Julien Dran et Jérôme Boutillier:”Freres”. Un nouveau duo vocal

Echange croisé pour la présentation de “FRERES”, un nouveau Duo de deux voix masculines, plutôt rare.
Souvent frères ennemis à la scène, les deux chanteurs Julien Dran, ténor, et Jérôme Boutillier, baryton, partagent une solide amitié dans la vie et une passion commune, la musique et la musique vocale en particulier. Ils profitent d’un moment de repos entre les répétitions de “La Traviata” où ils se retrouvent pour nous présenter ce nouveau Duo. Etrangement ils se sont connus pendant cette épouvantable période Covid. Contrats annulés, incertitudes, repos obligé, presque un vide sidéral. La production “Faust Nocturne” annulée les rapproche et ils se découvrent. Même âge, même envie de chanter, même culture musicale, jusqu’à cette envie d’évasion pour des balades à moto. Alors, pourquoi ne pas échanger sur scène et partager cet amour du chant ? Le choix est vaste et l’on peut piocher ici ou là suivant les époques et les compositeurs. Le temps de trouver un pianiste, le duo “Frères” était né.

Julien Dran nous dit combien il est enthousiasmé par ce projet :
Nos timbres de voix s’accordent. A Limoges, pendant cette horrible période où le “Faust Nocturne” est annulé, où les salles sont vides où chanter à huis clos est un pis-aller, nous imaginons ce duo. Martin Kubich, le directeur de l’Opéra de Vichy nous donne le feu vert pour une représentation filmée à huis clos. C’est un plaisir immédiat, un bol d’oxygène dans cet arrêt anxiogène dont je n’imaginais pas la fin.
– Je n’ai pas vécu cette période de façon aussi stressante nous dit Jérôme Boutillier. Un repos forcé, certes, mais avec des moments de réflexion puis, étant pianiste, j’ai eu le temps de perfectionner certaines choses, de continuer à chanter des Lieder en m’accompagnant. C’est vraiment un plaisir intense. Nous avons eu la chance de nous retrouver à Marseille en 2020 Julien et moi où Maurice Xiberras, le directeur de l’Opéra, avait maintenu une représentation des “Pêcheurs de perles” à huis clos toujours, mais en présence de quelques journalistes. Plaisir immédiat encore et confirmation de notre choix.
Amitié contrariée, rivalités mais très beaux duos dans cet opéra de Georges Bizet où nos voix s’unissent dans une même esthétique musicale. Julien Dran enchaîne :
Dans “La Traviata” c’est différent, les rapports entre père et fils sont assez violents, je reçois même une gifle à laquelle je ne peux répondre. Vous imaginez ! Mais notre amitié résiste même à cela et, quoiqu’il se passe sur scène nous nous retrouvons devant un verre…de thé (dit-il avec humour, regardant sa théière), avec cette envie de plaisanter et des blagues potaches.

Êtes-vous toujours d’accord sur le choix des morceaux ?
En principe oui nous dit Jérôme, nous connaissons bien nos voix, la nôtre et celle de l’autre. Notre programme peut évoluer tout en gardant une certaine cohérence mais en restant surtout dans nos possibilités vocales du moment. Nous nous interdisons les ouvrages trop lourds ; un air peut-être, mais avec modération…
Avez-vous des projets précis ?
Julien tient à préciser. Des envies nous en avons plein la tête. Il faut un certain temps pour se faire connaître, les directeurs de théâtres sont souvent frileux, surtout en ce moment où les restrictions budgétaires sont monnaie courante. Nous aimerions pouvoir chanter avec orchestre. Pour un chanteur, l’orchestre est un soutien, il donne du relief et même de l’ampleur à la voix. Il faut aussi que le public suive ; il est habitué aux récitals et, pour un certain public un peu rebuté par la longueur de certains opéras, l’écoute de ces airs connus est un moment de réel plaisir. Avez-vous remarqué combien sont prisés maintenant ces opéras donnés en version concert ? J’ai eu le plaisir d’interpréter ici même, en novembre 2022, le rôle de Leicester au côté de Karine Deshayes (Elisabetta d’Inghilterra, de Gioacchino Rossini). Le public réagit bien en immédiateté, concentré sur le chant et les voix, sans doute lassé de certaines mises en scène.
Le choix d’un pianiste a-t-il été évident ?
Les choix ne sont pas toujours évidents nous dit Jérôme mais là, notre duo s’est transformé en trio musical. Mathieu Pordoy excellent pianiste, chef de chant connaissant parfaitement les voix et les accompagnant avec un plaisir évident a tout de suite adhéré à notre projet et à cette nouvelle aventure, élaborant un programme en très peu de temps. Pas toujours évident. Chanter devant une salle vide est totalement mortifère. Ce sont des expériences que nous n’aimerions pas renouveler. Mais nous remercions vivement Martin Kubich qui nous a immédiatement fait confiance pour cette captation à Vichy en remplacement du “Faust Nocturne” musique de Lionel Ginoux sur un texte d’Olivier Py dans lequel nous devions chanter. Nous avions déjà répété et nous avons décidé avec Julien de passer du négatif de cette annulation au positif de ce projet enthousiasmant.

Est-il aisé techniquement d’enchaîner des rôles parfois très différents ?
Julien Dran nous répond immédiatement (sans doute est-ce moins évident pour un ténor) :
Au-delà de la technique il y a le côté émotionnel. Les sentiments changent et la voix doit aussi s’adapter à ces nouvelles émotions. Cela demande une certaine souplesse mais pas que, il faut aussi une réelle réactivité. Nous adaptons le programme en fonction nous dit Jérôme. Nous intercalons certains morceaux pour une voix, le temps de laisser redescendre la tension.
Avez-vous pensé à l’évolution des voix ?
Certes oui reprend Jérôme, nous sommes très attentifs aux morceaux programmés et nous pensons qu’en faisant très attention à l’évolution de nos carrières, à la technique, mais surtout à l’esthétique musicale que nous avons en commun, l’évolution se fera dans le bon sens.
Et avec cette amitié qui, malgré nos affrontements virils, laisse intact le plaisir de chanter enchaîne Julien avec un sourire malicieux et l’œil qui frise.
Difficile de concilier vos agendas ?
Nous faisons le maximum et comptons aussi sur les programmations qui pourraient nous réunir comme ici avec “La Traviata”. Les directeurs de théâtres y veilleront peut-être.
Alors unis ?
Unis ! Répondent-ils dans un bel unisson qui promet de beaux moments vocaux.