Marseille, Opèra Municapal: “Moïse et Pharaon”

Marseille, Opéra Municipal, Saison 2014 / 2015
” MOÏSE ET PHARAON “
Opéra en quatre actes livret de Luigi Balocchi et Etienne de Jouy
Musique  Gioacchino Rossini
Anaïde   ANNICK MASSIS
Sinaide  SONIA GANASSI
Marie    LUCIE ROCHE
Moïse   ILDAR ABDRAZAKOV
Pharaon  JEAN-FRANÇOIS  LAPOINTE
Aménophis  PHILIPPE TALBOT
Eliézer   JULIEN DRAN
Osiride / une voix mystérieuse  NICOLAS CORJAL
Aufide   RÉMY MATHIEU
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Direction musicale  Paolo Arrivabeni
Chef du choeur Pierre Iodice
Version concertante
Marseille le 8 novembre
En cette soirée du 8 novembre, l’opéra de Gioacchino Rossini  ” Moïse et Pharaon “ était donné pour la première fois depuis sa création sur la scène marseillaise et le public était venu nombreux écouter cet oeuvre assez peu représentée. Une grande première donc. Rossini avait déjà proposé, sur un livret d’Andrea Leone Trottola, un ”  Mosè in Egitto “ créé au San Carlo de Naples en mars 1818, dans ce style rossinien qui mettait en valeur la virtuosité ornementale. A son installation à Paris, le compositeur remanie son opéra pour en donner une version française ; ce sera ”  Moïse et Pharaon ou Le passage de la mer rouge ” sur un livret de Luigi Ballocchi et Etienne de Jouy. L’Egypte était à la mode en France à cette époque et la campagne menée par Napoléon au pays des pyramides n’était pas très lointaine. Gioacchino Rossini reprend donc cet opera seria pour l’adapter à un texte écrit en français et en vers ; certaines ornementations et vocalises, s’accordant mal avec la langue française, sont gommées au profit de plus de lignes mélodiques, puis il ajoute un premier acte pour une exposition de l’action, change les noms de certains personnages et compose un ballet sans lequel aucun opéra ne pouvait être joué à Paris. Le succès est immense et immédiat lors de la création à l’Académie Royale de Musique le 26 mars 1827. La Prière de Moïse de l’acte IV est si sensible et si pleine d’émotion, qu’elle accompagnera le compositeur à la Cathédrale Santa Croce de Florence en 1887, lors de son retour en Italie, 20 ans après sa mort. Depuis Roberto Devereux ou La Straniera, le public marseillais a pris l’habitude d’écouter certains ouvrages du bel canto en version concertante, et si l’on regrette pour ce récit biblique quelques beaux effets sur scène, le passage de la mer rouge par exemple, on peut tout à loisir se concentrer sur la musique et la beauté du chant. Certes, l’opéra est un tout, mais lorsque l’on songe à certaines mises en scène, l’on peut se dire que peut-être, on a échappé au pire côté visuel. Toujours est-il, que si la musique de Rossini est toujours éblouissante, elle est servie ici par un plateau de tout premier ordre. Chef, chanteurs, choeur et orchestre auront contribué à nous faire passer trois heures de bonheur musical, et le malaise même d’une flûtiste remplacée très rapidement, n’a pu distraire les artistes d’une partition au demeurant difficile. Mis à part Sonia Ganassi et Ildar Abdrazakov, dont la prononciation est irréprochable, tous les chanteurs sont francophones,  cela s’entend dans le phrasé et les respirations même. La langue française a cela de difficile, qu’elle oblige les chanteurs à changer la position de leur voix, avec certaines voyelles difficiles à placer, mais Rossini, connaissant ces difficultés a su les prendre en compte pour faciliter le chant, et le rendre aussi plus mélodieux. Annick Massis, reconnue par la presse internationale comme l’une des plus grandes sopranos françaises, interprète ici le rôle d’Anaïde. Elle est aussi à l’aise dans la musique sacrée que dans les rôles de coloratures et l’on se souvient encore de la Comtesse Adèle du Comte Ory, rôle qu’elle interprétait à Marseille en 2012 aux côtés de Jean-François Lapointe d’une voix aérienne, avec charme, grâce et musicalité. Toujours aussi professionnelle et charmante, elle trouve dans la voix les inflexions qui font ressortir ses doutes et ses angoisses face au choix cornélien qui s’impose à elle. Sans recours à la mise en scène, elle assume ce rôle écrasant, lançant vocalises et ” contre ut ” avec aisance et détermination dans un style parfait. La voix garde le velouté et les vibrations naturelles malgré l’étendue du registre, sollicitée dans cet ouvrage. Chaque syllabe prononcée avec délicatesse résonne jusque dans les demi-teintes et l’interprétation acrobatique de son Air Je l’aimais, soulève les bravos. Une interprétation de haut niveau, aussi bien techniquement que vocalement. Deux Airs ont suffi à Sonia Ganassi pour récolter une brassée de Brava. Cette mezzo-soprano italienne, qui a déjà partagé l’affiche avec Ildar Abdrzakov dans cet ouvrage, sous la direction de Riccardo Muti, possède pleinement ce rôle. Déjà applaudie à l’Opéra de Marseille en 2013, dans le rôle d’Amnéris d’Aïda, elle s’impose ici avec une voix d’une grande justesse dans le phrasé et l’expression. Ses vocalises sont précises et de toute beauté, gardant une grande agilité des aigus aux graves. Puissance et musicalité se font entendre dans le duo avec Aménophis, du II ème acte chanté dans un même phrasé, aussi bien que dans son Air, qui laisse percer l’émotion dans la prière ” Ah, d’une tendre mère.. “ . La jeune mezzo marseillaise Lucie Roche, déjà appréciée sur cette scène donne ici une interprétation de Marie remarquable de musicalité et de sobriété. Dotée d’une voix claire au timbre intéressant, elle arrive à s’imposer et à faire entendre un joli mezzo-soprano chaleureux aux belles vibrations. Ildar Abdrazakov est l’incarnation de Moïse. Il en possède l’autorité, la présence et la prestance ; mais au delà du physique, il a cette voix de basse qui convient tout à fait au rôle. En plus d’une projection et d’une prononciation sans failles, il conserve la couleur dramatique de sa voix jusque dans les notes les plus graves, tout en faisant résonner les harmoniques avec une longueur de souffle magistrale, et l’on ne peut qu’applaudir la musicalité et la sensibilité contenues dans la ” prière ” du IV ème acte. Ildar Abdrazakov, est une basse aux aigus riches et sonores. C’est Philippe Talbot qui interprète le bouillant Aménophis. Ce jeune ténor français, que nous avions déjà apprécié dans le rôle titre d’Orphée aux enfers en décembre dernier à l’Opéra de Marseille, n’a rien perdu de sa brillance et de sa vaillance vocale qui le mènent avec assurance jusqu’au contre ré. Si la voix paraît un peu nasale dans les forte, elle sait se faire plus musicale dans les piani ou les demi-teintes pour s’accorder avec Anaïde ou Sinaide dans des duos de charme. Apprécié pour sa technique vocale et son engagement, il est aussi applaudi pour son interprétation qui sait faire ressortir la lumière de sa voix. Jean-François Lapointe est un Pharaon de tout premier ordre. Habitué maintenant de la scène marseillaise, il interprète avec aisance les rôles écrits par Rossini et l’on se souvient encore, de son Rimbaud du Comte Ory, joué avec truculence aux côtés d’Annick Massis. Si on le trouve un peu en retrait, sans doute est-ce dû à l’interprétation de ce personnage indécis. Vocalement, Jean-François Lapointe impose sa voix de baryton avec mesure, efficacité, et justesse d’interprétation. Ce chanteur québécois n’est nullement gêné par la langue française, ce qui lui permet de chanter avec aisance et musicalité dans un phrasé au legato parfait. Parfait aussi est son style qui lui permet de rentrer dans la vision des autres personnages nous donnant à entendre un beau duo de voix graves avec Moïse . Sa voix se joue des délicates vocalises, tout en gardant une homogénéité et une belle rondeur de son. Aux côtés de ces grandes pointures, Julien Dran, dans le rôle d‘Eliézer ne démérite pas. Ce jeune chanteur français, fils et petit fils d’artistes lyriques semble promu à une belle carrière. Son interprétation d’Eliézer est brillante ; sa voix sûre alliée à un style impeccable lui permet de chanter avec fluidité d’une voix maîtrisée. A l’aise dans son Air, il assure ses aigus et se fait entendre dans les ensembles. Cette prestation juste, lui ouvrira certainement les portes de nombreuses scènes d’opéras. Nicolas Courjal est Osiride et Une voix mystérieuse. Doté d’une voix grave et sonore, il interprète avec assurance ces deux rôles assez courts. S’il chante avec musicalité, nous trouvons, comme lors de son interprétation du rôle titre du Roi d’Ys donné à Marseille en mai 2014, qu’il force un peu trop dans les forte, il n’en a pourtant pas besoin. C’est dommage car dans les phrases piano, la voix s’assouplit et la musicalité ressort. Il fait néanmoins une belle prestation avec une voix au timbre chaud. Le jeune Rémy Mathieu, chante Aufide d’une voix de ténor très agréable et se fait remarquer pour sa première invitation à l’Opéra de Marseille. Sa voix claire et percutante a su séduire malgré un rôle très court. Il a déjà un très joli style et beaucoup d’assurance, nous espérons l’écouter bientôt dans un rôle plus important. On ne peut pas parler des chanteurs sans s’attarder un moment sur la prestation du choeur remarquablement préparé par Pierre Iodice. Un choeur puissant, sonore, dont les attaques nettes et précises passent au-dessus de l’orchestre ; la projection et la diction sont si parfaites qu’elles rendent inutile le surtitrage. Le choeur qui représente le peuple hébreux est un personnage à part entière et doit être grandement félicité pour l’homogénéité des voix, l’investissement et la recherche dans les nuances. Un immense bravo pour Maître Paolo Arrivabeni, grand coordinateur de cette épopée musicale. On est conscient du travail fourni pour arriver à un tel niveau d’homogénéité et de musicalité. Soutenant les chanteurs, il dirige l’orchestre d’une main de maître avec beaucoup d’élégance, lui insufflant nuances, sonorités et respirations. Le moelleux des cordes, les teintes chaudes des cuivres et la délicatesse de la petite harmonie avec les très jolis solos de la flûte, de la clarinette et du hautbois qui reprennent les sonorités des chanteurs font de beaux moments de musicalité. On remarque aussi les longues phrases musicales comme dans la prière de Moïse, ou le staccato plus rythmé du passage de la mer rouge. Si le ballet est coupé, le dernier cantique l’est aussi et c’est sur les notes piano jouées à l’orchestre que se termine l’ouvrage. Maître Paolo Arrivabeni a su tenir en haleine les chanteurs, l’orchestre mais aussi le public, lui faisant oublier le manque de mise en scène. Un ouvrage que l’on a eu plaisir à découvrir, et que l’on écoutera encore avec un grand plaisir. Il y aura une retransmission ultérieurement sur Fance 3. Photo Christian Dresse