Orange, Chorégies 2016: “Madama Butterfly”

Orange, théâtre antique, saison 2016
MADAMA BUTTERFLY
Drame lyrique en trois actes, livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, d’après John Luther Long et David Belasco
Musique de Giacomo Puccini
Cio-Cio San ERMOLENA JAHO
Suzuki MARIE-NICOLE LEMIEUX
Kate Pinkerton VALENTINE LEMERCIER
Pinkerton BRYAN HYMEL
Sharpless  MARC BARRARD
Goro CARLO BOSI
Il Bonzo WOJTEK SMILEK
Il Pincipe Yamadori CHRISTOPHE GAY
Il Commissario imperiale PIERRE DOYEN
Orchestre Philharmonique de Radio France
Choeur de l’Opéra Grand Avignon, de l’Opéra de Nice, de l’Opéra de Toulon Provence-Méditerranée
Direction musicale Mikko Franck
Chefs de choeur  Aurore Marchand, Giulio Magnanini, Christophe Bernolin
Coordination des Choeurs   Emmanuel Trenque
Mise en scène Nadine Duffaut
Snénographie Emmanuelle Favre
Costumes Rosalie Varda
Eclairages Philippe Grosperrin
Orange,  Le 9 juillet 2016
Madama Butterfly, l’opéra de Giocomo Puccini était présenté ce soir aux Chorégies d’Orange. Et , si Jean-Louis Grinda remplace Raymond Duffaut, celui-ci ayant démissionné voici quelques mois du poste de Directeur qu’il occupait depuis 1981, c’est encore sa programmation qui nous est proposé cette année. Est-ce une gageure de présenter un opéra aussi intimiste, aussi dépouillé sur cette immense scène où le plein air, devant ces vertigineux gradins, fait s’envoler les voix aux quatre vents pour peu que le mistral s’en mêle ? Sans doute. Mais chaque programmation ou chaque représentation, n’est-elle pas une prise de risque ? Giacomo Puccini, tombé sous le charme de la pièce de David Belasco Madama Butterfly, elle même inspirée d’une nouvelle de John Luther Long, en achète les droits et croit détenir là matière à succès. Présenté en deux actes, sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, à La Scala de Milan, le 17 février 1904, l’opéra est un échec. Puccini se remet à l’ouvrage, coupe des mélodies, réorganise l’oeuvre en trois actes, fait si bien, que la nouvelle version donnée à Brescia le 28 mai 1904 est un succès qui perdure à ce jour. Madama Butterfly, ainsi que La Bohème, reste un opéra qui ne laisse pas indifférent et qui va jusqu’à tirer les larmes. Nadine Duffaut, comme pour la Bohème en 2014, signe la mise en scène. L’idée est de rester au plus près du texte, avec un grand soin du détail, trop  peut-être ? S’il est impératif de meubler la scène, présenter un groupe d’invités américains au mariage, avec officiers de marine en uniformes et dames en robes de cocktail colorées, nous paraît un peu simpliste et enlève le côté intime et japonisant de la cérémonie. Si la version proposée à Marseille au cours de la dernière saison mettait l’accent sur la pauvreté de Cio-Cio San et de sa famille, les kimonos de cérémonies font montre ici de beaucoup plus de richesse. Mais c’est surtout en deuxième partie que le décalage se fait le plus ressentir avec un mobilier plus colonial que japonais ; fauteuil club et cage à oiseau ne nous font pas entrer dans une maisonnette surplombant la mer où le manque d’argent se fait sentir. Certes, Cio-Cio San se veut Madame Pinkerton jusque sur la hauteur de ses talons, mais, tout de même, pourquoi l’affubler de cette  robe courte ridicule ? Cela ne serait rien, si cette idée n’enlevait un peu de l’intensité dramatique contenue dans le rôle. Visuellement, rien de laid bien au contraire, avec par exemple un paravent éclairé, laissant apparaître la silhouette de Cio-Cio San en ombre chinoise, c’est simplement un peu trop chargé. L’arrivée de Yamadori en chaise à porteur japonaise manque peut-être de majesté, mais sans doute est-ce le rythme un peu trop vif de chaque déplacement qui fait que l’émotion n’arrive pas à s’installer durablement. Au premier acte, la scénographie très esthétique d’Emmanuelle Favre est d’un bel effet. Des plateformes ou des plateaux légèrement surélevés ponctuent la scène, faisant apparaître des plans d’eau entre les passerelles. Trois  Torii ou portiques délimitent les abords de la maison où le mobilier change, mais ce joli décor trop vaste, n’arrive pas à concentrer l’attention sur les chanteurs. Il semblerait ici que tout soit fait pour distraire alors que le drame ne serait qu’accessoire. Joli moment visuel aussi, lorsque les lampions s’allument sur l’eau dans la nuit. Les lumières de Philippe Grosperrin sont également agréables, souvent dans les tons dorés ou bleutés la nuit, restant dans une harmonie de douceur. les costumes imaginés par Rosalie Varda sont assez inégaux, avec toutefois de très beaux kimonos colorés pour des invitées ou des geishas aux coiffures savantes. Cio-Cio San passe d’un superbe kimono blanc de mariage à une robe occidentale, courte et vaporeuse, lui donnant une allure primesautière. Le costume d’officier de marine de Pinkerton, qui hésite entre les couleurs beige et kaki, lui enlève toute prestance. Monsieur le consul serait lui plus à son avantage dans un costume marron trois pièces, Goro portant pantalon noir, chapeau melon et manteau de même couleur, flottant au vent.
Ermonela Jaho
, déjà appréciée à Marseille ou Toulon dans ” La traviata ” ou ” Anna Bolena “, est ici une Cio-Cio San de tout premier plan. Impeccable dans son investissement scénique, elle est parfaite vocalement. Sa voix agréable est ronde, avec un timbre chaleureux qui ne déborde jamais. Elle chante avec distinction, tendresse et sensibilité et pose ses notes avec délicatesse, nous faisant entendre de longues tenues piano et claires. Avec des respirations un peu précipitées, c’est sans doute dans son Air ” Un bel di, vedremo… ”  que nous la trouvons le moins à l’aise. Mais, à part cette légère baisse rectifiée très vite, Ermonela Jaho est une Cio-Cio San aux inflexions intenses dont les sentiments, qui percent au travers de sa voix, se ressentent dans chaque geste ; et quelle émotion alors qu’elle lit l’inscription gravée sur la lame du couteau : ” Con onor muore chi non puo serbar vita con onore ” . Marie-Nicole Lemieux a la voix grave et chaude de Suzuki et passe du timbre profond aux aigus puissants avec aisance. Comme dans ” Il trovatore ” alors qu’elle chantait Azucena, l’an dernier ici même, ses problèmes d’émission se remarquent. Il suffirait d’une meilleure diction avec plus de projection pour que ses graves résonnent avec plus de netteté. La mezzo-soprano française Valentine lemercier est Kate Pinkerton. Malgré un rôle plus que court, elle arrive toutefois, à donner une présence à ce personnage.
Pour la première fois aux Chorégies, le ténor Bryan Hymel prêtait sa voix à Pinkerton. Très peu aidé, et par son costume et par le travail d’acteur, il a du mal à s’imposer dans cet immense théâtre. Pourtant le timbre est clair, la voix est en place et juste et ses aigus sont faciles. Alors, pourquoi le public signale-t-il son mécontentement ? Pour nous, ce n’est en rien justifié. Certes, la voix n’est pas très large et rien n’est ici fait pour l’aider, surtout pas le chef qui ne s’inquiète pas plus des nuances que des chanteurs. Le public a-t-il sifflé Pinkerton, cet américain léger et inconséquent ? C’est possible, mais tout à fait déplacé, et la mise en scène qui le fait revenir sur scène au moment de la mort de Cio-Cio San n’est pas des plus heureuses. Nous retiendrons de lui ses aigus faciles et soutenus sur une belle longueur de souffle. Marc Barrard campe un Sharpless à la belle prestance. Un peu distant, à l’humanité un peu superficielle ? A l’aise, sa voix, aux graves un peu étouffés, passe bien jusque dans les aigus. Plus de présence donnerait sans doute plus de poids au rôle. N’étant pas dans l’émotion, Goro passe très bien. Carlo Bosi est cet entremetteur sans état d’âme, qui court après l’argent et la bonne affaire. Vocalement très bien, ce ténor italien, qui chante pour la première fois aux Chorégies, arrive sans forcer à se faire entendre grâce à une diction parfaite et une bonne projection. Courant par ci, profitant d’une geisha par là (ce qui n’est pas du meilleur effet), il est un Goro parfait. Peut-être l’aurions nous aimé un peu plus asiatique. Le Bonze de Wojtek Smilek est tout à fait dans la note, réussissant à effrayer toute la noce par sa voix grave. Nous remarquons aussi Christophe Gay et Pierre Doyen dans les rôles respectifs du Prince Yamadori et du commissaire impérial. Les Choeurs des opéras de Nice, Avignon et Toulon sont à féliciter, malgré un léger décalage vite rattrapé, dû sans doute à l’éloignement, alors que le choeur vient des coulisses ; le choeur bouches fermées est lui d’une grande intensité émotionnelle et sera grandement applaudi. Si le plateau est vocalement très homogène, la déception viendra du chef d’orchestre Mikko Franck qui dirige l’orchestre de Radio France (pourtant au top niveau, et qui fait montre, comme toujours, d’un bel équilibre avec des sonorités pleines et rondes ). Le choix des tempi tout d’abord, trop vite jusque dans le choeur bouches fermées, trop fort, sans trop de respirations, très loin de Puccini. Mikko Franck nous donne l’impression de diriger un enchaînement de symphonies ; et c’est fort dommage. Cette production de Madama Butterfly, sans être exceptionnelle n’en reste pas moins un beau spectacle dont on se souviendra avec plaisir en gardant de jolis tableaux au fond des yeux et des timbres de voix émouvants au fond du coeur. Photo Philippe Gromelle