Opéra de Toulon:”Ariane à Naxos”

Opéra de Toulon, Saison 2013/2014
“ARIANE À NAXOS”
Opéra en un prologue et un acte sur un livret d’Hugo von Hofmannstahl
Musique de Richard Strauss
Primadonna /Ariane  JENNIFER CHECK
Zerbinette  JULIA NOVIKOVA
Le Compositeur CHRISTINA CARVIN
Naïade LÉONIE RENAUD
Dryade CHARLOTTE LABAKI
Echo MARION GRANGE
Bacchus KOR-JAN DUSSELJEE
Truffaldino PIERRE BESSIÈRE
Arlequin / Le Maître de musique CHARLES RICE
Le Maître à danser / Brighella CYRILLE DUBOIS
Scaramouche LOÏC FÉLIX
Un Laquais FABIEN LERICHE
Le perruquier  JACQUES CALATAYUD
Le Majordome MARTIN TURBA
Un officier BENJAMIN-EDOUARD SAVOIE
Orchestre de l’Opéra de Toulon
Direction musicale Rani Calderon
Mise en scène  Mireille Larroche
Décors Nicolas de Lajartre
Costumes Danièle Barraud
Lumières Jean-Yves Courcoux
Toulon, 16 mars 2014 
Il est assez rare de voir des spectacles où tout est très bien du début à la fin, sans aucune fausse note ; et le fait est encore plus rare lorsque le spectacle a lieu dans une petite ville de province. C’est pourtant ce à quoi nous avons assisté ce dimanche après-midi à l’Opéra de Toulon, avec cette représentation d’Ariane à Naxos.
Cet opéra composé par Richard Strauss entre 1911 et 1912, se situe entre l’opéra Seria et l’opéra Buffa ; il est souvent présenté de façon assez embrouillée, difficile à comprendre si l’on ne connaît pas le livret. Mais ici, tout est clair. Ces deux pièces jouées dans la pièce sont tout à fait compréhensibles.
Prenant pour modèle Charles et Marie-Laure de Noailles, riche couple de mécènes du début du XXème siècle, le metteur en scène Mireille Larroche, situe l’action de la pièce dans le décor de la Villa Noailles, la maison qu’ils ont fait construire à Hyères, et où ils reçoivent les plus grands artistes que connaît cette époque.
C’est donc dans cet univers de culture et de fêtes, que se déroule la représentation à laquelle nous sommes conviés.
Dans un décor unique mais mobile, nous sommes à l’intérieur de cette maison moderne et cossue au début de l’acte, et à l’extérieur un peu plus tard, lorsque nous assistons à la représentation donnée par un riche viennois pour divertir ses amis. Un escalier intérieur permet d’évoluer et d’utiliser le premier étage pour les loges des artistes.
Sans être dépouillée, la scène n’est pas non plus surchargée, bien que le décor la rétrécisse un peu, donnant une atmosphère d’intimité où les sentiments peuvent s’exprimer, sans obliger les acteurs à surjouer. Scéniquement ceux-ci sont parfaits, n’appuyant pas exagérément sur le côté bouffe ou tragédie antique.
Le résultat est juste et fluide, sans aucun temps mort.
Le rôle du Compositeur, est écrit pour une soprano, et c’est ici Christina Carvin qui le chante. Svelte et à l’aise dans un costume blanc, reflet de la mode masculine des années 20, elle est tout à fait crédible dans sa façon d’évoluer et de nous faire ressentir ses émotions. Nerveux tout d’abord et agacé par la tournure que prennent les évènements, on  voit le Compositeur changer peu à peu au contact de Zerbinette, qui finira par le séduire définitivement.
Vocalement, il n’y a aucune contradiction avec le personnage. La voix est bien placée, avec des aigus éclatants et assurés. Elle fait montre de beaucoup de musicalité par des nuances sensibles et un vibrato agréable. Très investie dans son rôle, elle est vive et met avec bonheur sa voix au service du personnage, faisant ressortir ses graves aux inflexions dramatiques.
Julia Novikova, joue Zerbinette avec charme et fraîcheur, mêlant impertinence et gaîté tout au long de l’ouvrage.
Très à l’aise dans un costume court de Colombine seyant et coloré, elle module sa voix suivant ce qu’elle chante tout en gardant un timbre mélodieux, opposant sa frivolité au sérieux du Compositeur. Sa bonne diction donne du rythme à tout ce qu’elle chante et sa voix flexible s’accorde avec la sonorité de chaque instrument soliste. Elle prend ses notes avec délicatesse, et l’on comprend tout à fait pourquoi le Compositeur est si vite séduit pendant leur duo, un duo de charme et de musicalité. Son Air “Grossmächtige Prinzessin ” d’une grande virtuosité vocale, est un feu d’artifice.
Richard Strauss a écrit les trois rôles féminins principaux pour trois sopranos, mais les timbres et les interprétations sont différents ; la troisième soprano est Jennifer Check qui interprète Ariane. Elle chante avec beaucoup de mesure et de justesse ce rôle empreint de mélancolie. Sa voix belle et profonde possède un timbre chaud qu’elle utilise avec beaucoup d’intelligence, faisant ressortir ses graves sans trop les appuyer. A la fin de l’ouvrage, se réveillant à l’amour, sa voix prendra plus de force tout en gardant son joli vibrato pour de belles notes tenues.
Les trois Nymphes, Naïade, Echo et Dryade, deux sopranos et une mezzo, respectivement chantées par Léonie Renaud, Marion Grange et Charlotte Labaki, ont toutes trois des voix qui s’accordent, mais que l’on distingue aussi clairement lorsqu’elles chantent les trios ; ils sont interprétés avec musicalité et tendresse dans une sorte de berceuse, ou avec plus de force et de virtuosité, pour annoncer l’arrivée de Bacchus. C’est Charles Rice, qui est le Maître de musique. Sa voix de baryton est sonore, ronde et bien placée, il évolue bien et donne vie à son personnage ainsi qu’à celui d’Arlequin qu’il interprète avec justesse.
Le rôle de Bacchus, est tenu ici par le ténor Kor-Jan Dusseljee, dont la voix claire est tout à fait adaptée à la musique de Richard Stauss. Ce jeune dieu qui arrive en vainqueur pour sauver Ariane de sa mélancolie a la voix qui convient : puissante, percutante tout en restant timbrée ; c’est la voix d’un héros qui, malgré un costume peu seyant, séduit Ariane au premier regard. Tout en ayant des rôles assez courts, les autres chanteurs sont à la hauteur de la distribution, rendant ce spectacle très homogène.
Cyrille Dubois, ténor, est un Maître à danser amusant, Loïc Félix, ténor, apprécié cet hiver à Marseille dans Orphée aux Enfers, est ici Scaramouche, Pierre Bessière, fait entendre sa voix grave de basse en chantant Truffaldino, et Charles Rice, déjà cité, est Arlequin. Ces quatre joyeux drilles qui semblent tout droit sortis de la Commedia dell’arte, s’unissent pour nous donner un divertissement de bon goût.
Le reste de la distribution est dans le style voulu par le metteur en scène, mi guindé, mi ébouriffé. Le Majordome, interprété par Martin Turba, dans son rôle sérieux et parlé met un peu d’ordre dans ce désordre. Un contraste se fait sentir entre Jacques Calatayud, le perruquier un rien extravagant et Benjamin-Edouard Savoie, un officier Nazi, qui nous fait prendre conscience que la vie faite de plaisirs va bientôt prendre fin. Bonne prestation aussi de la basse Fabien Leriche, qui incarne un Laquais.
Dans cette partition qui n’a pas grand-chose à voir avec la tension que l’on éprouve dans Salomé, ou la rudesse qui imprègne Elektra, Richard Strauss laisse aller son génie librement. Son écriture, pourtant moderne, sert les voix à merveille. Même dans les tessitures très tendues, les chanteurs ne sont jamais mis en difficulté et peuvent donner librement le meilleur de leurs voix. La partie orchestrale bien qu’utilisant des cuivres, est traitée comme de la musique de chambre avec des instruments jouant souvent  des parties solistes, ce qui donne beaucoup de légèreté à l’ouvrage et permet aux chanteurs de passer la rampe sans forcer.
L’orchestre est ici au mieux de sa forme, d’une grande justesse et d’une belle homogénéité de son, jouant avec style et légèreté valses et musique de comédie. Il faut dire que le jeune chef Rani Calderon, dirige avec aisance et fermeté un orchestre bien préparé, donnant du souffle et du rythme, tout en faisant ressortir les riches couleurs de la musique si particulière de Richard Strauss. Sa direction énergique mais large nous donne à entendre des attaques précises, sans dureté, qui privilégient la qualité du son. Toute la régie a fait un travail d’équipe remarquable dans ce spectacle unanimement apprécié par un public nombreux, tout étonné pour certains d’avoir goûté avec tant de plaisir une musique réputée pour être difficile. Un grand bravo à tous les artistes. Photos © Frédéric Stéphan