Opéra Municipal de Marseille: “Barbe-Bleue”

Marseille, Opéra municipal, saison 2019/2020
“BARBE-BLEUE”
Opéra-bouffe en 3 actes, livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy, inspiré du conte éponyme de Charles Perrault
Musique de Jacques Offenbach
Boulotte HELOÏSE MAS
Fleurette, Princesse Hermia JENNIFER COURCIER
Reine Clémentine CECILE GALOIS
Héloïse EMILIE BERNOU
Eléonore PASCALE BONNET-DUPEYRON
Isaure MARIANNE POBBIG
Rosalinde ELENA LE FUR
Blanche MELANIE AUDEFROY
Barbe-Bleue FLORIAN LACONI
Popolani GUILLAUME ANDRIEUX
Prince Saphir JEREMY DUFFAU
Comte Oscar FRANCIS DUDZIAK
Roi Bobèche ANTOINE NORMAND
Alvarez JEAN-MICHEL MUSCAT
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale Nader Abbassi
Chef de Choeur Emmanuel Trenque
Mise en scène et costumes Laurent Pelly
Décors Chantal Thomas
Lumières Joël Adam
Marseille, le 3 janvier 2020
Enfin des fêtes de fin d’année tout en gaité. Un grand merci à Maurice Xiberras directeur général de l’Opéra de Marseille pour cette programmation. Folle ambiance et rire assuré avec ce Barbe-Bleue. Il est vrai que Jacques Offenbach n’engendre pas la morosité et cette coproduction créée à l’Opéra National de Lyon en juin dernier est une réussite. Cet opéra-bouffe, peu joué et donné pour la première fois à l’Opéra de Marseille, a pourtant obtenu un vif succès dès sa création à Paris, au Théâtre des Variétés le 5 février 1866. Musique enlevée et très bien orchestrée sur un livret caustique mais hilarant du tandem Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Laurent Pelly signe cette production dans une époque transposée mais très bien venue. Gags et farces menés sur un rythme toujours soutenu et interprétés par des artistes enthousiastes qui entraînent le public jusqu’au galop final. Sommes-nous à notre époque dans la France profonde ? Un petit village d’agriculteurs tenus au courant des faits divers par la presse locale. Les décors de Chantal Thomas sont amusants et réalistes ; bottes de foin, tas de fumier nous font participer aux tâches quotidiennes des villageois et les pages projetées de grands journaux nous tiennent au courant des divers veuvages et mariages de Barbe-Bleue. On reste bucolique même si ce dernier arrive dans une longue jaguar noire avec chauffeur. Dans le palais du Roi Bobèche l’on retrouve le faste dû à un souverain : énormes lustres en cristal, tapis de la Savonnerie et mobilier Louis XV. Autre ambiance dans la cave de notre serial-killer où un laboratoire prend des airs de morgue avec compartiments réservés à chaque épouse défunte ou à venir. Si le conte de Charles Perrault est sanglant, il devient ici plus joyeux, imaginé pour faire rire, et l’on rit de bon coeur. Laurent Pelly signe aussi les costumes. Fermières, paysans, bergère habillés avec fantaisie sans exagération, puis robes de cocktail ou de mariée dans la plus pure tradition. Les clins d’oeil ne manquent pas. Courtisans en costumes sombres téléphones portables greffés à leurs mains courbant l’échine… Les lumières de Joël Adam animent avec justesse les différentes scènes ; petit jour pour un réveil matinal, éclairs illuminant l’orage ou palais étincelant de mille feux. Laurent Pelly a fait un travail admirable, réglant chaque geste, chaque mimique, ne laissant rien au hasard et menant toute la troupe dans une course rythmée par la musique. Mais si tout est parfaitement réglé, il faut aussi applaudir l’homogénéité du plateau, des premiers rôles au moindre figurant. Commençons par Barbe-Bleue, et un Florian Laconi étonnant. C’est pour nous une révélation. Il s’amuse et nous amuse avec un professionnalisme époustouflant. Loin des rôles souvent statiques d’opéras, il investit la scène, bouge, danse, pleure avec facilité et naturel. C’est un veuf joyeux, il le dit et il l’assume. Vocalement très en forme, il lance ses aigus chaleureux et tenus et chante avec musicalité les phrases plus sentimentales. Un immense bravo pour cette interprétation. Epoustouflante aussi de gouaille et d’entrain, la Boulotte d’Héloïse Mas. Quel jeu et quelle voix ! Une voix puissante et homogène qui laisse éclater les aigus et résonner des graves chaleureux. Avec une belle conduite de chant et une excellente diction, Héloïse Mas laisse libre cours à un jeu débridé sans exagération. Amusante, gaie, naïve ou délurée, mais solide, elle joue, chante et donne du rythme à son personnage tout en apportant un certain lyrisme à sa voix. Superbe, et quel abattage ! La jeune Jennifer Courcier est aussi bien bergère que princesse. Voix fraîche, juste, au soprano délicat. Elle est une Fleurette naïve et une Princesse Hermia volontaire donnant relief et éclat à son rôle face à son amoureux le Prince Saphir raide et emprunté interprété par un Jérémy Duffau à la voix de ténor percutante et au jeu pertinent. Plus sérieuse est la Reine Clémentine de Cécile Galois ; voix ronde et diction parfaite pour un jeu juste et bien réglé qui affronte un Roi Bobèche tyrannique à souhait ; ici Antoine Normand. Drôle dans son envie de s’imposer en véritable monarque, jeu juste et plein d’à-propos, donnant libre cours à ses colères. Guillaume Andrieux est ici Popolani, l’alchimiste de Barbe-Bleue. Rôle de composition sur mesure. Aussi bien vocalement que scéniquement, il donne du poids à son personnage avec rythme et talent. Le Comte Oscar est un autre rôle  assuré avec talent par Francis Dudziak  qui sait doser son personnage et rendre avec justesse son ambiguïté. Gestes précis, allure altière et diction parfaite. On retrouve avec plaisir les cinq femmes de Barbe-Bleue qui ont échappé à sa folie meurtrière grâce au coeur tendre de Popolani. Belles et voix agréables, on apprécie Emilie Bernou (Héloïse), Pascale Bonnet-Dupeyron (Eleonore), Mariane Pobbig (Isaure), Elena Le Fur (Rosalinde) et Mélanie Audefroy (Blanche), pour un quintette musical et sexy. Nader Abbassy menait plateau et orchestre de baguette de maître. Rythme soutenu de la première à la dernière note, contrastes des nuances, compréhension de la partition, soutien des chanteurs et ponctuation des gags dans une direction intelligente et assurée. Les musiciens aiment jouer sous sa baguette, cela se sent et cela s’entend. L’orchestre, par ses sonorités et ses nuances, semble lui aussi faire partie de la mise en scène tant tout est millimétré avec le plateau. Laurent Pelly qui aime les pièces d’Hoffenbach qu’il a souvent mises en scène comprend toutes les nuances et l’humour contenus dans ses partitions ; c’est donc avec maestria qu’il a construit cette production, suivi par un chef d’orchestre et un plateau de rêve. Une réussite et un moment mémorable. Photo Christian Dresse