Opéra de Nice:”La Juive”

Opéra de Nice – Saison 2014/2015
“LA JUIVE”  
Opéra en cinq actes. Livret d’Eugène Scribe.
Musique Jacques Fromental-Halévy  
Eudoxie HELENE LE CORRE
Rachel  CRISTINA PASAROIU
Eléazar LUCA LOMBARDO
Cardinal BROGNI ROBERTO SCANDIUZZI
Léopold THOMAS PAUL
Ruggiero JEAN-LUC BALLESTRA
Albert ZOLTAN NAGY
Orchestre Philharmonique de Nice
Chœur de l’Opéra de Nice
Direction Musicale Frédéric Chaslin
Mise en scène Gabriele Rech
Décors Dieter Richter
Costumes Gabriele Heimann
Lumières Patrick Meeus
Nice, 22 Mai 2015

C’est un bel hommage que l’Opéra de Nice rend à Jacques Fromental-Halévy (mort à Nice le 17 mars 1862) en proposant son chef d’œuvre « La Juive » qui a été un des plus grands succès de l’Opéra de Paris à son époque. C’est une belle idée tout d’abord parce que ce compositeur n’est hélas que trop peu joué (qui connait ses autres ouvrages « Les Mousquetaires de la Reine » « Le Val d’Andorre » ou « La Tempesta » ?) mais surtout parce que cette partition est d’une grande beauté. Il paraitrait que les paroles de l’air du ténor à l’acte 4 (« …Rachel quand du Seigneur… ») auraient été écrites par Adolphe Nourrit, créateur du rôle. Il est difficile de le confirmer, mais ce qui est certain c’est que cet air reste le pilier de l’ouvrage et rares sont les chanteurs qui ne l’ont pas enregistré.  La difficulté d’une telle œuvre, ancrée dans une époque précise, réside dans l’art de la mettre en scène. Il est bien évidemment impossible de récréer l’action se situant en 1414 donc il faut l’adapter. Certains metteurs en scène l’ont fait avec intelligence, d’autres ont sombré dans la provocation et sont donc passés totalement à côté de l’ouvrage.  L’Opéra de Nice à confié les destinées scéniques à Gabriele Rech. Sa production rend justice à ce que l’on appelle communément « Le Grand Opéra Français ». Il n’est guère aisé actuellement de mettre en scène ce type d’ouvrage tout en respectant l’esprit qui s’en dégage. Pari réussi cette fois avec une actualisation intelligente de l’époque, sans trahir l’idée. L’oppression du peuple juif est mise en évidence et l’histoire d’amour entre Rachel et Samuel/Léopold n’est qu’un prétexte pour dénoncer cet état de fait. Le rôle de l’église, en la personne du Cardinal Brogni, est habilement souligné : Dieu est grand mais il a ses limites ! Saluons les beaux costumes mais surtout les jolis décors, notamment celui de la demeure d’Eléazar que l’on retrouvera consumée au dernier acte : une image très forte.    Vocalement nous avons affaire à un plateau de très grande qualité pour l’ensemble des interprètes. Honneur au rôle-titre, magnifiquement personnifié par la jeune soprano dramatique Cristina Pasaroiu. Elle s’investit à 100% dans ce rôle, qui pourrait paraître superficiel au premier abord (une banale histoire d’amour contrarié), mais qui révèle une blessure profonde qu’elle sait parfaitement exprimer à travers ses attitudes et son chant. Elle fait preuve d’une détermination, pour sa religion et pour son amour, qui la conduira jusqu’au sacrifice. Elle assure brillamment toute la partie vocale, oh combien difficile, alternant projections éclatantes et graves superbes : elle termine l’ouvrage en nous tirant les larmes.
Même investissement et même émotion pour celui qui incarne son père, le ténor français Luca Lombardo. Quel bonheur d’entendre aussi bien chanter français ! Tout y est : le phrasé, la clarté du timbre, la diction, l’intensité. Tout le monde l’attendait dans le très célèbre air de l’acte 4 « …Rachel quand du seigneur…«  et il y a été parfaitement émouvant. Voilà un artiste qui fait honneur au grand répertoire français et le défend avec tous ses moyens et de toute son âme : qu’il en soit remercié, surtout qu’il s’agissait d’une prise de rôle !  Autre grand interprète, parfaitement à l’aise dans ce répertoire, la basse italienne Roberto Scandiuzzi. Il s’impose d’emblée non seulement par son physique d’une grande noblesse, mais également grâce à l’autorité et à la beauté de son timbre. Une véritable et belle voix de basse possédant néanmoins un registre haut très étendu qui est très sollicité dans cette œuvre. Il ne se contente pas de chanter, il exprime tous les tourments de ce personnage – notamment au dernier acte – qui s’est réfugié dans la religion suite à un drame personnel. Il sera rattrapé cruellement et sa foi ne pourra pas soulager sa peine. Il nous livre une interprétation frôlant la perfection vocalement parlant, sans oublier de préciser qu’il possède une totale maitrise du chant français.   Le second rôle féminin est celui de la princesse Eudoxie interprété par Hélène Le Corre. Le timbre est agréable, avec néanmoins quelques aigus un peu stridents, mais le chant est facile et les vocalises bien en place.
Quelques légers accrocs, dans le chant comme dans la langue, pour le ténor autrichien Thomas Paul dans le rôle de Léopold. Néanmoins compte tenu de la difficulté de sa partition on peut lui pardonner parce qu’il a su nous offrir un chant très sincère et une belle prestation scénique. Il n’est pas facile de rendre sympathique ce personnage partagé entre son amour sincère pour Rachel et ses sentiments finissants pour Eudoxie. Il n’a pas le courage de dire la vérité, ni à l’une ni à l’autre, mais lorsque celle-ci éclatera au grand jour elle fera des dégâts irréversibles.   On ne peut que regretter la brièveté du rôle de Ruggerio qui nous frustre du beau timbre du baryton Jean-Luc Ballestra ; ses brèves apparitions ont été très remarquées et on a hâte de l’entendre plus longuement.  Bravo également à tous les autres chanteurs et aussi au chœur, qui ont contribués à porter ce spectacle au plus haut niveau.  Que serait un ouvrage lyrique sans directeur d’orchestre ? Rien ! On s’en rend vraiment compte lorsqu’on a la chance d’assister à une démonstration d’un tel niveau. Maître Frédéric Chaslin ne dirige pas un orchestre, il fait partie intégrante de l’orchestre. Il ne dirige pas une partition, on a l’impression qu’il vient de la composer. Il est rare d’entendre une œuvre aussi intelligemment restituée, et lorsque c’est le cas le bonheur est total. Pas de clinquant mais une réelle autorité, une belle nervosité mais aussi une grande souplesse, et une attention de chaque instant au plateau : merci Maître.  Un grand merci également à Marc Adam, Directeur de l’Opéra de Nice, pour avoir eu le courage de présenter une œuvre hélas trop rarement jouée, mais aussi pour avoir su choisir une distribution sachant la mettre en valeur. Photos Opéra de Nice ©