Opéra de Toulon: “Simon Boccanegra”

Toulon, Opéra, saison 2014 / 2015
“SIMON BOCCANEGRA”
Mélodrame en un prologue et trois actes, livret d’Arrigo Boïto, d’après la pièce d’Antonio Garcia Gutiérrez
Musique de Giuseppe Verdi
Simon Boccanegra DARIO SOLARI
Jacopo Fiesco WOJTEK SMILEK
Amelia CELLIA COSTEA
Gabriele Adorno HECTOR SANDOVAL
Paolo Albiani ANDRE HEYBOER
Pietro FEDERICO BENETTI
Ancella ELISABETH LANGE
Le capitaine JEAN-YVES LANGE
Orchestre et Choeur de l’Opéra de Toulon
Direction musicale Giuliano Carella
Mise en scène Gilles Bouillon
Dramaturgie Bernard Pico
Scénographie Nathalie Holt
Costumes Marc Anselmi
Lumières Michel Theuil
Toulon, le 17 mai 2015
Pour le dernier ouvrage de la saison 2014 / 2015, l’Opéra de Toulon avait choisi de représenter ” Simon Boccanegra “. Cet opéra de Giuseppe Verdi, assez peu joué et moins connu du grand public contient pourtant tous les ingrédients d’un grand Verdi : Tension dramatique, rôles charismatiques, intrigues, avec une très belle écriture pour les voix soutenues par une orchestration fouillée où éclats et nuances se succèdent. Créé en 1857 au théâtre de La Fenice, sur un livret écrit par Maria Piave, d’après une pièce d’Antonio Garcia Gutiérrez, cet opéra n’obtiendra aucun succès. Bien des années après cet échec, Giuseppe Verdi remaniera cet ouvrage avec un livret revu par Arrigo Boïto ; c’est cette deuxième version qui sera ainsi représentée dès sa création à Milan au Théâtre de La Scala en mars 1881. Comme Otello à Venise, Simon Boccanegra règne sur la mer, à Gênes, et veut faire de cette ville une grande puissance maritime avec l’idée, déjà, d’une unité italienne. Ce thème cher au compositeur prendra une grande importance dans cet opéra avec la lutte des clans (patriciens contre plébéiens) que Simon Boccanegra, alors Doge de Gênes, cherche à pacifier. Mais au delà des intrigues politiques, se greffe une histoire sentimentale sur fond d’enlèvement qui fait penser au ” Trouvère ” du même Verdi. Evidemment l’histoire est compliquée, mais ici, seuls comptent la personnalité des personnages, la beauté du chant et l’éclat de la musique. Pour qu’un tel ouvrage atteigne véritablement son but, il faut un excellent chef, d’excellents chanteurs, mais pas seulement. On oublie bien trop souvent l’impact d’une mise en scène réussie ou pas. Car, au-delà du visuel que l’on peut occulter en fermant les yeux, toute mise en scène fait partie intégrante du jeu et aussi de l’émission des voix des chanteurs. Qui réalise vraiment combien sont porteurs les gestes, les déplacements et mêmes les costumes pour un chanteur d’opéra ? Pas grand monde en réalité. Avons-nous ici tous les atouts pour faire de ce Simon Boccanegra une représentation qui marquera les esprits ? Un excellent chef certes, nous l’avons, car le Maestro Giuliano Carella nous démontre une fois encore combien il connaît ce compositeur et comment il arrive à tenir orchestre et plateau d’une baguette précise, donnant chaque départ dans un grand respect de l’expression et du style verdiens. Les chanteurs, dont les qualités de chacun sont à remarquer font souvent preuve d’inégalités qui pourraient être corrigées par une mise en scène plus présente. En effet, celle-ci signée par Gilles Bouillon, loin d’être révolutionnaire ou inappropriée comme certaines, respecte le texte, mais manque du faste et de cette grandeur que l’on pourrait associer à cette République en plein essor, et qui donneraient plus de caractère aux personnages qui semblent ici livrés à eux-mêmes, sans véritable direction d’acteurs. C’est dommage. Peu de décors, sinon rien, quelques évocations du texte simplistes, telle cette tête de sanglier portée en trophée lors d’un retour de chasse, ou cette galère génoise miniature, ou alors ce défilé de veuves éplorées, toutes de noir vêtues, nous montrant les photos des personnes disparues sous l’oppression d’un Simon Boccanegra dictateur, comme en Amérique du sud. Tout est sombre, et les lumières de Michel Theuil sont pratiquement inexistantes. Seul un joli tableau bien que dépouillé, avec ces drapeaux qui tourbillonnent ou ces porte-flambeaux éclairant la scène et qui apportent une note d’élégance. Les costumes conçus par Marc Anselmi n’ont rien qui puisse mettre en valeur le dispositif scénique et, mis à part peut-être les longs manteaux soyeux de Simon Boccanegra ou les robes longues d’Amelia, ils ne sont en rien seyants. Les tissus ternes dans lesquels ils sont coupés semblent tout droit sortis d’un surplus de prison. Dario Solari dans le rôle titre, pourrait-être plus remarquable et s’imposer avec plus de vigueur et d’énergie aussi bien vocalement que scéniquement. Si sa voix possède une jolie couleur et un medium puissant et agréable, elle pèche par des aigus top courts et un peu étouffés. Le timbre s’arrondit et le phrasé devient plus souple dans le duo avec Amelia, faisant oublier un ” figlia ” peu assuré. Face au baryton, la voix grave de la basse Wojtek Smilek qui est ici Jacopo Fiesco. Sa haute stature pourrait lui permettre plus de présence, mais il manque de flamme malgré des notes graves qui s’imposent. Sa voix au timbre sombre gagnerait en ampleur avec plus de projection. Si son jeu manque d’assurance, sa voix s’affirme dans l’Air du dernier acte avec des aigus plus percutants, pour un duo avec Simon Boccanegra, sommet dramatique et musicale de l’opéra. Hector Sandoval, qui est ici Gabriele Adorno, est un ténor vaillant qui comme dans ” Le Trouvère ” se fait entendre depuis les coulisses sur un solo de harpe. Peu avantagé par un costume quelconque et des gestes convenus, il manque d’allure. Sa voix puissante nous fait entendre des aigus percutants et agréables. Ayant des possibilités vocales certaines, sa voix gagnerait en homogénéité avec plus de contrôle du phrasé et de la ligne de chant. André Heyboer, avec une voix de baryton bien placée, arrive à faire de paolo Albiani, un rôle de premier plan. Avec un jeu et une présence appropriés, il est ce traître qui cherche la vengeance. Sa bonne diction rend ses aigus percutants tout en gardant sa couleur sombre. C’est une prestation égale en tous points que l’on remarque avec plaisir. Dans cet opéra presque totalement masculin, une seule voix de femme, une soprano lyrique doit s’imposer face à ce quatuor de poids. Si l’Amelia de Cellia Costea a du mal à trouver ses marques dans le premier acte, sa voix sonnant dure inégale et sans grande conduite, elle est, dès le deuxième acte une Amelia qui prend toute sa dimension, avec des aigus assurés, puissants et colorés. Plus à l’aise, sa voix s’arrondit et retrouve le moelleux pour un duo sensible avec Simon Boccanegra. Le Choeur de l’opéra de Toulon, préparé par Christophe Bernollin fait une prestation digne d’intérêt, avec des attaques nettes faisant preuve d’ensemble et d’une belle homogénéité des voix. Avec un plateau souvent inégal, l’unité de cet ouvrage incombe à la direction ferme et intelligente du Maestro Giuliano Carella qui a su maintenir la tension musicale contenue dans cet opéra qui fait partie des oeuvres majeures de Giuseppe Verdi. Ne couvrant jamais les voix, l’orchestre sonne avec des cuivres éclatants, ou de façon plus suave pour de beaux solos de hautbois, ou de clarinette, sur de belles couleurs données par le quatuor. Un Simon Boccanegra qui, sans être vraiment marquant, reste un grand moment de plaisir. Photo Frédéric Stéphan