Opéra de Toulon: “Lakmé”

Opéra de Toulon – Saison 2014 / 2015
“LAKME”
Opéra en  3 actes, livret Edmond Gondinet et Philippe Gille
Musique Léo Delibes
Lakmé SABINE DEVIEILHE
Nilakantha MARC BARRARD
Gérald JEAN-FRANCOIS BORRAS
Frederick CRISTOPHE GAY
Mallika AURORE UGOLIN
Mistress Bentson CECILE GALOIS
Rose JENNIFER MICHEL
Ellen ELODIE KIMMEL
Hadji LOIC FELIX
Un marchand chinois DIDIER SICCARDI
Un Domben JEAN-YVES LANGE
Le Kouravar ANTOINNE ABELLO
Orchestre, choeur et ballet de l’Opéra de Toulon
Direction musicale Giuliano Carella
Mise en scène Lilo Baur
Corégraphie Olia Lidaki
Décors Caroline Ginet
Costumes Hanna Sjödin
Lumières Gilles Gentner
Toulon, le 12 octobre 2014

Pour l’ouverture de la saison 2014 / 2015, l’Opéra de Toulon avait choisi de programmer Lakmé, de Léo Delibes et certainement, c’était une excellente idée. En effet, en ce dimanche après-midi, l’Opéra de Toulon affichait complet. Tous les nostalgiques de l’opéra français s’étaient donné rendez-vous pour écouter cette musique ô combien délicate et si peu jouée. Pourtant, Léo Delibes qui avait commencé sa carrière de compositeur en écrivant des partitions pour des opérettes, puis de la musique pour ballets, toujours très appréciées, avait obtenu avec Lakmé un immense succès dès sa création en 1886 ; joué plus de 200 fois les premières années, cet opéra atteindra la 1 000e représentation à l’Opéra Comique quelques décennies plus tard. Lakmé est considéré comme l’un des fleurons de l’opéra français. L’exotisme était alors dans le goût de l’époque et Léo Delibes, s’inspirant d’un roman de Pierre loti et surtout de ” Souvenirs des mers de l’Inde ” de Théodore Pavie, cèdera, comme bien d’autres, à cette envie d’ailleurs, colorée et au parfum d’épices. Certains trouveront cet ouvrage un peu démodé, mais il n’en est rien, il suffit pour s’en convaincre d’écouter et de se laisser emporter par la musique savamment orchestrée, et les mélodies écrites sans faute de goût par un compositeur élégant et de grand talent.
Un casting de chanteurs français, avec une diction parfaite, nous a donné le plaisir de comprendre chaque parole d’un livret intelligent et bien écrit. Cette production déjà donnée en début d’année à l’Opéra Comique n’a rien de très original, assez épurée, elle a le mérite d’être d’une grande lisibilité. Quelques idées tout de même dans les décors pensés par Caroline Ginet, ainsi, sur la place du marché, un édifice fait d’ustensiles ménagers en fer ou en cuivre, de ceux que l’on trouve dans les cuisines indiennes, et qui, empilés, peuvent représenter une entrée de temple où évoluent trois danseuses. C’est aéré et bien imaginé, mais un peu délicat lorsque cette structure monte dans les cintres pour un changement à vue. Le dernier tableau est assez réussi aussi, un abri de lianes dans une forêt qui rend le duo Lakmé- Gérald poétique, avec en ombres chinoises, quelques couples se rendant à la source sacrée ou un défilé de soldats partant pour la guerre. Le décor du premier acte est sans doute celui qui nous laisse le plus septiques. Nous ne sommes pas ici dans la maison du brahmane Nilakantha mais dans son jardin, étrangement représenté. Lakmé et sa suivante Mallika font leurs dévotions sur une bute de terre, ni esthétique ni pratique car elle oblige les chanteurs à descendre la pente en courant de façon périlleuse ; c’est très minimaliste et peu représentatif. Les couleurs non plus ne sont pas très attractives, au marron de la terre s’oppose un vert en fond de scène, représentant sans doute une forêt de bambous. La mise en scène de Lilo Baur est tout à fait traditionnelle malgré un petit air ” kitch ” avec une Mistress Bentson arrivant à bicyclette. On aimerait peut-être un peu plus de mouvements de foule et de réalité dans la direction des acteurs, qui pourraient ainsi enlever le côté désuet de cette production. Mais, c’est le manque de couleurs dans les costumes conçus par Hanna Sjöndin qui procure le moins de plaisir visuel. Bien que teints dans des couleurs végétales, ils ne reflètent absolument pas l’ambiance que l’on trouve toujours en Inde, où les saris fluides et lumineux font ressortir la grâce et la féminité des femmes. Les costumes masculins, taillés dans des tissus écru sont aussi très ternes, et c’est assez dommage. Seules les robes des 3 anglaises ont été conçues avec un peu plus de recherche, mais aucune élégance non plus dans les uniformes des officiers anglais. Ce manque de couleurs est un peu contrebalancé par les lumières et les éclairages bien imaginés par Gilles Gentner, il réussit à donner du relief à certaines scènes avec un jaune éclatant ou par ces pastilles de couleurs mauves et jaunes projetées sur le sol. Une certaine recherche aussi avec les petites lumières votives ou les contre-jours du 3ème acte. Ceci dit, cette production est agréable à voir même si elle n’apporte rien de nouveau, et elle n’enlève surtout rien au plaisir procuré par la représentation de cet ouvrage.
Sur le plan vocal c’est une réussite : un plateau homogène avec des voix françaises. La jeune Sabine Devieilhe, déjà appréciée à Aix-en-Provence dans La Finta Giardiniera est ici Lakmé. Parfaite dans ce rôle tout à fait adapté à sa voix et à son physique, elle nous charme et nous transporte en Inde par la délicatesse et la magie de sa voix. De Lakmé elle a la sensibilité, la souplesse, la musicalité, les aigus et une technique qui lui permet d’atteindre les ” contre-mi ” avec facilité. Ses vocalises chantées avec agilité sont aériennes et son staccato délicat et épuré est chanté avec une voix cristalline. Elle joue avec intelligence, faisant ressortir le caractère féminin et sensible de son personnage. Sabine Devieilhe, aussi bien dans les duos que dans ses Airs, ainsi l’Air des clochettes tant attendu, est une Lakmé nouvelle génération qui va sûrement marquer le rôle de son empreinte. Aurore Ugolin, qui incarne ici sa suivante Mallika, a une voix de mezzo-soprano sensuelle et chaude qui s’adapte tout à fait à celle de Sabine Devieilhe pour nous faire écouter un ” duo des fleurs ” d’une justesse parfaite dans un style sans fausse note. Musicalité, respirations et vibrato se sont adaptés pour sembler ne chanter que d’une seule voix. Aurore Ugolin, déjà applaudie dans le rôle de Mercedes de Carmen sur cette même scène, évolue et chante avec beaucoup d’aisance. Cecile Galois, soprano,est une Mistress Bentson à la hauteur d’un plateau homogène ; aussi juste dans ce rôle que dans celui d’une Severia, ( Colomba joué à Marseille ), elle a de la présence et chante avec intelligence et musicalité. Elodie Kimmel, chante Ellen, d’une voix pure de soprano ; le timbre est agréable, la diction parfaite et elle joue avec pertinence. Jennifer Michel est une Rose tout aussi excellente, elle possède une voix de soprano claire et bien placée qui lui permet d’être à l’aise dans son jeu et de chanter avec justesse et sensibilité aussi bien seule que dans un quintette vocal tout à fait homogène. Les voix masculines sont idéales pour cet opéra. Jean-François Borras qui a fait ses débuts au Met en remplaçant Jonas Kaufmann dans Werther est un Gérald tout à fait convaincant qu’il interprète dans un style parfait. Ici, chaque voix est à sa place et aucune ne cherche à dépasser l’autre, c’est ce qui fait la réussite de ce spectacle. Jean-François Borras chante avec délicatesse et sensibilité avec une voix claire et homogène jusque dans les sauts d’intervalles. Ses aigus sont sûrs et ses demi-teintes sont chantées avec mesure dans le plus pur style des ténors français, sans exagération. Il fait les nuances avec souplesse gardant ainsi la légèreté de sa voix. Son Air ” Prendre le dessin d’un bijou “ est tout de délicatesse, mais chanté avec une voix qui résonne sans forcer. Les duos sont interprétés avec émotion dans un souci constant d’homogénéité. S’il semble un peu emprunté dans ce costume peu seyant, il est un Gérald remarqué et très applaudi. Marc Barrard est un très bon Nilakantha, sa voix profonde de baryton convient parfaitement à ce rôle qu’il chante et joue avec sobriété sans éclat de voix ou de colère intempestif. Avec un timbe chaud et une voix bien placée, il a du style et de la présence. Marc Barrard que nous avon souvent entendu, à l’Opéra de Marseille ou aux Chorégies d’Orange, est toujours bien dans ce qu’il chante, que ce soit dans des rôles amusants ( L’Italienne à Alger ) ou de composition ( Marius et Fanny , de Vladimir Cosma ). Il a une intelligence du chant qui lui permet de moduler sa voix tout en lui gardant sa rondeur. Il est un Nilakantha de belle allure. Christophe Gay, souvent entendu à Marseille ou ici, sur cette scène est un Frédérick à l’aise et en bonne forme vocale. Sa voix de baryton, bien placée, lui permet de faire ressortir ses phrases musicales avec une bonne projection et une belle diction. Investi dans son rôle, il fat ici une belle prestation. Loïc Félix, que nous avions trouvé truculent dans Orphée aux enfers à Marseille ou dans Scaramouche d’Ariane à Naxos la saison dernière à Toulon est un excellent Hadji bien que son rôle soit assez court. Très en place, il est à la hauteur d’une distribution remarquable jusque dans les petits rôles, chantés par Didier Siccardi, Jean-Yves Lange ou Antoine Abello, tous trois membres du choeur de l’Opéra de Toulon. Olia Likadi règle ici une jolie chorégraphie de charme et de délicatesse pour trois danseuses, qui s’intègre parfaitement à l’ouvrage. Le choeur très en place et souvent sollicité, fait aussi une prestation très remarquée, avec des attaques nettes et des voix homogènes qui lui permettent une grande souplesse dans les nuances. L’orchestre dirigé par son chef Giuliano Carella, que nous avions trouvé en nette progression depuis quelque temps, est au top de sa forme. Le chef italien a trouvé ici une direction qui lui permet de faire sonner l’orchestre sans jamais couvrir les voix, dans le style qui convient à cet ouvrage, avec finesse et sensibilité. Toujours à l’écoute des chanteurs, il dirige avec sobriété, sachant prendre les tempi justes, raisonnables même au début du 2ème acte, évitant ainsi les décalages éventuels. Le quatuor a trouvé une homogénéité de son qui rend certains passages très mélodieux avec de belles attaques sans dureté. On remarque une petite harmonie avec de jolis solos de hautbois et des musiciens à l’écoute du chef, lui laissant ainsi l’opportunité de faire des nuances et des ralentis avec souplesse. Le succès du plateau n’aurait pu être aussi complet sans le soutient constant d’un orchestre qui sait se faire discret tout en étant très présent, mais qui sait aussi prendre la parole avec éclat dans les phrases musicales ou le ballet. Un grand bravo au Maestro Giuliano Carella qui a su donner à cet ouvrage une force et une dimension musicale. Un moment hors du temps passé en compagnie d’une musique apaisante qui donne l’envie d’écouter d’autres ouvrages français un peu oubliés.