de forcer les nuances, se mettant au service de Verdi, des chanteurs et de la musique. Avec des sonorités homogènes, des rythmes marqués et une musicalité jusqu’au bout de la baguette le maestro met l’orchestre en valeur dans des tempi soutenus et fait ressortir les solistes. Tout à fait dans l’esprit de cette production. Un triomphe aussi pour le chef et l’orchestre. Photo Christian Dresse