Festival Kissinger Sommer 2016, 30ème Anniversaire

Regentenbau, Max-Littmann-Sall été 2016
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Lawrence Foster
Soprano Simone Kermes
Violon Sara Domjanic
Piano Jorge Gonzalez
Flûte Virgile Aragau
Tuba Thomas Leleu
Wolfgang Amadeus Mozart: Concerto pour piano et orchestre No 12  en la majeur KV 414
Gioacchino Rossini:Cavatine de Semiramide  acte I Semiramide. Récitatif et Aria d’Amenaide, acte II, Tancredi. Récitatif et Aria d’Adelaide acte II Adelaide di Borgogna
Richard Galliano:Fables pour tuba et orchestre
Leonard Bernstein:“Halil” nocturne pour flûte et orchestre
Max Bruch:Concerto pour violon et orchestre en sol mineur op.26
Giuseppe Verdi:Air d’Amelia acte II, I Masnadieri
Aaron Copland: Saturday Night, Dances & Hoedown  du Ballet Rodeo
Bad Kissingen, le 22 juillet 2016
Invité à Bad Kissingen pour fêter les 3O ans du Festival Kissinger Sommer, l’Orchestre Philharmonique de Marseille, nous présentait un programme assez éclectique, où cinq artistes allaient jouer en soliste. Soprano, pianiste, violoniste, flûtiste et tubiste allaient ainsi animer ce moment musical avec des oeuvres, de genres très différents, plus ou moins connues, créant pour cette soirée des atmosphères assez inattendues ; et c’est dans cette belle salle toute de bois revêtue, de pur Jugendstil que Lawrence Foster allait faire sonner son orchestre. Le jeune pianiste cubain Jorge Gonzalez ouvrait ce feu d’artifice musical avec le concerto No12 de Mozart. Après des études pianistiques à La Havane, c’est à Paris que Jorge Gonzalez viendra se perfectionner. Détenteur de nombreux prix, il commence très tôt une carrière internationale qui le mènera de Cuba en Belgique, des Pays-Bas en France ou en Allemagne. Jorge Gonzalez aborde ce concerto avec un jeu empreint de fraîcheur. Sa belle technique lui permet une ligne musicale dont la pureté de style se vérifie dans chaque mouvement, nous faisant découvrir une certaine naïveté qui sied bien à Mozart. Avec un jeu perlé et des gammes qui semblent couler, le piano dialogue avec l’orchestre. Loin des grandes envolées et des grandes effusions, ce jeune pianiste nous séduit par la simplicité et la délicatesse qu’il met en jouant cadence et deuxième mouvement. On pourrait le trouver trop sage par moments, mais son jeu intériorisé nous fait vivre des instants de plénitude où technique et compréhension musicale sont à remarquer tant il est en accord avec l’orchestre. Fait d’autant plus remarquable qu’il se produit avec orchestre pour la première fois. Changement total de caractère avec la soprano Simone Kermes qui chantera du Rossini : la cavatina de l’acte I de Semiramide ” Bel raggio Lusinghier “, le récitatif ” Gran Dio – Giusto Dio che umile adoro … ” acte II de tancredi, le récitatif ” Cingi la benda candida… “, Adelaide de Borgogna, et du Verdi : Air d’Amelia ” Tu del mio Carlo … “acte II, I Masnadieri. Née à Leipzig, Simone Kermes se distingue d’abord dans le baroque. Ses concerts avec orchestre la mèneront dans le monde entier chantant toujours avec un grand investissement. Possédant une réelle technique, elle plie sa voix à son tempérament, passant avec aisance des aigus puissants aux graves sonores, ou des notes suraiguës – pas toujours écrites – à des vocalises agiles. La soprano allemande chante avec beaucoup de rythme et une grande fantaisie. On peut apprécier de jolies notes et quelques aigus cristallins, mais son chant maniéré aux nuances très contrastées enlève la spontanéité contenue dans la musique de Rossini. On aimerait plus de sagesse avec des voyelles moins ouvertes pour une ligne musicale plus soutenue. Giuseppe Verdi est un compositeur qui lui convient mieux. Elle interprète avec plus de phrasé et moins de contrastes l’Air d’Amelia ” Tu del mio Carlo… “. Cet Air tiré de l’opéra I Masnadieri, permet d’apprécier une voix éclatante au vibrato agréable avec de jolies notes au timbre chaleureux dans une belle longueur de souffle. Un Verdi toujours très personnel mais plus assagi. On sent Simone Kermes toujours prête à sauter sur les rythmes, serait-elle au chant ce que Nigel Kennedy est au violon ?
Ce programme très diversifié nous donne l’occasion d’écouter un instrument très peu joué en soliste. Quelle surprise ! Un tuba qui se prend pour un accordéon dans une vélocité qui fait un pied de nez aux violonistes. Le jeune Thomas Leleu, tuba solo de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille dès l’âge de 19 ans, prix de La révélation soliste aux Victoires de la musique en 2012, nous interprète une oeuvre spécialement écrite pour lui en 2013 par l’accordéoniste compositeur Richard Galliano. S’il est vrai que l’on ne s’attend pas à une telle finesse de jeu sortant d’un instrument aussi imposant, on l’apprécie d’autant plus. Cette géniale composition met en évidence toutes les qualités -et elles sont nombreuses- du soliste. Des sons venus des profondeurs et, des doubles notes aux sons des trompes tibétaines, Thomas Leleu explore toutes les possibilités de cet instrument au caractère exceptionnel. Facilité d’émission, notes accentuées dans un rythme décalé, musicalité et vélocité diabolique ont fait éclater les applaudissements d’un public ravi de cette découverte.
C’est Leonard Berstein qui nous fait passer du tuba à la flûte dans une oeuvre où swing et atmosphères étranges s’enchaînent. Cette pièce, composée à la mémoire d’un jeune flûtiste israélien mort dans le Sinaï pendant la guerre du Kippour en 1973, sera créée à Jérusalem avec Jean-Pierre Rampal en soliste, en 1981. Ce nocturne sera interprété ce soir par le flûtiste Virgile Aragau. Ce jeune soliste, après avoir été flûte solo du Mannheimer philharmoniker, puis de l’Orchestre de la radio de Hambourg semble être habitué aux salles de concert allemandes. Actuellement flûte solo au sein de l’Orchestre Philharmonique de Marseille, il a fondé l’Ensemble Sensible avec des musiciens venus de grands orchestres européens. Cette pièce originale, fait la part belle aux sonorités, permettant au soliste de s’exprimer de façon sensible ou incisive dans une musique colorée. Plus que par la virtuosité, c’est par la musicalité, la compréhension de l’oeuvre et du style du compositeur que Virgile Aragau se fait entendre et remarquer. Avec un son clair mais rond et velouté, le flûtiste joue avec les instruments de l’orchestre pour des dialogues à plusieurs voix. Que ce soit avec le violon solo au legato harmonieux ou avec la nostalgie de l’alto solo, la flûte est à l’honneur, seule ou pour un trio piccolo, flûte en sol. Dans cette écriture élaborée de caractère, chacun s’exprime dans son propre langage. Vibraphone, xylophone, timbales, glockenspiel ou woodblocks y vont de leurs sonorités particulières pour finir par une longue tenue suspendue jouée par le soliste dont la sonorité fait ressortir les harmoniques.
La très jeune violoniste de 19 ans Sara Domjanic nous emmène, elle, avec le concerto pour violon et orchestre en sol mineur de Max Bruch, dans le romantisme allemand. Elle commence à l’âge de quatre ans l’étude du violon au Liechtenstein, puis à Berlin et en Suisse. Très jeune encore, elle se produira avec l’Orchestre Symphonique de Dubrovnik, Les Solistes de Zagreb ou le Gnessin Orchestra de Moscou, entre autres. Ce que l’on remarque d’entrée chez cette jeune soliste, c’est la maturité de son jeu ; et sa musicalité, loin d’être scolaire, fait preuve d’une grande sensibilité. Sara Domjanic met sa technique au service de l’oeuvre avec un archet à la corde mais fluide, et des accords au talon jamais arrachés ; main gauche sûre, archet à l’aise, démanchés et changements de doigts élégants font que l’on se sent confortable à l’écouter et que l’on est tout de suite séduits. Avec une pureté de style et un lyrisme mélancolique contrôlé, le deuxième mouvement respire dans une ligne musicale\ ininterrompue. Force, précision, facilité et agilité seront les maîtres mots du troisième mouvement où la quatrième corde résonnera avec chaleur. Une interprétation magistrale de ce concerto où élégance, rythme et puissance riment avec musicalité et respirations. Sara Domjanic joue un violon de Stephan von Baehr ” Modell Antonio Stradivarius Golden period ” 2014. Après avoir interprété l’Adagietto pour cordes de L’Arlésienne de Georges Bizet dans un tempo allant, avec un son intense et des respirations sensibles, l’orchestre au grand complet se lançait dans la musique d’Aaron Copland ( Saturday Waltz & Hoedown ) avec un plaisir jubilatoire.
La musicalité et la souplesse du chef d’orchestre Lawrence Foster, après avoir accompagné Mozart, Rossini ou Galliano, n’est plus à démontrer, et le Ballet Rodeo mettra un point final à cette soirée réussie en tous points. L’Amérique de l’Ouest vient à nous avec Copland et son entrée en matière ébouriffée. Avec cette musique enjouée, entraînante aux accents folkloriques, le chef emmène son orchestre avec précision et aisance dans des envolées sonores, avec des tempi justes et enlevés. On retiendra l’investissement personnel de chaque musicien, les sonorités rondes d’un orchestre à l’écoute, les attaques précises et cette envie de jouer évidente, peut-être spéciale aux musiciens du sud entraînés par un chef d’orchestre dont l’énergie, la musicalité et la facilité d’adaptation ont fait merveille, aussi bien dans la pureté de Mozart que dans le chaloupé tendance tango de la musique de Galliano. Le public ne s’y est pas trompé qui a longuement applaudi chef et orchestre, tant cette soirée étonnante avait du relief.