Entretien avec le tenor Julien Dran

Répondant à nos questions, entre deux répétitions de “Lakmé”, Julien Dran trace pour nous le portrait  d’un ténor nouvelle génération.
Fils, petit-fils de musiciens, chanteurs, la musique était-elle une évidence pour vous ?
Une évidence non. Mes parents, ma mère particulièrement, ont désiré me faire apprendre le piano, ce que j’ai fait pendant quatre ans, puis, mon choix s’est porté sur le cor, instrument que je trouve superbe. Avec un père et un grand-père, ténors tous deux, une mère et une grand-mère sopranos, je me suis vite retrouvé entouré de chanteurs et de musiciens. Alors, à l’adolescence, j’ai fait une légère … overdose. La mécanique m’intéressait, mais je me suis lancé dans des études de commerce. Puis, ayant fait de la figuration dans des opéras aux côtés de grands chanteurs, j’ai commencé à trouver beaucoup d’attrait à ces représentations.
 Comment vous êtes-vous tourné vers le chant ?
 Un peu par hasard. Bien sûr j’allais écouter ma mère Martine March (soprano lyrique), qui chantait souvent au Grand Théâtre de Bordeaux, et j’aimais l’atmosphère et l’effervescence des coulisses, mais mes goûts me portaient plutôt vers la musique metal ou hard rock. Les études de commerce, les compétitions sportives, ont fait place à l’étude du chant au conservatoire de Bordeaux où ma mère m’avait conseillé de me présenter. Etonnamment, la pratique du cor n’avantage pas le chanteur. La pression demandée procure une certaine force, et j’ai dû travailler ma voix pour trouver ampleur et souplesse dans l’émission. Pensionnaire au CNIPAL de Marseille de 2007 à 2008, j’y ai pris de l’intérêt avec des chefs de chant intéressants et des master class qui m’ont permis de côtoyer Yvonne Minton et Mady Mesplé, mais pour moi, ce ne fut pas très constructif, l’atmosphère et le fonctionnement ne me convenaient pas. Mais voilà, mon choix était fait et c’est certainement grâce à mes professeurs et plus particulièrement à la basse Lionel Sarrazin que j’ai pris goût au chant, tout en apprenant à placer ma voix.
 Grandir entouré de notes de musique forme sans doute l’oreille et la sensibilité.
 Sans conteste oui, entendre de la musique et surtout des voix est un environnement formateur. La musique baroque, Mozart, Bellini, le belcanto, s’impriment en vous, et, sans même le remarquer, vous vous retrouvez habité par la musique.
 Le parcours d’un jeune chanteur est-il compliqué ?
 Certes oui. Dès le conservatoire il faut faire ses preuves, puis passer des concours pour être entendu ( premier prix au concours international de chant “Gayarre” de Pampelune, premier prix aux “Paris Awards” salle Gaveau 2013), sans oublier le côté matériel. Ce n’est ni simple ni évident. J’ai eu la chance d’être soutenu par mes parents et c’est très important.
Faut-il enfoncer les portes pour se faire entendre des directeurs de théâtres ?
Elles s’entrouvrent souvent après des concours auxquels assistent les directeurs de théâtres. Ma carrière a débuté alors que j’avais vingt huit ans. Il faut être alors bien entouré, savoir prendre de sages décisions et avoir un agent intelligent qui respecte les chanteurs. Mon père s’occupe de ma carrière, nous nous comprenons bien dans une confiance mutuelle, c’est très important. Savoir prendre du recul pour pouvoir dire non – ce qui n’est pas toujours évident – savoir écouter les conseils, ne pas se laisser emporter par quelques succès et rester soi-même, voilà les bases premières d’une carrière.
Quand vous avez décidé de vous lancer dans cette carrière, y a-t-il un opéra qui s’est imposé à vous plus particulièrement ?
Oui, La fille du régiment de Donizetti. Les contre-ut fusent, je m’y sens à l’aise. J’en ai d’ailleurs chanté un extrait avec orchestre sur la scène de l’Opéra de Marseille, alors que j’étais pensionnaire au CNIPAL. Alfredo Kraus y excellait, c’était un enchantement. voilà une oeuvre que j’aimerais chanter.
Vous sembliez très à l’aise dans le rôle de Tebaldo (I Capuleti e I Montecchi) que vous avez interprété dernièrement, sur la scène de l’Opéra de Marseille justement. Avez-vous besoin de vous sentir en osmose avec le personnage pour l’interpréter en toute liberté ?
Il est vrai que je me sens bien dans le rôle de Tebaldo. Le personnage me correspond, il bouge, il est habité par des sentiments divers, mais il est aussi vocalement intéressant. Je n’ai pas besoin de me sentir en osmose avec le personnage, je dois simplement me sentir heureux de chanter. C’est quelquefois plus difficile si le personnage me déplait, mais c’est aussi plus intéressant. Il faut fouiller ce personnage, le défendre par le jeu et peut-être même se donner plus à fond. Jouer les méchants, voilà une expérience qui demande un bel investissement personnel et un grand travail sur soi, mais il faut avant tout se sentir heureux d’interpréter ce rôle.
Avez-vous déjà fait le choix d’un répertoire ou dans un premier temps vous laissez-vous porter par les propositions qui vous sont faites ?
J’essaie de faire le choix le plus efficace. Evidemment je m’adapte aux propositions qui me sont faites, mais je n’accepte pas tout. J’ai déjà une vingtaine de rôles dans un répertoire bien ciblé. Les débuts sont délicats car il ne faut pas se tromper. Certains directeurs de théâtres vous font confiance. Ainsi Maurice Xiberras m’a confié deux rôles importants cette saison à l’opéra de Marseille. Après Tebaldo chanté en italien, Gérald (Lakmé), pour une oeuvre très française, apporte des difficultés plus subtiles.
Vous avez côtoyé des grands chanteurs et avez eu des partenaires de très haut niveau, Patrizia Ciofi, Karine Deshayes (I Capuleti e I Montecchi), et maintenant Sabine Devieilhe (Lakmé), Les plateaux prestigieux sont porteurs très certainement.
C’est très porteur évidemment, car en plus des talents que vous côtoyez et qui vous apportent énormément musicalement, vous devez être à leur hauteur même dans des seconds rôles. Otello à Orange avec Roberto Alagna, et maintenant mes partenaires à Marseille… Vous recevez énormément,  cela vous force à donner le meilleur de vous-même  et vous fait évoluer.
Quel est votre premier souvenir lyrique ?
La Traviata à Bordeaux où je faisais de la figuration. J’ai eu un coup de foudre pour le rôle d’Alfredo. Ce fut pour moi une révélation.
Quel est votre plus grand rêve : des partenaires prestigieux, de grands chefs, des scènes internationales, ou les trois à la fois ?
Tout dépend des scènes. Chanter dans des salles de renommée internationale, cela fait sans doute rêver, mais pour l’instant je privilégierais plutôt le côté artistique avec des chanteurs que j’admire, qui m’apportent leur talent et de ce fait me forcent à aller plus loin. On oublie souvent que le chef d’orchestre reste un élément déterminant pour le chanteur, mais aussi pour le spectacle dans sa globalité. Un chef d’orchestre qui met à l’aise, qui respecte l’artiste et connaît les difficultés de la partition, voilà le rêve de tout chanteur.